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19 mars 2017

La seule réponse au « système », c’est la critique par Frédéric Worms

ne jamais toucher aux vannes du Déluge

par Philippe Grauer

Le philosophe Frédéric Worms exhorte ceux qui dénoncent le "système" à faire preuve de mesure, de discernement, afin de ne pas faire le lit du totalitarisme. Le travail critique constitue la ressource vitale de la démocratie, pour renforcer leur légitimité et la confiance publique, comme ligne de défense non seulement d’un individu, mais de la vérité, de la politique et de la République.


ne jamais toucher aux vannes du Déluge

Mots clés : esprit critique, démocratie, totalitarisme

ne jamais toucher aux vannes du Déluge

par Philippe Grauer

Entre le pompier pyromane et l’arroseur arrosé nous voici au risque de cautionner, via une critique confuse du "Système", ceux qui rêvent de substituer au système de la démocratie – "le pire à l’exception de tous les autres" –, celui des adorateurs du grand Tout, et même du grand Manie Tout, qui n’arriverait chez nous qu’à la condition de n’y avoir vu que du "bleu" dans la manipulation de l’embrouille en cours. Ainsi, à la façon de Gribouille voici un candidat qui se jette à l’eau (très mauvais pour les costumes) pour éviter la pluie, au risque de faciliter l’ouverture des vannes du Déluge. Il paraît d’ailleurs prétendent les écervelés que le Déluge c’est pas la fin du monde finalement. Principe de précaution, il y a des vannes auxquelles il ne faut jamais toucher.

maintenir l’esprit critique, base de la démocratie

Nous autres transmetteurs de la psychothérapie relationnelle multiréférentielle, nous savons que sans esprit critique notre métier perd toute valeur, pour aller s’ensabler dans un marécage (je ne dirais pas océan, par respect pour ce dernier) mélangé de croyances confuses et dans le mirage d’une société du "care" qui se propose de vous masser l’âme au lieu de contribuer à la réveiller. Maintenir l’esprit critique, c’est-à-dire inlassablement analyser, mettre en doute, discerner, évaluer, juger, réfléchir, c’est comme la peinture à l’huile de la chanson, plus difficile, mais tellement plus beau que la peinture à l’eau trouble de la manipulation émotionnelle désignant un ennemi un seul, facile à repérer, l’autre, le "système", les migrants et que sais-je encore, vous et moi, un de ces jours, si nous n’y prenions garde.


par Frédéric Worms

Comme si tout était permis à celui qui dit que tous (les autres) sont pourris ! C’est le risque de la surenchère des "antisystème", qui cherchent chacun à placer tous les autres du mauvais côté de la barrière, ou dans le même sac, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’un – ou une. À force de confusion, on aura renforcé un autre véritable système, gros, lui, de tous les dangers.

Le Monde, 17 mars 2017

La seule réponse au « système », c’est la critique

À voir la défense adoptée par M. Fillon face aux accusations qui lui ont été adressées par la presse, on est pris d’un vif regret portant sur l’efficacité et l’importance qu’une autre défense aurait pu avoir, non seulement pour lui-même, mais pour la France et pour la situation politique contemporaine, dans un de ses aspects les plus graves.

Car enfin, voici l’un des candidats qui se déclare le plus farouchement  » antisystème «  dans sa campagne, qui est accusé par certains articles de certains faits pouvant relever, à certaines conditions, de la justice. Qu’aurait donc pu et dû être sa défense, sa défense la plus logique et en quelque sorte même la plus obsessionnelle ? C’est bien simple, et il suffit pour le savoir de se rapporter à ce qu’est au fond un  » système « .

Fillon, l’occasion manquée

Un  » système « , le terme le dit assez, c’est quelque chose où  » tout  » se tient, et notamment des choses qui en apparence n’auraient rien à faire ensemble. Ainsi, dans quelques doctrines philosophiques, où  » tout  » découle d’un principe, de la logique formelle au sens de l’histoire en passant par les passions et les malheurs des hommes. Ou bien, dans quelques pratiques politiques, où l’on pratique en effet le mélange des genres entre les pouvoirs, parfois entre tous les pouvoirs, de la presse à l’argent en passant par le droit ou l’État (et par exemple dans les  » conflits d’intérêts  » qui sont toujours le principe de ces  » systèmes « ).

séparation et distinction

Mais alors, si tel est le cas, si tel est ce qui définit un  » système « , quelle est la seule réponse au système, ou au risque de système ? La réponse qui est, et qui doit d’ailleurs rester au principe de toute démocratie réelle, et de toutes les institutions réellement républicaines ? Cette réponse est bien simple, elle aussi, et elle saute aux yeux par contraste. C’est bien sûr la critique, et la séparation. La critique, qui signifie (et pas seulement par son étymologie) séparation et distinction. Une séparation qui, en politique et en République, est d’abord la séparation des pouvoirs. Mais plus largement encore, une critique qui peut s’exercer, jusque dans chaque pouvoir. On peut en tout cas le poser en principe : la seule réponse au système, c’est la distinction, c’est la séparation, c’est la critique.

