LA GUERRE DES PSYS N’AURA PAS LIEU
(paru dans « le quotidien du médecin »)
Mercredi 23 novembre 2005
PLUSIEURS événements semblent avoir déclenché cette polémique : le rapport sur la « pratique de la psychothérapie » de l’Académie de médecine (2001-2003), la proposition d’amendement Accoyer proposant un statut du psychothérapeute, la remise au ministre de la Santé (15.9.03) du plan d’actions pour le développement de la psychiatrie, et la promotion de la santé mentale (Drs Clery-Melin, Kovess et Pascal) proposant, entre autres, de créer une nomenclature, une habilitation des professionnels, des indications et des règles de prescription, une évaluation, voire une prise en charge, par l’assurance-maladie et l’expertise collective Inserm, qui fait la synthèse de l’ensemble des données scientifiques internationales actuellement disponibles sur l’efficacité thérapeutique des psychothérapies dans différents troubles mentaux. Ces initiatives, bien que traitant du même sujet, n’ont pas la même finalité, ni les mêmes conclusions, et on peut regretter qu’elles aient été amalgamées, par l’outrance de certains, qui y ont vu un complot d’État. Au-delà de ce procès d’intention, dont les extrémistes d’un autre âge étaient coutumiers, certains éléments de confusion doivent être clarifiés pour pacifier notre discipline : celle qui confond demande et besoin de soins, souffrance psychique et troubles psychiatriques, et celle qui concerne les traitements psychiatriques et ceux qui sont habilités à les prodiguer.
Besoin de soin et demande de soin
L’évolution du soin psychiatrique vers la promotion de la santé mentale a complètement bouleversé l’adéquation entre la notion de besoin de soin et celle de demande de soin, notamment psychothérapeutique. On lui demande de porter secours à la détresse morale des exclus, de prévenir les conséquences psychopathologiques des catastrophes ou des accidents, de réguler la violence sociale, d’assumer le mal-être des adolescents, quand ce n’est pas de promouvoir le bonheur ou la réussite par l’affirmation de soi… Si toutes ces missions sont légitimes, elles ne sauraient être mises sur le même plan, particulièrement à une époque où chacun prend conscience que les moyens affectés à l’offre de soins ne sont pas illimités. Il convient donc de distinguer :
— les difficultés psychologiques : sentiment subjectif de malaise, d’inconfort, de morosité, d’insatisfaction, de manque de confiance en soi ; modalités relationnelles conflictuelles en famille, au travail, avec ses amis, son conjoint ; souffrance secondaire à un deuil, à une perte ou à un échec (licenciement, déception sentimentale…) ; sexualité mal assumée, etc., qui justifient plus une intervention psychologique ou psychanalytique que psychiatrique ;
— les troubles mentaux, comme la schizophrénie ou le trouble bipolaire, pour lesquels existent des traitements dont l’efficacité est parfaitement établie et qui nécessitent donc une réponse médico-psychologique. En sachant néanmoins que la « frontière » est parfois confuse entre les deux (par exemple, entre une timidité marquée et une phobie sociale sévère) et que le retentissement social ou la gêne fonctionnelle ne sont pas nécessairement plus importants dans un champ que dans l’autre (par exemple, un patient maniaco-dépressif bien traité peut être moins handicapé par sa maladie qu’un(e) veuf(ve) qui n’arrive pas à reconstruire sa vie. Enfin, un patient souffrant de schizophrénie est exposé, plus que tout autre, à des conflits avec autrui, des frustrations, des problèmes sexuels, des moments de découragement…
— les détresses psychosociales pour lesquelles une contribution de la psychiatrie doit s’intégrer dans une réponse pluridisciplinaire. C’est le cas, par exemple, de l’aide aux victimes, aux exclus… Quoi qu’il en soit, le sujet en souffrance psychologique n’a pas nécessairement conscience de la nature de ce dont il souffre et, donc, de l’interlocuteur auquel il doit s’adresser. De plus, cette demande ne correspond pas toujours à un besoin identifié par les autorités sanitaires ou susceptible d’être pris en charge par la société. De la même façon que chacun aime améliorer son image, personne ne considère que les soins de beauté ou même la chirurgie esthétique doivent être financés par l’assurance-maladie, alors qu’il est évident que la chirurgie réparatrice d’un visage défiguré par un accident le sera. Pourtant, il est des disgrâces physiques qui peuvent gâcher toute une vie…
Il ne s’agit donc pas de dire que certaines souffrances seraient plus recevables que d’autres, mais de considérer que toutes les démarches de demande de soins ne doivent pas être appréhendées de la même manière. Certaines résultent d’une initiative individuelle, comme le fait d’entreprendre un travail de réflexion introspectif, alors que d’autres correspondent à un besoin sanitaire explicite. Dans un cas, c’est la liberté individuelle qui s’exprime (au même titre que de s’imposer des règles diététiques ou d’optimiser sa forme physique par un entraînement sportif), dans l’autre, c’est la responsabilité collective qui est interpellée pour porter assistance à un malade.
La distinction doit toutefois être nuancée, car un malade peut bénéficier de plusieurs niveaux d’intervention. Ainsi, de même qu’un patient diabétique reçoit un traitement hypoglycémiant, suit un régime et se voit proposer la pratique d’un sport, un patient souffrant d’un trouble schizophrénique devra recevoir un traitement antipsychotique et, éventuellement, une prise en charge psychothérapeutique, ce qui n’exclut pas qu’il puisse bénéficier, si nécessaire, d’une thérapie familiale, voire de participer à des activités de psychothérapie à médiation artistique qui peuvent faciliter sa resocialisation ou lutter contre son apragmatisme. Les troubles mentaux ont un déterminisme multifactoriel et leur prise en charge est souvent multidisciplinaire. Les propositions thérapeutiques ne sont pas exclusives les unes des autres, certaines sont nécessaires, d’autres, accessoires. En aucune manière elles ne sauraient être opposées les unes aux autres.
