RechercherRecherche AgendaAgenda

Actualités

Revenir

11 mai 2011

Georges Mauco (1899-1988) : un psychanalyste au service de Vichy. De l’antisémitisme à la psychopédagogie Élisabeth Roudinesco – précédé de Passé sous silence, par Philippe Grauer

Passé sous silence

par Philippe Grauer

Reproduit à l’identique depuis l’Infini voici l’article d’Élisabeth Roudinesco sur un certain Georges Mauco. Dans le cadre d’une réflexion sur l’Histoire, bien souvent plus qu’utile, indispensable, dans nos milieux où joue si vite la prégnance de la réaction affective, du type de celle qui infléchit De Gaulle comme on le voit dans ce texte, il demeure du devoir du psychanalyste comme du psychopraticien relationnel de ne jamais oublier l’inoubliable et de barrer toute dérive, du type de celle à laquelle on a pu assister récemment dans le domaine de la psycho pédagogie.

S’être mué en humaniste défenseur de la cause des enfants à l’issue d’un passé sous silence particulièrement lourd ne suffit pas à faire que soit passée la muscade d’un antisémitisme virulent qui aurait dû valoir l’indignité nationale à son auteur. Quand on pense à Maurice Blanchot et à son immense douleur à l’issue de sa prise de conscience de son attitude avant-guerre on mesure la différence de qualité humaine au détriment de l’incroyable inventeur de l’inconscient juif dont quelques uns continuent de soutenir mordicus contre toute évidence la parfaitement innocente vertu humaniste.

Le ni vu ni connu j’t’embrouille de Mauco ne doit pas rester illisible, et de ce fait dédouaner ce sulfureux personnage tenant de l’ethnie juive et tout ce qui s’ensuit – tout ! – aux yeux des nouvelles générations. C’est dans cet esprit que nous prenons l’initiative de rééditer en ligne l’article d’Élisabeth Roudinesco. Il importe dans nos professions que l’éthique reste maintenue et qu’un négationisme par omission ne vienne pas ternir notre mémoire institutionnelle.


À ce sujet consulter également

– L’article d’Anthony Ballenato, sur ce site même.

– Le site de Patrick-Weill.

Les intertitres en gras sont de la Rédaction du site.


Élisabeth Roudinesco – précédé de Passé sous silence, par Philippe Grauer

Élisabeth Roudinesco, L’Infini, 51, automne 1995.

Georges Mauco (1899-1988) : un psychanalyste au service de Vichy. De l’antisémitisme à la psychopédagogie.


1 – JEUNESSE PARISIENNE

inspiration nazie

Si Georges Mauco reste peu connu dans l’histoire du mouvement psychanalytique français, il y joua néanmoins un rôle important qui mérite aujourd’hui d’être éclairé. Psychanalyste, pédagogue et démographe, il se fit remarquer en 1932 par une thèse sur les problèmes de l’immigration (1). Pendant l’Occupation il participa aux travaux de la revue L’Ethnie française dirigée par Georges Montandon et à la Libération, masquant son passé d’adepte du racisme et de l’antisémitisme, il réussit à se faire nommer par le général de Gaulle secrétaire du Haut comité de la population et de la famille, ce qui lui permit à la fois de poursuivre ses activités de démographe et de créer les premiers centres français de psychopédagogie d’inspiration freudienne, destinés à la réintégration des enfants atteints de troubles scolaires. Par son action, il fut ainsi parfaitement intégré au mouvement freudien français comme membre de la Société française de psychanalyse (SFP), entre 1953 et 1963, puis de l’Association psychanalytique de France (APF) jusqu’à sa mort.
Georges Mauco fut le seul psychanalyste français à avoir eu des activités collaborationnistes. Non seulement il rédigea des textes d’inspiration nazie, mais il témoigna contre le “danger juif” en août 1941 devant la Cour suprême de justice à Riom. À cet égard, son itinéraire est fort différent de celui de René Laforgue bien qu’il ait été son analysant et son disciple, et qu’il soit resté son ami.


Laforgue : Collaboration manquée

On sait que dans son ensemble, le mouvement freudien français n’opta ni pour la Collaboration ni pour la Résistance. Si Paul Schiff fut le seul authentique résistant de l’année 1940, René Laforgue fut le seul, entre 1940 et 1942, à tenter de convaincre les nazis, et notamment Matthias Heinrich Göring, de créer à Paris un institut de psychothérapie “aryanisé” sur le modèle de celui de Berlin. Il échoua, n’ayant pas à leurs yeux les qualités requises pour une telle entreprise. Membre de la Ligue contre l’antisémitisme, Laforgue n’avait jamais publié le moindre texte suspect. L’histoire de son collaborationnisme se résuma donc, comme j’ai eu l’occasion de le montrer, à une histoire tragique et abjecte de “collaboration manquée” dont il se sentit coupable toute sa vie et qui fit de lui une personnage “maudit”, accusé à tort par ses adversaires, adulé par ses épigones(2).

Rien de tel dans l’itinéraire de Georges Mauco qui fut un notable de la psychanalyse. Célèbre en son temps, publié par les meilleures maisons d’édition, reconnu par ses pairs comme un humaniste il n’eut jamais de remords. La plupart de ses collègues ignoraient ses activités passées et ses écrits antisémites pourtant accessibles. D’autres préférèrent les ignorer.

un démographe raciste célinien

L’ascension sociale de Mauco, ses opinions, son enfance nous sont connus par les souvenirs qu’il publia en 1982 dans son autobiographie et par un entretien inédit accordé à Jean-Pierre Bourgeron un an auparavant(3). Quant à ses activités de démographe raciste, elles furent analysées pour la première fois par Patrick Weil, en 1991, dans un livre intitulé La France et ses étrangers qui retrace l’aventure politique de l’immigration entre 1938 et 1991 (4).

Bien que les souvenirs de Georges Mauco soient reconstruits de manière apologétique, ils sont révélateurs des obsessions du personnage, de ses pensées, de sa sexualité, de ses actes. Né à Paris le 16 avril 1899, il est le fils d’un garçon de café qui s’enrichira ultérieurement en devenant propriétaire de bistrot. De ces années d’enfance, l’auteur garde un souvenir qui le marquera toute sa vie : “Un jour, comme je remontais le petit déjeuner, je vis ma grand- mère assise sur la chaise, une cuvette entre les jambes pour se laver. La vue du noir de son sexe me frappa ainsi que notre gêne mutuelle. Ma grand-mère avait été habituée à cette vie misérable(5).”

