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20 avril 2010

Hospitalisation sans consentement Laetitia Clavreul

Laetitia Clavreul


Une grave question de société, abordée au départ sur coup de pulsion du pouvoir, un accident (rarisssime), une loi (sécurissime). Le collectif La nuit sécuritaire continue de faire pression pour épargner à la psychiatrie sa politisation sécuritariste.

Naturellement les quatre côtés du Carré psy sont solidaires et ce qui arrive à l’un par contre-coup affecte les autres. Ce qui explique à quel point il est délicat de toucher à n’importe quelle pièce du système sans voir les trois autres réagir vivement, les solidarités et les oppositions s’accentuer.

Les enjeux idéologico politiques et souvent corporatistes sont considérables, car c’est à l’humain qu’on touche. Que ce soit pour se mettre à l’abri d’autrui ou pour lui venir en aide n’est pas indifférent. À un moment donné quelle tendance est sur le point de l’emporter ? Que ce soit par la méthode médicamenteuse et davantage, de confinement, ou par la libération par la parole (y compris psychocorporelle) — les deux pouvant se combiner. On peut également voir le médical ou le médico psychologique s’efforcer de prendre l’avantage. On peut voir le médical DSM s’appliquer à ruiner le processus de subjectivation. On peut voir le politico idéologique colorer le médical et une inflation neuro TCC occuper tout l’espace psychologique.

On n’est pas près de voir disparaître pour autant ni la psychanalyse ni la psychothérapie relationnelle. Mais on peut assister régulièrement à des moments de tensions et de conflits entre les différents continents qui bougent sans arrêt sur cette terre carrée que constitue le Carré psy, sous les poussées des tendances politiques profondes et de longue durée qui en animent le socle.

PHG


Les hospitalisations sans consentement, régies par la loi du 27 juin 1990, représentent 15 % des hospitalisations en psychiatrie.

HDT

L’hospitalisation à la demande d’un tiers

Elle est demandée par un proche d’une personne malade. L’état de santé du patient doit imposer des soins immédiats assortis d’une surveillance constante. La mesure empêche le patient de sortir librement. Elle est levée sur avis médical.

HO

L’hospitalisation d’office

Elle est prise par le préfet ou le maire pour les personnes qui compromettent l’ordre public ou la sûreté. Le malade ne peut quitter l’hôpital. La mesure est levée par le préfet sur proposition médicale ou le juge judiciaire.


Élargissement en ville des soins sous contrainte ?

Jusque-là cantonnés à l’hôpital psychiatrique, les soins sous contrainte pourraient être élargis à la ville. C’est là l’évolution principale de l’avant-projet de loi  » relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques « , qui modifie la loi de 1990 sur l’hospitalisation sans consentement. Annoncée depuis des années, cette réforme fait actuellement l’objet d’une concertation entre le ministère de la santé, les syndicats de psychiatrie, les patients et leurs familles.

Soigner contre son gré

Est-il possible d’obliger une personne atteinte de troubles psychiques à se soigner, en dehors de l’enceinte de l’hôpital ? De nombreuses inquiétudes s’expriment et le débat fait rage. Rien de plus normal, selon le docteur Yvan Halimi, le président de la Conférence des présidents des commissions médicales d’établissements des centres hospitaliers spécialisés (CME-CHS) :  » La psychiatrie est la seule discipline médicale où l’on peut soigner quelqu’un contre son gré, et porter ainsi atteinte aux libertés individuelles « , rappelle-t-il.

Ministère de la Santé et non de l’Intérieur

Le contexte de cette réforme est particulier. C’est en effet après le drame de Grenoble, où un malade ayant fugué de l’hôpital avait poignardé un étudiant, que le président de la République avait demandé, fin 2008, une réforme des règles d’hospitalisation dans un sens plus sécuritaire. Certes, le fait que le projet de loi soit porté par le ministère de la santé et non celui de l’intérieur a rassuré les professionnels de la santé, mais beaucoup estiment que l’objectif n’est pas uniquement sanitaire.