Pluralité des traitements psychiatriques
La médecine dispose de différents moyens pour traiter les troubles mentaux : biologiques (médicaments psychotropes, stimulation magnétique transcrânienne, luxthérapie, agrypnie, etc.), sociothérapeutiques, qui vont des mesures de protection sociale à l’ergothérapie, et psychothérapeutiques. A coté de ces grandes catégories de psychothérapie (d’inspiration analytique, cognitivo-comportementales…) que l’on peut qualifier de structurées, il convient de rappeler que la plupart des relations soignant-soigné comportent une dimension psychothérapeutique ; c’est le cas du réconfort qu’un médecin généraliste apportera à un patient souffrant d’une affection somatique, de la compassion d’une infirmière dans une unité de soins palliatifs, des mots d’encouragement d’un kinésithérapeute assurant la rééducation motrice d’un paraplégique…
Qui aurait la prétention d’affirmer que l’une est plus utile que l’autre ? L’objectif du soin étant de restaurer un état de bonne santé, ses modalités prennent en compte la situation du sujet et sa demande. L’analyse de la problématique et la stratégie thérapeutique seront donc très différentes selon que l’on reçoit un adolescent en situation de crise identitaire sans dysfonctionnement social majeur ou un jeune psychotique qui a des troubles du comportement, source de désocialisation. Il est donc souhaitable qu’une première étape d’évaluation de la demande et éventuellement de diagnostic précède le soin. Puis il convient de distinguer les différents niveaux d’intervention :
— l’aide, le réconfort, l’écoute, qui ne sont d’ailleurs pas nécessairement le fait d’un soignant et peuvent être prodigués par un « aidant naturel » (famille, amis..) ;
— le soutien et le conseil susceptibles d’être prodigués par les professionnels de la santé de manière adaptée à chaque cas et selon les compétences de chacun ; un médecin généraliste pourra, par exemple, faire des recommandations à un patient déprimé ou l’informer sur son trouble en plus de son éventuelle prescription ;
— le travail psychothérapeutique structuré, qui peut avoir différents objectifs, comme la simple disparition des symptômes ou une prise de conscience plus approfondie. Le choix du niveau d’intervention est fonction de la demande du patient, de ses possibilités de verbalisation, de la nature de son trouble, des disponibilités en thérapeutes autour de son lieu de résidence…
De surcroît, plusieurs niveaux peuvent être conjugués. On peut attendre du réconfort de son entourage, des conseils de son médecin généraliste et une psychothérapie structurée d’un spécialiste. Il n’y a pas lieu d’opposer, de manière dogmatique, une technique contre une autre.
Malentendu sur le statut de psychothérapeute
Le caractère polémique des débats à propos du statut de psychothérapeute résulte des ambiguïtés à propos de ce que l’on entend par psychothérapie, ainsi que sur leur finalité, comme nous venons de le voir. Mais il est également le fait de malentendus sur cette fonction et sur ceux qui seraient habilités à l’exercer. Un certain nombre de points doivent être pris en considération :
— l’absence d’un statut de psychothérapeute empêche le public d’avoir l’assurance que son interlocuteur n’est pas un psychothérapeute « autoproclamé » sans formation ni expérience. Une information claire et valide sur les psychothérapies et ceux qui les pratiquent est donc nécessaire. D’autant plus que les personnes en situation de souffrance psychologique sont plus vulnérables et crédules ;
— la psychanalyse inspire certaines formes d’exercice psychothérapeutique sans être, à proprement parler, une psychothérapie ; de nombreux psychanalystes ne souhaitent d’ailleurs pas être considérés comme des psychothérapeutes, puisqu’ils n’ont pas toujours un objectif de soin. Encore qu’ils soient d’autant plus loin d’avoir une position univoque sur ce sujet que certains sont médecins, psychiatres, psychologues, tandis que d’autres n’ont suivi qu’un cursus philosophique ou littéraire ; les médecins, les psychiatres et les psychologues n’ont pas nécessairement une formation à une technique psychothérapeutique structurée, si ce n’est l’expérience de la relation (la prescription du médecin par lui-même, comme le disait Balint). Ils ne sauraient donc être psychothérapeutes de droit (comme l’envisage l’amendement Accoyer) sans une formation spécifique ;
— le fait d’avoir une formation ou une expérience psychothérapeutique ne présuppose pas que l’on soit en mesure d’en poser les indications de manière adaptée ou de concevoir un projet de soin structuré, notamment lorsque l’on se situe dans le champ des troubles mentaux caractérisés et pas dans une démarche singulière de compréhension de soi.
L’exercice reconnu de la psychothérapie, dès lors qu’il s’inscrit dans une démarche médicale, se devra de répondre à ces questions, au-delà des références théoriques qui focalisent actuellement l’affrontement stérile entre idéologues de tout bord. Aucun traitement ne saurait être universellement applicable à tous les patients, quel que soit le trouble psychologique ou psychiatrique dont ils souffrent. Aucun professionnel ne saurait se prévaloir d’une technique de soin adaptée à toutes les demandes. D’autant qu’elles connaissent une progression exponentielle et que la majorité des thérapeutes sont débordés. C’est pourquoi la guerre des psys n’a pas lieu d’être !
[1] Cmme (Clinique des maladies mentales et de l’encéphale), hôpital Sainte-Anne, 100, rue de la Santé, 75014 Paris
Source : http://www.neuropsy.fr