Placé à la campagne chez un ouvrier agricole, avec sa sœur et son frère, il y apprend le culte des racines terriennes et en retire une solide détestation des bourgeois, des riches et des classes dominantes. Il décrit un univers célinien dans lequel il se vit comme un marginal appartenant au peuple des damnés. Nul doute que ce sentiment d’exclusion jouera un rôle majeur dans l’intérêt qu’il portera plus tard aux étrangers, aux immigrés, aux inadaptés.

Révolté contre les possédants, il rêve néanmoins de s’intégrer à la classe honnie, et quand son père achète un café à la porte Maillot, il est fier de fréquenter l’école communale de Neuilly. Le déclenchement de la Grande Guerre l’empêche de poursuivre ses études. Il passe alors un concours qui lui permet d’accéder à un poste de “classeur émargeur” au ministère des Finances. En 1918, il est mobilisé puis affecté comme soldat de première classe à l’armée d’Orient d’où il reviendra maréchal des logis en décembre 1920.

Pendant trois ans, les images d’un Orient colonial, sorti tout droit des romans de Pierre Loti forment la toile de fond d’un parcours initiatique dont se nourrit le jeune homme en quête d’aventures. Il a le goût des bordels, des prostituées, des marchés arabes, turcs et arméniens. Par l’exotisme, il adhère à la notion de hiérarchie des races et des mentalités. Entre 1924 et 1929, il ne cesse de voyager en Allemagne, en Russie, en Espagne, en Égypte, en Syrie, toujours à la recherche des “différences”.

À Paris, il passe une licence d’histoire après avoir suivi les cours de Jérôme Carcopino à la Sorbonne, puis il obtient un poste de répétiteur à l’école primaire supérieure Jean Baptiste Say. En 1924, il est maître interne à l’École normale des instituteurs de la Seine. Parallèlement, il commence une analyse avec René Laforgue, s’initie au freudisme et aux travaux de René Spitz et de Lucien Lévy-Bruhl. Le 31 août 1930, lors d’une visite où il accompagne Laforgue à Karlsbad, il fait la connaissance de Sigmund Freud qui aurait ce jour-là prononcé ces mots : “L’avenir de la psychanalyse est dans l’éducation, car mieux vaut prévenir que guérir(6).”

2 – PSYCHANALYSTE ET DÉMOGRAPHE

Vers 1933, Georges Mauco pratique la psychanalyse en suivant un contrôle avec Marc Schlumberger. Ainsi est-il intégré dès cette époque au groupe laforguien de la SPP. Il y fera la connaissance d’Alain Cuny, de Françoise Marette (future Dolto) et des représentants de la première et de la deuxième génération psychanalytique française.

Mais c’est d’abord comme démographe qu’il se rend célèbre en 1932 par la publication de la thèse de doctorat qu’il a soutenu avec le géographe Albert Demangeon : Les étrangers en France, leur rôle dans l’activité économique. Comme le souligne Patrick Weil, sa démarche est celle d’un nationaliste qui prône la nécessité d’une immigration de famille jeunes “pour fournir à long terme à la France l’apport de population dont elle a besoin (7).”


hiérarchie des ethnies, préjugé racial

L’ancien soldat des armées d’Orient est un chaud partisan de l’assimilation. Cependant, ses thèses s’appuient sur une conception de la hiérarchie des ethnies qui relève d’un préjugé racial. Mauco, en effet, défend la supériorité de certaines ethnies sur d’autres et soutient qu’une partie des étrangers sont d’emblée inassimilables: les Asiatiques, les Africains, les Levantins. Au bas de l’échelle, il situe les Arabes puis remonte vers les Belges et les Suisses – c’est-à-dire les francophones – en passant par les Grecs, les Arméniens, les Polonais, les Espagnols, les Italiens. Le vocabulaire utilisé est celui des stéréotypes constitués à la fin du XIXéme siècle. L’auteur parle d’”atavisme” slave, d’”impulsivité” italienne et de “dangers” pour la race : “Parmi la diversité des races étrangères en France, il est des éléments (…) asiatiques, africains, levantins même dont l’assimilation n’est pas possible et, au surplus, très souvent physiquement et moralement indésirable. L’échec de nombreux mariages mixtes en est une vérification. Ces immigrés portent en eux, dans leur coutumes, dans leur tournure d’esprit, des goûts, des passions et le poids d’habitudes séculaires qui contredisent l’orientation profonde de notre civilisation.” En guise de conclusion, il ajoute : “Non moins pernicieuse est la déliquescence morale de certains Levantins, Arméniens, Grecs, Juifs et autres “métèques” trafiquants et négociants. L’influence des étrangers au point de vue intellectuel, encore que difficilement discernable, apparaît surtout comme s’opposant à la raison, à l’esprit de finesse, à la prudence et au sens de la mesure qui caractérisent le Français(8).”

Très favorable au livre, la presse d’extrême droite en retient la thèse du préjugé xénophobe et inégalitariste. L’hebdomadaire Candide décerne un prix à l’auteur et Lucien Descaves s’appuie sur lui pour appeler à “ une méfiance accrue de l’invasion étrangère(9).”

L’ouvrage est également salué pour son caractère “pionnier” par la presse de gauche et par les spécialistes de la démographie, soucieux en ces années de crise économique et de haine des étrangers de définir les liens entre immigration et identité nationale. Gérard Noiriel explique les raisons de ce succès : il s’agit de la “première grande thèse non juridique consacrée explicitement à l’immigration (10).” En réalité, à cette époque, l’immigration est prise comme objet d’étude, non pas par les sociologues de l’école de Durkheim, qui auraient pu construire la notion d’assimilation hors de tout préjugé racial, mais par les tenants de la doctrine dite des “origines” qui mettent en avant la race et l’hérédité, selon une perspective issue à la fois de Maurice Barrès, de Georges Vacher de Lapouge, de Gustave Le Bon et de Pierre Vidal de La Blache.

Dans cette nébuleuse, Noiriel distingue trois courants. Le premier est représenté par l’anthropologie physique où l’on retrouve les partisans de l’eugénisme. Le deuxième est celui de la démographie proprement dite, où l’immigration est abordée par la question de la natalité et de la dépopulation. Enfin, le troisième, auquel se rattache Mauco, s’inspire de la géographie : il étudie les migrations comme fait humain à partir d’enquêtes de terrain.

En 1932, Georges Mauco doit son succès à l’emploi d’un outillage technique et novateur qui lui permet de faire passer ses thèses racistes par le biais de statistiques et d’études de terrain indiscutables. Aussi l’ouvrage deviendra-t-il une référence majeure pour les démographes qui auront tendance à négliger son contenu doctrinal.

