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19 mai 2014

Hommage à Jean OURY – 1924-2014 Joseph Mornet

Joseph Mornet

Hommage à Jean OURY – 1924-2014

S’il faut entrer dans la clandestinité…

par Joseph Mornet
Secrétaire national de la FASM Croix Marine

« Malgré la confusion et le pessimisme où se trouvent engagés l’ensemble des hommes … je reste convaincu que, tant qu’il y a des hommes à la surface du monde, quelque chose de leur démarche reste acquis, se retransmet, disparaît parfois, mais aussi ressurgit quoi qu’il en soit des catastrophes mortifères qui nous assaillent souvent. »

entrer dans la clandestinité ?

Ces ultimes mots laissés à la veille de sa mort par François Tosquelles entourent d’une belle lueur la disparition de son vieux camarade et ami en nous rappelant les propres leçons du temps. Tout coule aimaient répéter les présocratiques, et pourtant quelque chose demeure. Jean Oury en savait quelque chose du temps : à 90 ans, une vie a traversé tellement de jours qu’elle en connait la relativité. C’est déjà ce qui lui permettait il y dix ans déjà de conclure tranquillement ses entretiens avec Marie Depussé par cette phrase : « s’il faut entrer dans la clandestinité, on le fera… » (À quelle heure passe le train…, Calmann-Lévy).

continuer à faire vivre nos valeurs

Durant toute sa vie Jean Oury a montré que la clandestinité ne lui faisait pas peur. C’est sans doute ce qui a permis à la psychothérapie institutionnelle de traverser le temps et d’atteindre cette notoriété bien au-delà de nos seules frontières. La clandestinité est intimement liée aux forces de résistance et nous ramène aux origines mêmes de la psychothérapie institutionnelle qui, comme le rappelait le fondateur de La Borde « a de profondes racines dans tout ce qui s’est passé pendant l’occupation … On pourrait la définir comme un ensemble de méthodes destinées à résister à tout ce qui est concentrationnaire ou ségrégatif. » La décision de la HAS (Haute autorité de santé) en 2012 de déclarer non pertinente la psychothérapie institutionnelle nous oblige tous désormais à travailler avec cette clandestinité si nous voulons continuer à faire vivre les valeurs qui nous semblent fondamentales dans le soin clinique.

précarité

La clandestinité est voisine de cette autre vertu première aux yeux de Jean Oury qu’est la précarité c’est-à-dire celle d’une posture que l’on sait toujours marquée du provisoire. Un peu comme les architectures antisismiques, ces points de jeu laissés dans la structure organisationnelle permettent de traverser les soubresauts des aliénations économiques, culturelles et politiques fatalement liées à la marche du temps. C’est la fonction première de l’humour, vertu également chère à Jean Oury, il permet de marquer nos existences de cette précarité de nos énoncés et de nos actes.

comment soigner dans un collectif non soignant ?

Cette clandestinité était celle des résistants de la seconde guerre mondiale. Elle était au centre de la détermination de ceux qui se sont retrouvés pendant l’occupation allemande et sous le régime de Vichy à l’hôpital de Saint Alban. C’est elle qui a permis l’éclosion de ce qui allait s’appeler la psychothérapie institutionnelle, se donner les moyens de faire une institution qui ne soit pas aliénante et totalisante. Comment prétendre, en effet, soigner des personnes dans un collectif qui n’est pas soignant ?

remparts

Une institution, pour exister, doit faire avec son époque. La théorie de la double aliénation, fondement même de la psychothérapie institutionnelle, impose non seulement de faire avec son temps, mais de s’appuyer sur cet enracinement social qui constitue tout homme et tout collectif au même titre que son psychisme. Comment donc y déployer sa pratique sans renoncer aux valeurs premières de ce qui constitue l’humanité que l’on sait structurellement partagée elle-même par la tension entre ses forces d’anéantissement et ses forces de vie ? La préservation de dimensions de « clandestinité », de précarité et d’humour constituent les premiers remparts contre les effets déshumanisants de nos pratiques sociales et de leurs glissements bureaucratiques.

destruction de la psychiatrie

« Ça fait des dizaines d’années que nous dénonçons la destruction de la psychiatrie, rappelait en 2008 Jean Oury en réponse au discours d’Antony prononcé par le Président SarkozyAlors, maintenant, qu’un moustique, ou une puce, vienne s’agiter et proclame l’accomplissement de la destruction de la psychiatrie, de l’éducation, pourquoi pas ? bien que les puces transmettent la peste qui a toujours été une maladie internationale. Bien sûr, Hitler, aussi, était une puce qui a été lancée sur le marché par le grand capital. On en voit le résultat. C’est pas fini ! surtout, soutenu par cette Armada de pseudosciences de toutes sortes camouflant sans trop le savoir une idéologie de mort programmée. Que ce discours de Sarkozy et toutes ses pirouettes nous réveille de la léthargie politique qui date de loin, nous pourrons peut-être en saluer l’opportunité ».