Délai de 72 heures

Concrètement, le texte prévoit la mise en place, à l’arrivée d’un malade à l’hôpital, d’une période d’observation de son état de 72 heures maximum. Sera alors décidé s’il peut rentrer chez lui, s’il sort mais avec une obligation de se soigner, ou s’il reste hospitalisé, sous le régime de l’hospitalisation libre ou sans consentement. En cas de sortie sous contrainte, un calendrier sera fixé avec l’hôpital pour que le malade y soit régulièrement suivi par un psychiatre. En cas d’écart, la direction préviendra le représentant de l’Etat. Une réhospitalisation pourra s’ensuivre.

Extension en ambulatoire

Les familles de malades mentaux demandaient cette extension, en ambulatoire, de la prise en charge sous contrainte. Parce que tout le monde n’a pas besoin d’être hospitalisé, mais aussi parce que hors structure psychiatrique, le suivi des malades a besoin d’être amélioré.  » Nous savons tous que la nécessité de soins sans consentement se fait sentir quand nos proches sont dans une situation de souffrance extrême ou de risque « , explique Jean Canneva, président de l’Union nationale des amis et familles de malades psychiques (Unafam), en faisant référence aux appels au secours de la mère du jeune schizophrène qui a poussé, début avril, un passager sur les voies du RER.

Autre disposition du texte, il permet de faciliter la prise en charge sans consentement d’un malade par le seul corps médical, sans l’accord d’un tiers. Un point qui séduit, car parfois aucun proche du malade ne voulait signer l’autorisation d’hospitalisation sous contrainte, de peur de se le voir reproché.

Avancées indéniables

Globalement, les représentants des familles (Unafam) et des usagers (Fédération nationale des patients en psychiatrie-Fnapsy) voient dans le texte  » des avancées indéniables « . Le délai de 72 heures d’observation est considéré comme une garantie contre les internements abusifs, comme le renforcement du rôle du juge judiciaire qui pourra être saisi pour ordonner la levée de la contrainte. Néanmoins, les familles et les usagers ont demandé des précisions sur les modalités de retour à l’hôpital, avec une répartition claire des rôles entre acteurs (soignants, pompiers, ambulanciers, policiers) et sur les cas qui seront concernés par le soin contraint hors hôpital.

« Expert en ordre public » — Bokobza contre

Les psychiatres, de leur côté, sont loin d’être tous favorables à la future loi. Les avis divergent sur l’impact de l’élargissement du soin contraint. Selon le ministère de la santé, il n’y aura pas d’augmentation du nombre de prises en charge sans consentement : elles ne devraient être proposées que quand l’état du malade le permettra. D’un avis totalement opposé, le collectif La nuit sécuritaire juge que le texte aboutira à un  » contrôle social des individus « . Farouche opposant au projet de loi, le docteur Hervé Bokobza, membre du collectif, redoute une perte de confiance entre les psychiatres et certains patients, comme les SDF.  » Le psychiatre sera mis dans une position d’expert en ordre public, et non plus de soignant « , juge-t-il.

30% de psychiatres en moins d’ici 10 ans

Beaucoup de craintes émergent sur l’impact de la réforme sur le travail des psychiatres. Angelo Poli, président du Syndicat des psychiatres d’exercice public, est favorable aux soins sous contrainte hors hôpital, mais il estime – et il n’est pas le seul – qu’il y aura un problème de manque de moyens pour suivre les malades, alors que  » dans les dix ans à venir, 30 % des psychiatres vont partir à la retraite « .

Sanitaire ou sécuritaire ?

S’agit-il donc d’une loi sanitaire ? Ou plutôt d’une loi sécuritaire ? Olivier Boitard, pour l’Union syndicale de la psychiatrie, évoque un texte de  » police sanitaire « . Une formule qui résume bien l’inquiétude d’une partie de la profession.

Laetitia Clavreul
© Le Monde
20 avril 2010