À cette date, l’auteur ne fait pas entrer les Juifs dans une catégorie particulière de race, d’espèce ou d’ethnie. Il parle de “Juifs roumains”, “Juifs grecs”, “Juifs polonais” et, à propos des Juifs en général (français ou étrangers), il emploie tantôt le mot “Juif” tantôt le vocable “Israélite” sans distinguer les deux termes.

« problème juif »

Cinq ans plus tard, dans un mémoire sur l’assimilation des étrangers en France, rédigé pour la Société des nations, il évoque pour la première fois un “problème juif” : “La plupart des étrangers qui se pressent dans les activités artisanales, commerciales et libérales, écrit-il, sont des Israélites. Cette orientation de l’activité juive repose d’ailleurs sur de réelles qualités intellectuelles qui rendent précisément plus efficace cette concurrence. Il faut y ajouter une grande souplesse, une persévérante habileté et le bénéfice de la remarquable solidarité qui lie les Israélites entre eux et qui leur facilite l’ascension sociale(11).” Afin d’éviter le danger de cette “ influence juive”, Mauco préconise d’envoyer ces “Israélites” à la campagne pour qu’ils aient des activités agricoles et manuelles. Ne furent-ils pas autrefois un “peuple de pasteurs” ?

Par cette identification d’une activité juive spécifiquement intellectuelle, Mauco passe du préjugé racial aux thèses de l’antisémitisme telles qu’elles se développent en Europe après l’avènement du nazisme. Dans ces domaines de la démographie et de l’immigration, de l’anthropologie et de l’ethnologie, de la médecine et de la psychiatrie, deux voies s’opposent : l’une s’attache à l’idée d’origine et distingue une hiérarchie à l’intérieur de laquelle le Juif devient le mal absolu, l’autre se défait de toute référence à l’origine pour admettre l’existence d’une pluralité des cultures. Les représentants du premier courant acceptent les thèses nazies, le différentialisme et l’eugénisme, les seconds luttent en faveur d’un culturalisme et d’un égalitarisme appuyés sur l’universalisme.

dépistage

Si, pour les adeptes du racisme, le Juif ne relève pas d’une “race” identifiable, il n’en est que plus dangereux. Ennemi intérieur et impossible à reconnaître, il est capable, par son invisibilité même, de dévorer sa victime – la race dite “aryenne” – tel un microbe ou un vampire. Pour s’en débarrasser, il faut inventer des critères d’identification scientifiques et donc définir une ethnie, une morphologie, une anthropologie, voire même un psychisme typiquement juifs. Une fois le dépistage mis en œuvre, on peut envisager plusieurs formes d’éradication du mal : la mort lente par enfermement (le ghetto, puis les camps), ou par expulsion (la déportation vers de nouvelles terres) et enfin l’extermination pure et simple.
En 1937, Mauco s’en tient, pour les Juifs, à des critères de reconnaissance ethnique – la sociabilité intellectuelle des réseaux israélites – et à des solutions de type colonial – l’implantation de légions juives dans les campagnes. Ces “solutions” sont d’ailleurs défendues par de nombreux spécialistes de l’immigration.

Quelques mois après avoir exposé ses idées, il est nommé expert pour ces questions par Philippe Serre, sous-secrétaire d’État dans le deuxième gouvernement de Léon Blum. Belle occasion pour lui de mettre en œuvre son double programme d’assimilation des étrangers non juifs (“adaptables”) et d’implantation dans les campagnes des Juifs inassimilables (étrangers). Il n’y parviendra pas. Le projet de Serre est rejeté par les trois ministères concernés : Affaires étrangères, Intérieur, Travail.

Mobilisé en 1939, il rentre à Paris en août 1940 et reprend ses fonctions de professeur à l’école Jean-Baptiste Say. C’est probablement vers cette époque qu’il commence à fréquenter l’École d’anthropologie de Georges Montandon. Toutefois, dans son autobiographie, il affirme qu’il fut d’emblée hostile au régime de Vichy et qu’il refusa de se rendre au procès de Riom, malgré l’ordre qu’il avait reçu d’y être entendu comme expert démographe à propos de “l’afflux des immigrés en France(12).”

3 -LA DÉNONCIATION DE “L’ETHNIE JUIVE”

La décision d’instruire un tel procès est prise par les dirigeants de Vichy en 1940. Il s’agit alors de convaincre les Français des méfaits de la démocratie parlementaire en rendant ses représentants responsables de la défaite militaire. Contre le Front populaire, symbole de toutes les turpitudes, la Révolution nationale doit apparaître comme seule capable d’épurer la nation de ses éléments malfaisants : les étrangers, les Juifs, les communistes. Toutefois, les notables de Vichy refusent d’obéir à l’occupant qui réclame que la France soit jugée coupable du déclenchement de la guerre. Aussi préfèrent-ils suspendre le procès, alors même qu’au banc des accusés, Léon Blum et Edouard Daladier parviennent avec brio à se transformer en accusateurs. En avril 1942, l’affaire tourne à la mascarade (13).

témoignage de Riom

Sans doute Mauco invoque-t-il des raisons de santé pour ne pas se rendre à Riom ? Cela ne l’empêche pas, contrairement à ce qu’il affirme, de déposer sous serment, lors d’une commission rogatoire du 5 août 1941, devant le juge d’instruction de la Cour suprême. Ses arguments sont sans ambiguïté. Il utilise admirablement ses études de terrain et ses statistiques d’avant-guerre pour expliquer au juge, dans une langue neutre et technique, que la présence sur le territoire français des étrangers, et plus précisément des Juifs, fut et reste l’une des causes majeures de la défaite de 1940.

Voici quelques extraits de ce témoignage dans lequel il s’en prend aux Juifs allemands réfugiés, qu’il rend non seulement responsables de n’avoir pas informé les autorités françaises des dangers de la puissance allemande, mais coupables d’avoir contribué à démoraliser le peuple et la nation : “Pour les israélites, leur nombre, leur puissance financière, leur activité intellectuelle et la solidarité qui les liait aux israélites français, leur nombre dans les postes de direction leur permettaient une activité politique juive.”

les réfugiés israélites corrompent la France

Ils pratiquaient une politique internationale au service de laquelle ils s’efforçaient de mettre les pays d’accueil. Les réfugiés israélites ont notamment travaillé à présenter une image altérée par leurs passions des pays qui les avaient éliminés. Ils ont beaucoup contribué à tromper l’opinion et les autorités françaises sur la véritable puissance de l’Allemagne. Prenant aisément leurs désirs pour des réalités, ils niaient la force allemande, n’en retenant que les faiblesses ou les tares. C’est à travers eux et à travers la multitude des espions et des agents doubles qu’ils entraînèrent avec eux que les services d’information ou de renseignements ont vu, déformées, les réalités extérieures.”

