Mon cher Laurent,
Merci d’avoir mis sur Oedipe l’information de la convocation du 15 juin adressée par Monsieur Francis Brunelle, conseiller de Xavier Bertrand, à un certain nombre de personnes et de sociétés, et ayant pour objectif de définir les critères “permettant une reconnaissance des sociétés psychanalytiques”.
J’avoue que quand j’ai vu ce “document”, j’ai été, non pas étonnée (je m’y attendais), mais effarée. Effarée par la manière dont il est rédigé et par la “liste” des destinataires auxquels il s’adresse.
Il est clair, depuis le début de cette affaire, que je n’ai nulle intention de me mêler de la politique des sociétés psychanalytiques. Mais nous avons là une archive qui révèle des négligences inadmissibles de la part d’un Ministère. Si ce Ministère s’autorise une telle convocation, c’est bien la preuve, comme l’a fort bien écrit Jean-Pierre Sueur, de l’inapplicabilité de cette loi et des futurs décrets qui ne manqueront pas d’en découler.
Ce “document” est en soi l’expression d’une double incohérence : celle présente dans la loi elle-même et celle suscitée par cette loi dans l’esprit de nos gouvernants qui semblent ne rien comprendre à ce qu’ils font.
Quand on découvre la liste des “convoqués” du 15 juin, on trouve en effet pêle-mêle des noms de secrétaires de sociétés psychanalytiques, des sigles de sociétés psychanalytiques, des noms de membres de ces sociétés qui n’exercent pas ou plus de fonctions représentatives dans leurs sociétés. À quoi s’ajoutent des sigles de sociétés qui n’appartiennent pas au champ psychanalytique français et des noms de personnes dont on se demande ce qu’elles viennent faire là.
Comme tu le sais, j’ai rencontré à plusieurs reprises les responsables du Ministère de la Santé. Par deux fois, aussi bien lors de mon entrevue avec Xavier Bertrand que lors de mon entretien très cordial et chaleureux avec Francis Brunelle, j’ai insisté pour que le Ministère ne fasse pas n’importe quoi dans un dossier d’une infinie complexité. En d’autres termes, j’ai eu soin, comme je le fais dans la presse et dans mes livres, de fournir au Ministère des chiffres exacts (ils sont publics) sur le nombre des psychanalystes, psychologues, psychiatres et psychothérapeutes afin que ne soient pas diffusées des informations erronées. J’ai aussi, à la demande du Ministère, souligné qu’il existait une liste publique du nombre des sociétés psychanalytiques en France (l’information figure dans plusieurs livres).
Stricto sensu, il existe à ce jour 17 sociétés psychanalytiques “nationales” (dont le siège est à Paris) mais qui comptent parmi elles des membres étrangers et des provinciaux. Je n’inclus dans ce chiffre ni les sociétés régionales (en nombre croissant et dont certains membres appartiennent aussi à des sociétés “nationales”, il faudra d’ailleurs un jour les répertorier, je m’y emploie), ni les divers groupes inter-associatifs, ni les fondations, ni les internationales, ni les sociétés savantes, ni les associations universitaires qui, tout en se réclamant de l’enseignement de la psychanalyse à des titres divers, ont un statut historique et clinique différent. Je ne compte dans les 17 que les sociétés psychanalytiques (petites ou grandes) issues peu ou prou, par scissions successives, de la SPP (fondée en 1926), et qui forment des psychanalystes, c’est-à-dire des cliniciens qui se réclament de tous les courants issus du freudisme classique (de Freud à Lacan en passant par Melanie Klein, Ferenczi, Winnicott, Kohut, Dolto, etc). Il va de soi que n’entrent pas dans cette comptabilité les jungiens, les adlériens, les psychothérapeutes de toutes tendances, même si dans les rangs de ces derniers, il y a des psychanalystes formés d’ailleurs dans les écoles psychanalytiques. On peut faire d’autres classifications que la mienne mais je crois que depuis 25 ans, la mienne s’est révélée assez exacte. Elle permet, en tout cas, de produire une comptabilité rationnelle du champ du freudisme en France.
Or, le ministère a convoqué pour le 15 juin n’importe quoi et n’importe qui : je le répète, on trouve dans cette convocation tantôt des noms, tantôt des sigles et tantôt des personnes qui ne sont pas identifiables comme faisant partie du champ psychanalytique. Cette convocation est un mélange d’arbitraire et de négligence et elle témoigne du fait que le Ministère, qui est pourtant informé, continue à ne pas tenir compte de la simple réalité objective.
Quelques exemples : pourquoi la SPP est-elle convoquée en tant que sigle et non pas par le biais de son président actuel? Pourquoi au contraire l’ECF est-elle convoquée à travers sa présidente? Pourquoi l’APF est-elle convoquée par le biais de son ancien président (Beetschen) et non pas à travers son actuel président (Widlöcher) dont on sait qu’il sera présent le 15 juin ? Pourquoi la SPF est-elle convoquée par le biais d’une secrétaire sans que soit mentionnée ni son nom ni le nom de son président? Pourquoi le nom d’Espace analytique n’est pas mentionné alors que son président actuel sera présent le 15 juin ? Enfin, plusieurs personnes sont convoquées sans que l’on sache à quel titre et alors même, qu’en tant que telles, elles ne représentent aucune association psychanalytique, même si l’on sait qu’elles sont, par ailleurs, membres de l’une au de l’autre.
En décryptant la convocation, on s’aperçoit en outre que 9 sociétés psychanalytiques sont convoquées sur un total de 17. Quand on sait qu’il s’agira au cours de cette discussion de définir les critères par lesquels les sociétés psychanalytiques françaises entendent se définir, on se demande vraiment comment travaillent, depuis maintenant trois ans, les responsables de ce dossier au Ministère.
J’ai l’intention d’adresser à ce sujet un courrier au Ministre pour lui demander quelques explications sans pour autant intervenir dans les décisions que prendront les institutions psychanalytiques face à une telle convocation.
Bien à toi. Tu peux mettre l’intégralité de cette lettre sur Œdipe.