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22 avril 2010

Réponse à Michel Onfray sur ses prises de positions caricaturales en matière de psychanalyse Pierre Delion

Pierre Delion

Par Pierre Delion

Avril 2010


On n’en peut plus des réactions au brulôt de Michel Onfray. Nous joindrons bientôt au témoignage de Pierre Delion s’en prenant au simplicisme de notre nouveau « Nietzsche » trois autres réactions, sous pdf, un peu plus tard, il faut aussi prendre le temps de respirer. Il faut vous rendre à notre éditorial, qui lui-même renvoie à un autre bouquet de textes par le biais de l’éditorial précédent et le jeu d’hyperliens télescopiques (ce dernier de Pierre Cormary, pour ceux qui veulent approfondir, ne manque pas d’intérêt). Cela fera beaucoup à lire mais d’une lecture qui ne manquera pas d’intérêt. Il n’aura pas été dit qu’on pouvait imprimer n’importe quoi sans que les intellectuels concernés réagissent. Il ne faut pas prendre l’opinion pour une idiote.

Philippe Grauer


Pouvoir débattre de la psychanalyse et de ses limites en matière de système psychopathologique et/ou de réussite thérapeutique est une des possibilités offertes par le débat démocratique. A condition de la faire de façon informée et rigoureuse. Mais profiter de son aura médiatique pour en abuser et transformer le toujours nécessaire débat en caricature est une lâcheté. Et la démocratie actuelle, ravagée par sa dérive médiatique simplificatrice n’a pas besoin de ce coup de pied de l’âne.

Si je me permets de prendre part au débat, c’est parce que certains oublient avec une désinvolture étrange, les progrès que la psychanalyse freudienne a permis de réaliser dans un monde étrange lui aussi, celui de la maladie mentale. Alors que les avancées de la réflexion de Pinel et Pussin avaient abouti à la création d’asiles départementaux à une époque de sinistre mémoire au cours de laquelle les fous étaient enchaînés dans les culs de basse fosse des prisons, les limites du grand renfermement avaient été vite trouvées dans ces lieux dédiés aux malades mentaux.

Toute l’évolution du XIXème siècle n’y aurait rien fait si Freud, avec sa métaphore du cristal n’avait permis de changer le vertex pour examiner les conditions présidant à la psychopathologie dès le début du XXème siècle, engageant dès lors la psychiatrie sur une voie radicalement différente, celle qui consiste à considérer le malade mental comme un frère en déshérence, capable de s’appuyer sur ses propres ressources et sur celles de la communauté pour changer de trajectoire.

La relation thérapeutique avec les patients, conceptualisée par Freud sous le terme de « relation transférentielle », lui donnait une possibilité de modifier en profondeur leur destin tragique. Mais si Freud théorise ces points de vue éminemment dignes d’intérêts pour les personnes névrosées dès le début du vingtième siècle, il va falloir attendre la fin de la deuxième guerre mondiale pour que des psychiatres, Tosquelles, Daumézon, Bonnafé et d’autres, ayant intériorisé de telles notions, puissent les proposer au pouvoir d’État pour les mettre en pratique, et notamment au service des personnes psychotiques.

La psychiatrie de secteur (circulaire du 15 Mars 1960), vraie révolution de la psychiatrie du siècle dernier, n’est que la transposition sous le terme de continuité des soins de la relation transférentielle freudienne dans un dispositif permettant d’accompagner tout au long de leur vie les patients présentant des troubles psychiques graves. On oublie souvent que c’est ce dispositif qui a permis de transformer radicalement les asiles en soignant les patients dans la cité, quitte à, dans certains cas, proposer une hospitalisation en psychiatrie. Je prétends que c’est Freud et ses successeurs au rang desquels je place les fondateurs de la psychothérapie institutionnelle, qui ont, ensemble et à distance dans le temps, permis cette évolution formidable, en modifiant profondément les esprits des soignants.

Si aujourd’hui ces avancées sont ridiculisées à grands traits par certains « intellectuels » comme Michel Onfray, qui se pare à vil prix des atours de la vérité, ils contribuent à rendre le retour de psychiatrie sécuritaire plus prégnant que jamais. En effet, c’est par la casse de cette psychiatrie à visage humain telle que la psychiatrie de secteur l’a promue, que la psychiatrie du XIXème siècle revient pour enfermer les fous qui ne peuvent être que dangereux, alors qu’ils sont moins dangereux que la moyenne des citoyens et, oh combien ! plus vulnérables. Or c’est précisément Freud qui avait grandement contribué à changer cette idée de la folie pour en faire un drame humain parmi d’autres, et à redonner espoir à ceux qu’elle concerne soit directement dans leur chair, soit en tant que psychiste professionnel.

Parce que je suis pédopsychiatre, j’ajoute que la pensée freudienne, approfondie par ses élèves, Melanie Klein, Anna Freud, et beaucoup d’autres en ce qui concerne les enfants, est ce qui permet de faire pièce aux seules prescriptions médicamenteuses et autres pratiques éducativo-comportementales qui sont aujourd’hui devenues la tendance dominante des pratiques pédopsychiatriques. Une prescription médicamenteuse ne doit se faire, quand elle est nécessaire, ce qui est rarement le cas en pédopsychiatrie, que dans un cadre adjuvant par rapport à la psychothérapie. Et les psychothérapies d’inspiration freudiennes sont, à ma connaissance, celles qui sont suivies d’effets lorsqu’elles sont pratiquées dans de bonnes conditions, c’est-à-dire par des gens formés et ouverts aux autres dimensions de la souffrance psychique des enfants, aussi bien aux aspects anthropologiques que socioéconomiques.

Tirer sur le pianiste freudien par provocation et pour le seul plaisir de l’esthète mélancolique est une ânerie. Mais le faire en oubliant que les livres de Freud ont été brûlés par les nazis, est non seulement de la désinformation de bas étage, elle est un effort de plus en faveur de la déconstruction de la pensée complexe. Et là nous avons à faire à un champion.