La démoralisation de ces éléments gagnaient non seulement les activités urbaines dont ils s’emparaient, mais par l’exemple, la corruption, les mariages mixtes malheureux, par l’influence intellectuelle (notamment dans les professions libérales et artistiques), une partie de l’opinion française.”

névrose juive

“(…) La névrose juive, avec son hérédité de persécution, alourdie par les événements actuels, se réveillait par contact chez les israélites français et leur faisait perdre en partie le bénéfice des qualités qu’ils avaient pu acquérir (…).”
Particulièrement doués par leur habileté et leur souple ingéniosité, beaucoup de ses réfugiés parvenaient aisément, dans une France libérale où la puissance de l’argent et de l’intellectualisme l’emportaient sur le caractère et la force virile.”
“Leur aptitude à la compilation du savoir (professions libérales) et de l’argent leur permettait d’affluer dans les sphères dirigeantes de la nation. Par là, leur influence était très supérieure à celles des milliers d’ouvriers étrangers se livrant, aux champs et aux chantiers, à un travail productif mais silencieux. Par contre, leur francisation restait superficielle, faute d’avoir vécu les travaux et les soucis du peuple, faute notamment d’avoir senti, au contact de la terre et des paysans, l’atavisme français
(14).”

Dans son autobiographie de 1982, Georges Mauco nie toute participation aux travaux de la revue L’Ethnie française, dirigée par le professeur Georges Montandon. Son récit est embrouillé. Il prétend avoir fait remettre par un tiers au professeur un texte sur l’immigration dont celui aurait tiré un “article nettement raciste.”(15)

En réalité, c’est de son plein gré que Mauco collabore à L’Ethnie française. Il y publie non pas un texte déformé par les soins du professeur, mais deux articles semblables à la déposition de Riom. L’un paraît en mars 1942 sous le titre “L’immigration étrangère en France et le problème des réfugiés”, et l’autre en janvier 1943 avec pour thème : “La situation démographique de la France”.(16)

Montandon : l’antisémitisme le plus extrême

Né à Neuchâtel en 1878, Georges Montandon(1) fut d’abord médecin, spécialiste des maladies tropicales, avant de devenir anthropologue et adepte des théories raciales du père Wilhelm Schmidt. Rappelons que ce dernier, figure de proue de l’École anthropologique viennoise, occupa entre 1927 et 1939 la fonction de directeur du Musée pontifical d’ethnologie du Latran à Rome et participa à une virulente campagne contre la psychanalyse, accusant Freud de vouloir détruire la famille chrétienne.

Africaniste, Montandon est nommé par Louis Marin en 1933 professeur à la Chaire d’ethnologie de l’École d’anthropologie, fondée autrefois par Paul Broca. Il en devient le titulaire deux ans plus tard. C’est à cette date qu’il crée L’Ethnie française et passe du racisme à l’antisémitisme le plus extrême. Il combat ses “rivaux” du Musée de l’homme, Paul Rivet, Marcel Mauss, Lucien Lévy-Bruhl, tous engagés dans la lutte contre le fascisme et contre les dérives racistes de l’anthropologie (17).

amputation de l’extrémité nasale

Montandon défend l’idée qu’il n’y a pas de “race juive” mais une “ethnie juive”, identifiable par des critères physiques et psychologiques. En mai 1938, il préconise la mise à l’index du Juif, la création d’un “État israélite” et l’exécution des Juifs qui ne se soumettraient pas à la règle de préservation de la race aryenne. Pour les femmes, il songe à la défiguration par amputation de l’extrémité nasale.

En novembre 1940, un mois après l’entrée en vigueur de la loi de Vichy portant statut des Juifs, il publie, en tant que médecin et professeur, le fascicule tristement célèbre : Comment reconnaître le Juif ? (18), véritable condensé de toutes les thèses dites “scientifiques” sur la prétendue identification du “type juif” : lèvres charnues, nez proéminent, teint basané, allure négroïde. Du point de vue psychologique, le Juif est qualifié de rapace, sournois, vil, menteur, vorace et beaucoup plus dangereux que le nègre, “stupide” et “non civilisé”. Il est l’ennemi intérieur et invisible. Seule la “science” peut le discerner et le détruire.

Xavier Vallat

À l’automne 1941, lorsque Xavier Vallat(2), Commissaire général aux questions juives, décide de délivrer des certificats d’appartenance et de non appartenance à la race juive, il fait appel au professeur et lui offre d’être attaché à son service en qualité d’expert ethnologue. Montandon accepte. Pendant toute la durée de l’Occupation, il signe les expertises nécessaires à la délivrance des fameux certificats, tout en poursuivant ses activités “scientifiques” : il donne des cours, forme des élèves et dirige sa revue, désormais financée par l’Institut allemand de Paris. Il participera avec la S.S. à la déportation des Juifs et à la “solution finale”.

Une saisissante évocation de ce personnage se trouve dans la première séquence du film de Joseph Losey, Monsieur Klein, tourné en 1976. On y voit pendant quelques minutes un médecin ordinaire en blouse blanche exerçant son art. Il regarde, il mesure, il examine, tantôt avec ses mains, tantôt avec des instruments. Devant lui, une femme muette et entièrement nue obéit à ses ordres. Elle marche, elle se tourne, elle se laisse observer, elle écoute en silence le diagnostic que l’homme de science dicte à une infirmière et elle comprend qu’on ne lui délivrera pas le certificat. Dans le couloir, elle retrouve son mari qui vient de subir le même examen. Ils se pressent l’un contre l’autre et se parlent sans rien se raconter. La langue n’a pas de mots pour dire une telle abjection. Et cette scène innommable, Joseph Losey la montre au spectateur sans commentaire.

Tel est l’homme avec lequel collabore Georges Mauco à Paris. Quand il publie ses articles dans L’Ethnie française, aux côtés d’Armand Bernardini, Henry Coston et Gérard Mauger, il s’adjoint son titre de secrétaire général de l’Union internationale pour l’étude scientifique des problèmes de la population.

Montandon est issu de la bourgeoisie. Médecin et homme de science, il est devenu un théoricien de l’extermination, hanté jusqu’au délire par le thème du complot juif. Son engagement est sans retour. Il sera exécuté par des résistants en 1944 devant ses enfants et petits-enfants.

un Montandon en version “douce”

Mauco, lui, est un pragmatiste, sorti du rang et capable de survivre à toutes les situations, par opportunisme. Par manque de courage. Il hait le Juif parce que le Juif est à ses yeux doté de tous les dons qu’il rêve d’acquérir et qu’il transforme en “tares”: intellectualité, aisance sociale, savoir-faire financier, etc. Au plus profond de lui-même, Mauco envie ce qu’il croit être l’identité juive. Aussi se veut-il, paternellement, le protecteur des Juifs : un grand assimilateur, un Montandon en version “douce”.

