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29 novembre 2012

Personne n’est mieux protégé qu’hier des charlatans Roland Gori, propos recueillis par Marine Lamoureux, La Croix 20 novembre 2012 – précédé de « Peut-on continuer de nous ignorer en restant honnête ? » par Philippe Grauer

PEUT-ON CONTINUER DE NOUS IGNORER EN RESTANT HONNÊTE ?

par Philippe Grauer

protection uniquement du titre

Roland Gori (1) oublie que lorsque le législateur (Claude Évin) penché sur un autre des quatre pans du carré psy, a édicté la loi sur l’usage professionnel du titre de psychologue, le 25 juillet 1985, il a procédé, naturellement, à la française(2), en renonçant fort sagement d’accomplir le 13ème des travaux d’Hercule consistant à définir la psychologie, ce qui eût été pire que le nettoyage des écuries d’Augias – il a compris immédiatement que ça n’est pas de son ressort, et s’est contenté de procéder à l’unique définition et protection d’un titre. Ce dont les psychologues se sont déclarés enchantés.

Ils en ont immédiatement profité pour exclure de l’homologation au dit titre leurs collègues du SNPPsy pourtant à l’époque membres comme eux de l’ANOP – Association nationale des organismes de psychologie –, qui se réclamaient eux de la pratique de la psychothérapie. Au motif qu’un psychothérapeute précisément ça n’était pas et ne serait jamais, eux vivants, un psychologue (3)). Fort bien. Le législateur légifère, les professionnels se définissent, souverainement, même si ce fut en l’occurrence non sans quelque peu on peut le dire maintenant, de crapulerie institutionnelle, le corporatisme étant ce qu’il est.

critique des ARS

Voici que Roland Gori revendiquerait presque à présent une définition par le législateur du domaine de la psychothérapie. Les dieux nous en gardent, sinon, la dénonciation par le même Gori du règne des experts aurait dans ce domaine du grain à moudre pour l’ensemble du siècle. D’ailleurs les experts nommés aux ARS, au dire du même Roland Gori ne font pas des merveilles, il dénonce le fonctionnement bureaucratique de leurs commissions. Leurs « critères, remarque-t-il fort justement, sont très souvent techniques et formels, et ne préjugent en général en rien de l’expérience et de la compétence du candidat.« 

valoriser des parcours de compagnonnage et d’expérience clinique

Et quand il ajoute à juste titre que le diplôme (de psychologue clinicien) n’est pas une garantie, et qu’il en décline la juste idée qu’il faudrait plutôt être capable de valoriser des parcours de compagnonnage et d’expérience clinique, avec des contrôles réguliers de la formation il sait bien qu’il décrit le protocole même que les autoréglementateurs en particulier SNPPsy-AFFOP ont mis en place avec leurs Cinq critères depuis bientôt deux générations. Simplement, fidèle en ceci à sa double corporation, de psychologue et de psychanalyste, loin de lui d’aller reconnaitre publiquement que ses collègues de la rue d’en face, qu’il connaît et estime en privé, remplissent les conditions qu’il définit pour sa crèmerie. Nos professions sont rongés par deux maux, l’experticisme et le corporatisme. C’est aux meilleurs d’entre nous de s’insurger contre ces plaies, et de commencer à reconnaître la juste et bonne existence de l’autre. Pour des spécialistes de l’autre, voire du grand Autre, ce devrait ne pas être impensable. De la part d’un honnête homme comme Roland Gori on serait en droit de l’espérer.

psychothérapeute : normalisation au profit des courants en vogue en psychologie

Nous sommes en ce qui nous concerne à nouveau d’accord avec ce dernier quand il dénonce la tendance à une certaine normalisation de la psychothérapie, enfin la psychothérapie c’est celle si on comprend bien des psychologues cliniciens, la psychothérapie c’est ma psychothérapie c’est bien connu – c’est pour cela que nous nous sommes donnés la peine de définir la psychothérapie relationnelle, la nôtre –, normalisation au profit des courants en vogue en psychologie rappelons-le, normalisation au profit d’une vision biologisante et comportementaliste, d’une vision déshumanisante, lâchons le mot, antihumaniste, de la pratique(4).

le mur du corporatisme

Paradoxalement, le dispositif qui protégerait le mieux le public contre l’imposture professionnelle serait celui des cinq critères, qui garantissent le fameux compagnonnage, à l’issue d’une formation et surtout d’un apprentissage, ce serait encore celui autorisant les psychopraticiens relationnels®, ceux dont le numéro spécial de La Croix n’a toujours pas entendu parler, même à l’issue d’une rencontre avec le président de la FF2P, ceux que Roland Gori pense peut-être qu’il vaut mieux ignorer s’il veut maintenir son image de représentant de la psychologie clinique. Le mur du corporatisme est-il donc à ce point ni fissurable ni escaladable ?


Roland Gori, propos recueillis par Marine Lamoureux, La Croix 20 novembre 2012 – précédé de « Peut-on continuer de nous ignorer en restant honnête ? » par Philippe Grauer

PERSONNE N’EST MIEUX PROTÉGÉ QU’HIER DES CHARLATANS

par Roland Gori
psychanalyste, professeur émérite de psychopathologie clinique à l’université d’Aix-Marseille (1)

Propos recueillis par Marine Lamoureux


ces textes ont eu des effets pervers et aujourd’hui, personne n’est mieux protégé qu’hier

« L’intention du législateur était légitime, à savoir de permettre aux patients de distinguer les professionnels compétents des charlatans. Le problème, c’est que la mise en œuvre, qui s’est traduite par la loi de 2004 et le décret d’application de 2010 (NDLR : lire notre enquête), n’a pas rempli cet objectif. Pire : ces textes ont eu des effets pervers et aujourd’hui, personne n’est mieux protégé qu’hier.

Dès le départ, le législateur s’est heurté à la difficulté majeure de définir la psychothérapie. Ainsi, au lieu de s’attacher à la question des compétences et des conditions d’exercice des professionnels, on s’est focalisé sur la forme, en l’occurrence la protection du titre de psychothérapeute. Rien n’est donc réglé sur le fond. Par ailleurs, plusieurs problèmes se posent : d’une part, les commissions chargées de contrôler l’attribution de ce titre ne sont pas toujours impartiales et retiennent des critères différents d’un bout à l’autre du territoire. Cela dépend, en fait, de leur composition, les membres étant nommés par les agences régionales de santé et non pas élus. D’autre part, ces critères sont très souvent techniques et formels, et ne préjugent en général en rien de l’expérience et de la compétence du candidat. Je vous donne un exemple : il est plus facile de justifier de cinq ans d’exercice en fournissant à la commission ses feuilles d’Urssaf – sans que l’on ait la moindre idée de la manière dont vous avez travaillé pendant ces années – que de faire la preuve de votre expertise clinique. J’ajoute que le diplôme n’est pas une garantie ; il faudrait plutôt être capable de valoriser des parcours de compagnonnage et d’expérience clinique, avec des contrôles réguliers de la formation.

Dernier point clé, à mon sens : la tendance à la normalisation de la psychothérapie. Avec ce système, on tend à valoriser les courants en vogue et ayant pignon sur rue, notamment, en ce moment, une vision biologisante et comportementaliste de la prise en charge, au détriment des autres approches, pourtant tout aussi essentielles.

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