On comprend alors comment M. Fillon aurait pu et dû se saisir avec force de cette occasion presque unique de lutter contre le système ! Distinguons, aurait-il pu et dû dire, presque obsessionnellement. Faisons appel aux institutions chargées de la distinction, à ces institutions que nous appellerons critiques. Heureusement d’ailleurs qu’elles existent et qu’elles se sont développées, dans les trente dernières années ! La plus récente sans doute, cette Haute Autorité pour la transparence de la vie publique que l’actuel gouvernement a mise en place après une  » affaire  » redoutable et potentiellement mortelle surgie en son sein (Cahuzac). Ou bien celles qui ont sauvé, on s’en souvient, le « système » de santé français, ces agences qui ont interdit, surveillé et critiqué sans relâche les conflits d’intérêts, après le scandale de la vache folle ou celui du sang contaminé. Sans elles, la propagande et la propagation du soupçon seraient devenues plus redoutables encore qu’elles ne le sont déjà ; et cette propagande le sait bien, puisqu’elle s’emploie sans relâche à les discréditer.

distinguer en effet, partout, et ne pas admettre que l’on confonde tout

M. Fillon aurait donc pu et dû non seulement recourir ou attendre que d’autres recourent à ces institutions, mais les soutenir et les revendiquer, jusqu’à l’obsession, justement contre le « système » ! Et, au-delà même de ces institutions politiques, distinguer, distinguer toujours ! Entre les articles de presse eux-mêmes, et parfois dans un même article : faire preuve de sens critique, et non pas tous les rejeter en bloc dans un « système ». Car il faut distinguer en effet, partout, et ne pas admettre que l’on confonde tout : la description des faits, le soupçon sans fondement et l’insulte parfois ignoble (jusqu’à l’accent d’une épouse qui en vient ainsi à porter sur elle une partie de la xénophobie ambiante).

Le travail critique, ressource vitale de la démocratie. Non pas certes une autocritique systématique, car elle devient alors (et ça s’est vu) aussi totalitaire que son contraire ; mais des distinctions dans chaque discours, et chaque institution, non pas pour ébranler, mais pour renforcer leur légitimité et la confiance publique, comme ligne de défense non seulement d’un individu, mais de la vérité, de la politique et de la République.

opposition massive

Au lieu de quoi qu’avons-nous entendu ? Encore un discours  » antisystème « . Et qui conduit à en redoubler encore le danger. Car il y a un premier danger. C’est de remplacer les distinctions critiques par l’opposition massive entre un  » système « , d’un côté, où  » tout  » serait mal, et, de l’autre côté, celui qui le critique et chez qui, bien entendu,  » tout  » serait bien ! Comme si tout était permis à celui qui dit que tous (les autres) sont pourris. Or, s’il y a toujours des progrès à faire dans les institutions contre le risque en effet chronique de devenir un système, il y a certes aussi des progrès à faire du côté de ceux qui critiquent ces institutions, s’ils croient pouvoir tout se permettre, et c’est toujours le cas.

Mais le danger se redouble encore, si celui qui s’en prend au système le fait pour se défendre, lui-même, d’y avoir participé. Non pas que nous en accusions ici quiconque (et par exemple M. Fillon) à notre tour ! Nous nous garderons bien de le faire, en tout cas de cette façon, et attendrons les études et les jugements critiques qui seront, par définition, mesurés. Mais il est facile de voir le nouveau danger qui risque de surgir alors. C’est le risque de la surenchère des  » antisystème « , qui chercheront chacun à placer tous les autres du mauvais côté de la barrière, ou dans le même sac, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’un – ou une.

à force de confusion on aura renforcé un autre véritable système

Alors en effet tout le monde y aura perdu, et on risque d’y avoir tout perdu. On s’apercevra trop tard qu’en se trompant de défense, qu’en ne critiquant pas le  » système  » ou le tout, grâce à des distinctions, grâce aux principes qui dans chaque démocratie nous en préservent, mais en le renforçant encore, à force de confusion, on aura renforcé un autre véritable système. Le système de ceux qui prétendent critiquer (sans distinction) le système, mais qui risquent ainsi de produire ce qu’ils prétendaient dénoncer chez les autres, et de l’aggraver encore, pour nous imposer non pas un tout, ou une totalité mais, bel et bien, le totalitarisme.