Une anecdote racontée par lui-même témoigne de cette envie et de cette volonté protectrice. En 194O, il reçoit la visite de fonctionnaires allemands : “Au moment de partir, écrit-il, l’un des Allemands, voyant dans mon bureau le buste de Freud, me demanda d’un ton inquisiteur qui c’était. Me souvenant que les nazis avaient brûlé les ouvrages de Freud, je lui répondis que c’était mon grand-père(19).”

Dès 1940, Mauco est parfaitement au courant du sort réservé par les nazis aux ouvrages de Freud. Il sait qu’en Allemagne le mot “psychanalyse” a été conservé sous couvert d’une “psychothérapie aryanisée”, tandis que le nom et les concepts du père fondateur ont été bannis du vocabulaire officiel. Il sait aussi que dans tous les pays d’Europe ravagés par la peste brune, les disciples de Freud ont été contraints à l’exil. En 1938, il a d’ailleurs été invité par Marie Bonaparte à intervenir en faveur d’un couple de réfugiés menacés d’expulsion.

préserver les enfants juifs d’une lourde hérédité

C’est pourquoi en 1942, dans le premier article qu’il rédige pour L’Ethnie française, il prend soin de ne pas citer le nom de Freud, alors même qu’il prétend s’appuyer sur la psychanalyse pour expliquer la “névrose juive” et affirmer qu’il y a urgence à séparer les enfants juifs de leurs parents afin de les préserver d’une lourde hérédité : “Une semblable altération du caractère – que nous retrouvons chez le Juif – est grave, car elle est le produit non seulement de l’éducation et du milieu sur l’individu, mais en partie de l’hérédité. La psychologie moderne – et spécialement la psychanalyse – a montré que ces traits, transmis avec l’influence des parents dès les premières années de l’enfant, modifiaient l’inconscient même du sujet et ne pouvaient être résorbés qu’après plusieurs générations soumises à des conditions satisfaisantes et échappant complètement à l’influence du milieu héréditaire(20).”

Par certains côtés, le programme de Mauco complète celui de Montandon. Non seulement le Juif est identifiable par sa morphologie et sa “psychologie”, mais il l’est aussi par son inconscient. Il y a donc un “inconscient juif”, transmissible au point d’influer de façon pernicieuse sur la descendance. On voit ici l’utilisation perverse que fait Mauco du dernier ouvrage de Freud : L’Homme Moïse et la religion monothéiste.

4 – UN NOTABLE DE LA PSYCHOPÉDAGOGIE

À la Libération, Georges Mauco échappe à l’épuration. Spécialiste reconnu de la démographie, il réussit à trouver une place de fonctionnaire. En 1945, le général de Gaulle met en œuvre une politique de natalité et de repeuplement en créant un Haut comité de la population et de la famille, dont le secrétaire général n’est autre en effet que l’ancien collaborateur de Montandon. En 1981, il exposera à Jean-Pierre Bourgeron les véritables motifs de la confiance que lui accorda le Général : ”Je lui ai dit il y a une chose qu’on pourrait faire : la guerre a causé beaucoup de souffrance pour beaucoup d’enfants et surtout d’enfants handicapés – et brusquement, je le sens qui se raidit – les enfants handicapés ont besoin d’une écoute car même si l’enfant est désagréable, a des défauts, a des difficultés, c’est qu’il rencontre une souffrance, une résistance et si l’on veut comprendre et écouter ce que veut dire son trouble, son symptôme, alors on peut l’aider beaucoup. Et vraiment c’est un autre visage que j’avais devant moi. Les yeux s’humectaient, s’humanisaient. Il cessait de se situer entre Jeanne d’Arc et Clemenceau. Il n’était plus la France, il était Charles de Gaulle. Vous savez pourquoi ? C’était sa fille infirme. Moi, je ne le savais pas encore, mais j’étais soufflé. Il m’avait écouté froidement sur toutes les mesures à prendre pour la famille et brusquement une chaleur. Par la suite, il m’a toujours soutenu.

Charles de Gaulle soutient Georges Mauco quand celui-ci décide de créer, en avril 1946, la première consultation psychopédagogique de France, dans le cadre du lycée Claude Bernard. La deuxième s’ouvrira à Strasbourg. L’aventure des centres Claude Bernard, s’inspire des expériences menées en Suisse. Elle a pour objectif d’agir sur l’inadaptation scolaire par des interventions thérapeutiques, hors de tout contexte hospitalier, médical ou psychiatrique.

mutation muette

À partir de cette date, Mauco devient un “autre personnage”. Soucieux d’effacer son passé, il poursuit son activité de démographe dans un cadre politique mais ne publie plus aucun texte sur les étrangers comparables à ceux de l’avant-guerre. L’ancien collaborateur de Montandon s’occupe désormais de psychologie et d’affectivité. Philanthrope éclairé, il a pour dessein, écrit Georges Schopp, “la prise en compte dans l’univers éducatif du souci de l’affectif ignoré jusque-là au seul profit du cognitif(21).”

À ses débuts, l’aventure mobilise tous ceux qui s’intéressent en France à l’expansion de la psychanalyse d’enfant, de la psychologie clinique et donc de la psychanalyse dite “profane” (c’est-à-dire pratiquée par des non-médecins). Dans l’entourage immédiat de Mauco, se retrouvent ses amis du divan de Laforgue : André Berge, Françoise Dolto, Juliette Favez-Boutonier. Daniel Lagache, créateur en 1947 de la licence de psychologie et chef de file à la SPP du courant libéral et universitaire, lui apporte également son soutien.