le club

La lutte contre les « léthargies » institutionnelles et politiques, leitmotiv qui n’a pas lâché l’esprit de Jean Oury, passe par des instruments simples dont les deux principales sont, peut être, la nécessité de « soigner les soignants » – et le club. L’équipe de La Borde a tenu à rappeler qu’il avait tenu à venir à l’assemblée générale hebdomadaire du club le vendredi précédant sa mort pour y rappeler une ultime fois la nécessité de faire vivre cet outil subversif de désaliénation sociale et d’investissement concret des patients et du personnel dans la vie quotidienne.

dispositif de psychothérapie institutionnelle

Aujourd’hui le paysage du {« traitement » de la folie a dépassé largement les seules frontières des établissements sanitaires et se déploie sur le vaste ensemble du social et du médicosocial. Certains s’en inquiètent et y perdent leurs repères. En ces périodes de brumes entourant nos esprits comme nos pratiques, nous cherchons souvent le repère de balises. La structure associative en fournit certainement une. Elle constitue un de ces invariants que rappelait Jean Oury dans son dialogue avec Pierre Delion dans }Les racines de La Borde en 2008. Le club constitue pour lui {« la pièce maîtresse du dispositif de psychothérapie institutionnelle » car il permet de « mettre en place des systèmes collectifs et, en même temps préserver la dimension de singularité de chacun. »

être intelligent, sinon l’on est complice

À nous tous de savoir les créer, les inventer, les préserver dans nos différents lieux de pratique. Ce n’est souvent pas chose simple devant les exigences cannibales gestionnaires mais rappelons-nous « il faut être intelligent, sinon l’on est complice ». C’est sans doute la meilleure fidélité que nous pouvons témoigner à Jean Oury.


petite biographie

La Borde

Psychiatre et psychanalyste, Jean Oury est internationalement connu pour être un des chefs de file de la psychothérapie institutionnelle française. Même s’il n’en fut pas un des fondateurs, il en est l’un des grands théoriciens et praticiens : la clinique de La Borde qu’il a fondée en 1953 à Cour-Cheverny dans le Loir-et-Cher a d’ailleurs constitué, après l’hôpital de Saint Alban, le lieu de référence de la pratique de la psychothérapie institutionnelle.

Guattari

Jean Oury est né le 5 mars 1924 à La Garenne-Colombes. Il a commencé sa carrière en 1947 comme interne en psychiatrie à l’hôpital de Saint-Alban. En 1957, il demande à Félix Guattari de prendre la direction administrative de la clinique de La Borde.

Membre de l’École freudienne de Paris jusqu’à sa dissolution en 1980, Jean Oury était été analysé par Jacques Lacan pendant vingt ans. Son frère, Fernand Oury, mort en 1997, est le créateur du mouvement de la pédagogie institutionnelle.

fou des fous

Le journal Libération avait publié sous la plume d’Éric Favereau un portrait de Jean Oury intitulé : « Jean Oury, fou des fous » soulignant par là l’impérieuse exigence qu’il s’était fixé de soigner l’hôpital pour soigner les malades : «soigner les malades sans soigner l’hôpital, c’est de la folie», disait-il. Ce « soin » de l’établissement soignant est une exigence quotidienne qui ne demande aucun relâchement de la vigilance car elle n’est jamais aboutie. C’est en ce sens qu’il pouvait écrire que « la psychothérapie institutionnelle n’existe pas, c’est l’analyse institutionnelle qu’il faut sans cesse mettre au travail ». Il disait récemment à propos de La Borde : « Cela fait 60 ans que cela dure mais cela ne fait que commencer».

son enseignement

Jean Oury a toujours eu le soin de déployer son enseignement dans de multiples rencontres, journées, colloques. Il est resté fidèle à cet engagement tant que sa santé lui a permis. Plus particulièrement il animait deux séminaires : le premier à La Borde depuis 1971, le second à l’hôpital Sainte Anne à Paris. Il y était encore en avril.

Bibliographie

La liste des ouvrages et articles de Jean Oury est tellement longue qu’il serait impossible de le retranscrire dans un si court espace.
A ne retenir que deux titres, l’on peut se référer à deux récents : ils sont d’un abord simple ouvert à tous et résonnent du poids de toute une vie.
À quelle heure passe le train … Conversations sur la folie, Calmann-Lévy, 2003
Rencontre avec le Japon. Jean Oury à Okinawa, Kyoto, Tokyo, Champ social éditions / Matrice 2007