Au fil des années, deux générations de psychanalystes et de psychologues apprendront leur métier de thérapeutes sous la houlette de ce fonctionnaire affable sans jamais soupçonner qu’il avait été autrefois un antisémite notoire, comme en témoigne aujourd’hui Didier Anzieu : ”Votre lettre m’apporte une information que j’ignorais et qui me stupéfie. Il est vrai que je n’ai connu Mauco que vers 1950. Nous avons lui et moi créé ensemble le syndicat des psychologues psychanalystes qui nous a aidés à parer les menaces de la part de l’Ordre des médecins. Il a également fondé le premier centre psychopédagogique où j’ai effectué le meilleur de ma formation clinique et je lui en garde une grande reconnaissance. Je l’ai perdu de vue quand il a pris sa retraite et que le syndicat est tombé en jachère. J’ai beaucoup apprécié l’homme public mais je n’ai jamais cherché ni réussi à percer la carapace qui cachait l’homme privé. Rien ne perçait de son passé, de ses opinions politiques anciennes, de sa vie amoureuse(22).”

préjugé différentialiste

L’intérêt de Mauco pour la psychologie et la psychanalyse de l’enfant ne date pas de l’après-guerre. Dès 1936, il publie dans la Revue française de psychanalyse deux articles au long desquels il examine les théories de Freud, Piaget, Wallon (23). En apparence, il n’y a rien de commun, à cette époque, entre le Mauco démographe et le Mauco freudien averti. La langue, le vocabulaire, les concepts sont différents d’un domaine à l’autre. Pourtant, un lien existe. Mauco identifie l’enfant à un étranger qu’il faut assimiler à la société des adultes. À ses yeux, il y a un peuple des enfants, une ethnie de l’enfance comme il y a des catégories d’étrangers. C’est donc à partir du même préjugé différentialiste qu’il peut passer du racisme à l’antisémitisme pour se convertir ensuite à une psychopédagogie “freudienne” parfaitement honorable.

du différentialisme au culturalisme

À partir de 1946, ce différentialisme se transforme progressivement en un culturalisme. Dans tous les ouvrages qu’il consacre pendant trente ans à la vulgarisation d’une pédagogie psychanalytique, Mauco se veut le protecteur des minorités opprimées par l’ordre médical, par l’autorité patriarcale par le système impérialiste.

En 1950, il est à la pointe du combat, aux côtés de ses amis progressistes, lorsque Margaret Clark-Williams, collaboratrice du Centre Claude Bernard, est traînée devant les tribunaux pour exercice illégal de la médecine. L’affaire embrase le milieu psychanalytique où s’opposent partisans et adversaires de l’analyse laïque. Entre 1954 et 1967, Mauco sera encore l’initiateur, avec Didier Anzieu et de nombreux psychanalystes, d’un projet de syndicat visant à défendre la pratique profane contre l’Ordre des Médecins.

En 1956, atteint d’une leucémie, il est hospitalisé pour un long séjour. Certain de mourir, il se dit prêt à assumer son destin, renonce à son traitement à la cortisone et aux rayons X et s’évade à la montagne. Il en revient miraculeusement guéri : ”Ma guérison fut attribuée à l’altitude qui accroît le nombre des globules rouges du sang, ce qui apparaît nettement chez les Indiens de la Cordillère des Andes(24).” Emu par la détresse des malades qu’il a croisé à l’hôpital, il publie dans L’Express le récit de sa descente aux enfers, présenté par le journal comme un “document exceptionnel” en raison de “la personnalité de son auteur” qui “livre avec toute l’autorité que lui confère ses fonctions et sa réputation un témoignage terrible(25).” Dans le style du mélodrame, Mauco dénonce pêle-mêle les grands bourgeois du savoir médical, patrons, internes, externes, pour mieux s’identifier, lui l’homme du peuple, aux miséreux et surtout aux Algériens encore plus exploités que les autres.

En mai 1968, il évolue vers le gauchisme en prenant parti, encore dans L’Express, pour la révolte estudiantine. Il lance alors un vibrant appel au dialogue entre pères et fils, seul capable selon lui de réduire les excès de l’autoritarisme patriarcal (26). La même année, il publie, dans une collection dirigée par André Berge, un ouvrage qui sera couronné par l’Académie française, Psychanalyse et éducation, dans lequel il prône, au nom de Freud, la nécessité de l’émancipation des femmes, du contrôle des naissances, de la liberté sexuelle et de l’abolition des tabous propres aux sociétés occidentales (27).

Enfin, en 1975, dans un livre consacré à l’évolution de la psychopédagogie, il sympathise avec le maoïsme autogestionnaire en lançant des imprécations contre l’école et la famille “bastions les plus forts des valeurs de la société patriarcale et hiérarchisée, où l’enfant est “colonisé” et où la femme est infériorisée. Les détenteurs de l’autorité patriarcale à tous les échelons : rois et féodaux, patrons et capitalistes, maîtres et pères de famille, ont eu tendance à sacraliser leur pouvoir en exploitant l’angoisse inconsciente œdipienne (…). C’est à un changement total qu’il nous faut parvenir aujourd’hui pour pouvoir remplacer l’école actuelle, isolée de la vie sociale, par une école active et autogestionnaire. L’autogestion pédagogique devant supplanter, voir supprimer comme en Chine, l’énorme administration centralisée de l’Éducation Nationale. Ainsi seulement pourra-t-on permettre une intégration de l’école dans la vie sociale, école où l’enfant serait reconnu comme personne à part entière(28).”

racines bien françaises

La haine de Mauco pour les Juifs s’exprime aussi bien quand il voue aux gémonies les riches et les intellectuels que lorsqu’il cherche à envoyer les “Israélites” à la campagne pour leur apprendre les travaux des champs et les exhorter à se construire des “racines” bien françaises. Elle s’exprime tout autant dans l’acharnement qu’il met à vouloir détruire l’identité juive, soit en invoquant le principe d’assimilation, soit en prononçant des anathèmes contre le “peuple élu” jugé responsable de l’antisémitisme.

antisémite moderne

À cet égard, il est bien le prototype de l’antisémite moderne du XXe siècle. De la haine de classe à la haine des élites, puis de l’antisémitisme à l’antisionisme, Mauco utilise la découverte freudienne contre elle-même, en valorisant l’affect contre l’intellectualité et le culte des minorités contre l’universalité, au point de retourner un préjugé racial en une défense de l’Arabe contre le Juif, de l’Enfant contre l’Adulte, du Colonisé contre le Civilisé et finalement du tiers-mondisme contre l’impérialisme occidental. Cette permanence d’un antisémitisme viscéral s’exprime à toutes les pages de son autobiographie de 1982 où il explique combien il est l’ami des Juifs, où il comptabilise ses amis juifs, gaullistes, résistants, communistes, où il prétend détenir, grâce à la psychanalyse, les clefs d’une psychologie du Juif et où il s’apitoie sur le sort des malheureuses victimes de l’épuration, persécutées à tort par des “Juifs mal informés”.

Voici un échantillon de ce discours : “Lors de ma venue dans ces régions (Israël) après 1945, je devais y constater le réveil des guerres de religion médiévales avec la création de l’État d’Israël. Et je devais rapidement être partagé d’une part entre l’admiration pour les réalisations du sionisme et la chaleur humaine d’une ethnie se construisant une patrie, et d’autre part les souffrances de milliers de Palestiniens chassés de leurs terres. D’autant que personne en Europe ne parlait de ces femmes, de ces enfants et de ces vieillards entassés dans des camps sans espoirs de libération. Et j’éprouvais encore plus de regrets d’entendre des rabbins de la foi évoquant le pionnier du sionisme, Theodore Herzl affirmant que l’état juif devait préserver sa pureté fondée sur la race. J’y percevais la douloureuse conséquence des persécutions nazies qui avait fait régresser vers un racisme mystique cette ethnie juive qui avait fourni les plus grands esprits à l’humanité.”

Voici encore de quelle manière il commente le récit fait par Robert Debré de sa découverte des camps de concentration : “Comme chez tous les Juifs, la découverte de l’horreur des camps nazis déchaîna la haine, mais il eut la force de la maîtriser et par suite de désapprouver les abus du sionisme”.

Voici enfin le commentaire qu’il donne du dernier livre qu’il consacra en 1977 à la question des étrangers, et pour lequel il obtint une préface de Philippe Serre : “Je m’y efforçais d’approfondir le problème du racisme non seulement chez le raciste, mais aussi chez sa victime. Et ici l’étude des deux racismes les plus virulents en France contre les Arabes et les Juifs fit apparaître l’influence pesante des croyances religieuses sur le comportement humain, croyance mystique figeant les sociétés dans des traditions de soumission passive. Juifs et Arabes se croyant soumis à la volonté d’un dieu sans visage évoquant l’image patriarcale angoissante. Chez les Juifs, la loi impitoyable du Talion prévalant sur le pardon. Ils s’y soumettent d’autant plus volontiers qu’ils se croient le “peuple élu” de Dieu et différents des autres. D’où un certain racisme contre les “goys”, les “autres” ressentis comme impurs, d’où l’interdiction des mariages mixtes et l’obligation d’une nourriture pure, favorisant aussi inconsciemment l’antisémitisme(29).”

victimes inconsciemment responsables des sévices endurés

On aura compris que pour le dernier Mauco des années quatre-vingt, les victimes du racisme sont responsables inconsciemment des sévices que leur font subir leurs bourreaux, que les Juifs sont plus racistes que les racistes parce qu’ils se prennent pour le peuple élu, et qu’enfin le monothéisme est la pire des religions puisque l’image absente du père y est plus implacable que dans le paganisme. Notre homme finira par rejeter le judéo-christianisme pour se tourner vers l’Inde où il découvrira de sympathiques déesses mères susceptibles de rendre moins culpabilisante la sexualité et de valoriser les symboles d’un phallus mêlé au vagin.

5 – ÉPILOGUE

mieux m’observer de face et de profil

J’ai rencontré Georges Mauco le 8 octobre 1982. Je venais de lire son autobiographie et de publier le premier volume de l’Histoire de la psychanalyse en France. Je poursuivais mon travail en recherchant les preuves d’une éventuelle collaboration de René Laforgue. Quand je fus assise devant lui, il me dévisagea longuement tournant sa chaise afin de mieux m’observer de face et de profil. Comme je manifestai mon étonnement, il me demanda d’où venaient mes parents. Je lui expliquai que des deux côtés de la généalogie, mes ancêtres et leurs descendants étaient les héritiers d’une longue lignée de Juifs intellectuels, assimilés, déjudaïsés, athées et n’ayant aucune sympathie particulière pour le sionisme. Il exulta.

donneur de leçon

D’un air complice, il me conseilla d’aider mes corréligionnaires, qui se prenaient encore pour le peuple élu, à abandonner leurs prétentions et à ne point mépriser les “autres”. Il me raconta que le pauvre Laforgue avait été la victime des Juifs de la Société psychanalytique de Paris. Par la suite, il m’envoya des documents qui prouvaient sa “bonne foi” : il avait toujours été, disait-il, le protecteur des persécutés, juifs et non-juifs, et il entendait le montrer en exhibant des lettres de Marie Bonaparte ou de Charles de Gaulle et en invoquant son amitié avec le démographe Adolphe Landry qui avait refusé de voter les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain. Mauco se présentait comme un irréprochable bienfaiteur de l’humanité :”Il faudrait que vous preniez conscience, m’écrivit-il, que votre fougue combattive puise en partie dans la haine qui normalement habite les victimes du nazisme. Et notamment les Juifs français, complètement assimilés, ayant même combattu dans l’armée française en 1914-18, et parfois non-croyants, oubliant presque leur origine et qui brusquement se virent rejetés(30).” Ainsi donc avais-je droit à des “interprétations” sur “mon cas” et sur celui de mon père, engagé volontaire dans la Grande Guerre.

Il avait réussi à obtenir de Françoise Dolto une préface à son autobiographie où elle soulignait les qualités morales de cet homme exceptionnel qui “avait su résister à la barbarie nazie” : “Cette vie d’homme humblement et magnifiquement remplie, écrivait-elle, tout entière dédiée à la dignité humaine ou négligée dont notre devoir de citoyen est de reconnaître et de valoriser à tout âge mais dont les organisateurs de vie collective, de vie administrative, oublient l’importance, cette vie de Georges Mauco a quelque chose d’exemplaire. Ce livre, j’ai été honorée qu’il m’ait demandé de le préfacer(31).”

repérer les signifiants de l’antisémitisme

Quand je demandai à Françoise Dolto pourquoi elle avait préfacé un tel livre, doutant qu’elle l’ait vraiment lu, elle me répondit qu’on ne pouvait pas suspecter Mauco d’antisémitisme. Elle n’avait rien vu, ni avant-guerre ni pendant l’Occupation. Issue de la grande bourgeoisie parisienne d’Action française, elle avait rompu avec l’antisémitisme de sa famille. Elle partageait avec Mauco l’idée qu’il existait une ethnie de l’enfance, un peuple des enfants et elle se voulait comme lui “psychopédagogue”. Jamais il n’y eut chez elle la moindre trace d’antisémitisme ou de préjugé inégalitariste. Pourtant, elle ne savait pas repérer les signifiants de l’antisémitisme. D’où son aveuglement. Je lui lus certains passages de l’ouvrage, et elle reconnut que peut-être elle avait pu se tromper ou être trompée. En tout cas, elle ne savait rien de la collaboration avec Montandon.

Juliette Favez-Boutonier savait que Mauco avait rédigé des articles pour L’Ethnie française mais elle disait ne pas attacher une grande d’importance à ce détail. Elle pensait d’ailleurs que Montandon, avec ses absurdes théories, était bien incapable de différencier un Juif d’un non-Juif. Du coup, grâce à ses stupides expertises, de nombreux Juifs avaient pu échapper à la Gestapo en obtenant le fameux certificat de non appartenance. Elle trouvait que j’étais un peu “obsédée” par la “question juive”.

Comme Mauco n’avait joué un rôle dans l’histoire de la psychanalyse que par le biais de la psychopédagogie et de la psychanalyse d’enfant, je laissai tomber l’enquête à son sujet pour noter simplement le caractère “judéophobe” du groupe formé autour de lui.

juifs persécuteurs

En 1987, Alain de Mijolla m’attaqua à propos de la manière dont j’avais exhumé la collaboration manquée de René Laforgue. À l’appui de sa thèse, il cita une lettre que Mauco lui avait adressé en janvier 1983 et dans laquelle il critiquait le premier volume de mon histoire. Mijolla ne s’aperçut pas que ladite lettre était antisémite. En voici des extraits : “la source de cette hostilité (à Laforgue) puisait en partie dans le fait que la Société de Psychanalyse (la SPP) demandant son “épuration” était surtout formée de Juifs particulièrement hostiles aux “collaborateurs”, ou jugés comme tels, et que ceux-ci étaient très favorables au communisme etc...(32).” Autrement dit, pour Mauco, seuls des Juifs peuvent se sentir assez persécutés pour demander des comptes à de prétendus collaborateurs. Et il ajoutait que ces Juifs n’avaient abandonné le communisme que quand Staline eut exécuté des médecins juifs.

Georges Mauco mourut le 18 mai 1988 à l’âge de quatre-vingt-neuf ans.
Patrick Weil fut le premier à dénoncer clairement le caractère raciste des thèses du Mauco démographe depuis 1932. Après la publication de son livre, il m’apporta les articles de L’Ethnie française et le procès-verbal du témoignage de Riom en insistant pour que je consacre un article à l’itinéraire de l’homme et de son œuvre dans l’histoire française de la psychanalyse. Qu’il soit ici remercié(33).

ÉLISABETH ROUDINESCO


NOTES

(1) – Georges Mauco, Les Etrangers en France. Leur rôle dans la vie économique, Paris, Armand Colin, 1932.

(2) – Voir Elisabeth Roudinesco, Histoire de la psychanalyse en France, volume 2, Paris, Fayard, 1994.

(3) – Georges Mauco, Vécu, 1899-1982, Paris, Emile Paul, 1982. Et “Entretien”, 1981, archives JPB.

(4) – Patrick Weil, La France et ses étrangers, Paris, Calmann-Lévy, 1991.

(5) – Vécu, op.cit, p. 23.

(6) – Mauco situe la visite en 1932, mais il s’agit certainement de la visite faite le 31 août 193O. Voir Sigmund Freud, Chronique la plus brève 1929-1939, annoté et présenté par Michael Molnar, Paris, Albin Michel, 1992.

(7) – La France et ses étrangers, op. cit., p.34-35.

(8) – Les Etrangers en France, op. cit., p. 35 et 588.

(9) – Vécu, op. cit., p.73. Michael R. Marrus et Robert Paxton remarquent en 1981 que les “incursions occasionnelles” de Mauco dans les “brûmes racistes” montrent qu’un tel langage était accepté dans les années trente. Voir Vichy et les Juifs, Paris, Calmann-Lévy, 1981, p.59.

(10) – Gérard Noiriel, Le Creuset français, Paris, Seuil, 1988, p. 36-37.

(11) – Georges Mauco, Mémoire sur l’assimilation des étrangers en France, Conférence permanente des Hautes études internationales, Xe section, Paris 28 juin – 3 juillet, 1937, p. 77.

(12) – Vécu, op. cit., p. 1O4.

(13) – Voir Henri Michel, Le Procès de Riom, Paris, Albin Michel, 1979.

(14) – Procès-verbal de la déposition de Georges Mauco, transmis par Patrick Weil avec l’autorisation de Jean Favier, Archives nationales, A.N. 2W – 66.

(15) – Vécu, op. cit., p. 1O6.

(16) – L’Ethnie française, 6, mars 1942, et 7, janvier 1943.

(17) – Voir Marc Knobel, “Georges Montandon et l’Ecole d’anthropologie de Paris. Etudes sur les types raciaux, juifs et négroïdes, 193O-1945”, Colloque de la Maison des sciences de l’homme, Racismes et ethnologies européennes, 18 mars 1988.

(18) – Georges Montandon, Comment reconnaître le Juif, Paris, Nouvelles éditions françaises, 1941.

(19) – Vécu, op. cit., p. 1O6.

(20) – L’Ethnie française, 6, op. cit., p.12.

(21) – Georges Schopp, “L’affaire Clark-Williams ou la question de l’analyse laïque en France”, Revue internationale d’histoire de la psychanalyse, 3, Paris, PUF, 199O, p. 2O3.

(22) – Lettre de Didier Anzieu à Elisabeth Roudinesco du 8 décembre 1994.

(23) – Georges Mauco, “La Psychologie de l’enfant d’après Freud et Piaget”, Revue française de psychanalyse, 3 et 4, t. 9, 1936. Repris ensuite sous deux titres différents, d’abord en 1938 puis en 197O : L’Inconscient et la psychologie de l’enfant, Paris, PUF. Notons que Mauco republie souvent les mêmes ouvrages ou des ouvrages presqu’identiques sous des titres différents et chez des éditeurs différents. D’où son abondante production.

(24) – Vécu, op. cit., p. 176.
(25) – Ibid., p. 247.

(26) – Ibid., p. 246.

(27) – Georges Mauco, Psychanalyse et éducation, Paris, Flammarion, collection Champs, 1993.

(28) – Georges Mauco, L’Evolution de la psychopédagogie, Toulouse, Pragma/Privat, 1975, p. 16-17.

(29) – Vécu, op. cit., p. 190, 127, 172. L‘ouvrage Les Etrangers en France et le problème du racisme fut publié à compte d’auteur à La Pensée universelle en 1977.

(30) – Lettre de Georges Mauco à Elisabeth Roudinesco du 12 octobre 1982.

(31) – Ibid, p. 13.

(32) – Alain de Mijolla, “La psychanalyse et les psychanalystes en France entre 1939 et 1945”, Revue internationale d’histoire de la psychanalyse, 1, PUF, 1988, p. 215.

(33) – Patrick Weil prépare un article sur les thèses du Mauco démographe : “Racisme et discriminations dans la politique française de l’immigration 1938-1946/1974-1994”, à paraître en 1995 dans la revue XXe Siècle.