Tim Greacen et Philippe Chevalier. Folie & justice, relire Foucault, Érès, 2009,
Thierry Jean, Collectif. Faut-il juger et punir les malades mentaux criminels ? Erès, 176 p.-
Résumé : Sur un sujet judiciaire sensible, mais aussi emblématique de nos conflits moraux et sociaux, d’excellentes contributions, lisibles par tous, où les acteurs concernés exposent publiquement leurs doutes et leurs stratégies.
Nous livrons ces analyses de Pierre-Henri Castel à titre documentaire. Le lecteur est prié de les utiliser en faisant toute sa part à sa position criitique. Si le DSM a triomphé, ça n’est pas à cause de son excellence. Voir à ce sujet notre note 7. Le reflux de son délire (un tout autre « plus du tout aux États-unis ») commence à se faire sentir aux Étas-unis, d’initiative de la société pensante, au moment donc où en France on s’applique à fond à en faire les choux gras d’une psychiatrie régressée à la neurologie, avec l’effet d’entraînement regrettablement scientiste qu’on connait.
Philippe Grauer
Comment s’élever au-dessus des passions populaires tout en pénétrant dans les arrière-cuisine enfumées de la médecine légale? Tel est le défi que relèvent avec beaucoup de bonheur deux collectifs récents.
– Le premier, sous la direction de Tim Greacen et Philippe Chevalier, le premier psychologue et chercheur, le second philosophe, met en perspective la réception, et l’impact éventuel, de Foucault sur l’expertise psychiatrique en matière pénale.
– Le second, dirigé par Thierry Jean, psychiatre et psychanalyste, restitue les interventions passablement mouvementées d’un autre colloque encore, organisé sous les auspices du Journal Français de Psychiatrie.
Ces deux collectifs ont des auteurs en commun, Denis Salas, juriste, qui a notamment réfléchi ces dernières années sur le « populisme pénal » (1) et Daniel Zagury, psychiatre, qui a participé comme expert à un nombre considérable de grands procès criminels où la question de la folie des inculpés était au premier plan des débats (2), et qui a publié sur les problèmes de l’expertise psychiatrique en matière criminelle une impressionnante série d’articles fortement marqués par la psychanalyse.
Mais ces deux recueils présentent des visages extrêmement différents, quoique complémentaires. Faut-il juger et punir les malades mentaux criminels ? fait la part belle aux empoignades des psychiatres, armés de conceptions encore une fois fortement psychanalytiques et même lacaniennes, avec des magistrats, des juristes, des avocats en vue (Henri Leclerc), avec un feu révélateur. Les témoignages sur ce qui se passe très pratiquement, très crûment, quand on expertise un malade mental criminel, et quand on arrive à la barre pour rendre compte de ses observations devant une cour et un jury populaire ont une sorte de fraîcheur et de sincérité tout à fait frappantes.
Il n’est pas courant de voir des acteurs sociaux investis d’une pareille responsabilité avouer publiquement leur embarras, les incertitudes de la clinique, leurs dilemmes éthiques, l’inextricable interdépendance de leur clinique et de leur éthique dans le moindre jugement sur ce qui est ou ce qui s’interprète comme « fou », mais aussi leurs petites et grandes manœuvres de prétoire, parfois également leur effroi devant les conséquences d’envoyer celui-ci à l’hôpital plutôt qu’en prison, et tout autant, d’envoyer celui-là en prison plutôt qu’à l’hôpital… Cette exhibition impressionnante, cas à l’appui, a quelque chose de salutaire. Il en ressort bien sûr un sentiment puissant que la justice est humaine et non idéale. Mais surtout, ces débats et ces exemples contribuent à calmer l’énervement si banal (quand on n’a pas vu les auteurs des faits ni leur procès) comme quoi, « bien évidemment », Untel aurait dû être déclaré pénalement irresponsable, ou au contraire, puni sans pouvoir bénéficier d’une excuse au titre de sa folie.
Car, qu’on soit d’ailleurs du métier ou Monsieur Tout-le-monde, ces « évidences » qui sautent aux yeux résistent mal à la mise en série des « petits détails » troublants qui ne manquent jamais, absolument jamais, d’émailler l’expertise et toute la procédure. Le lecteur, d’abord atterré par ce qu’il lit, et qui s’en scandalisera certainement, se sent ainsi, doucement, gagné par l’humilité des meilleurs intervenants. Il n’en croira pas ses yeux de ce qui se trame dans les coulisses de ces procès de « fous criminels, et cependant, il prend peu à peu conscience que ces absurdités et ces paradoxes ne sont pas, ou pas toujours, la trace manifeste d’une incompétence ou d’un défaut sidérant de sens moral chez tel ou tel expert ou magistrat, mais l’effet implacable sur la pensée et l’action humaine d’un impensable qu’on ne soupçonnait pas, ou encore, d’un choix entre le pire et l’encore pire dont personne ne sort indemne.
Plutôt que ces grands discours ratiocinants où les acteurs de ces procès terribles tentent laborieusement de se justifier devant une « opinion publique » vague et toujours vécue comme n’y comprenant rien, les contradictions des invités de Thierry Jean sont, à mon avis, un premier pas vers la réconciliation des citoyens avec l’expertise psychiatrique des fous criminels. A coups d’anecdotes, jamais généralisables, et pourtant parlantes, en s’interrogeant, comme D. Zagury le fait avec une rare précision sur l’histoire de la jurisprudence et sur les motifs parfois très subtils de son évolution, en écoutant enfin tel ou tel expert expliquer pourquoi il a fini par renoncer à exercer, et dans quelles circonstances précises, aucune solution n’émerge, bien sûr, mais la lumière se fait beaucoup plus vive sur ce qui rend inconciliables les positions des uns et des autres. C’est ce qu’on appelle éclairer l’opinion.
Ceci dit, on n’en est que plus sensible à certains effets de discours d’autant plus mécaniques et convenus que, s’ils permettent certainement à tel expert de supporter son rôle et sa responsabilité, ils constituent sur un autre plan des limitations dont il faut prendre acte. Faut-il juger et punir les malades mentaux criminels? a tendance, du moins par endroit, à tenter de mettre tout le monde d’accord (c’est-à-dire psychiatres et juristes) sur le dos des victimes, ou des associations de proches de victimes, dont la revendication de publicité, l’exigence qu’on juge quand même, en un sens ou un autre, l’auteur fou des crimes, sont constamment dénoncées.
Assurément, l’expert est le bouc émissaire désigné de ces plaignants meurtris. Et les psychiatres supportent mal de se voir reprocher de soustraire à la justice des gens que le commun des mortels ne trouvent pas si fous, ou du moins, pas assez fous pour ne pas avoir à supporter, comme les victimes et leurs proches, l’établissement des faits et leur jugement par le tribunal. Même s’ils se tiennent dans le box, hagards, une écume blanche ruisselant de leur bouche, drogués pour ne pas perturber l’audience…
Or peut-on rejeter si aisément cette pression populaire comme une « honte pour la justice », ou comme certains l’ont soutenu, le qualifier de redoublement d’inhumanité ? Et si c’était le prix à payer pour une justice rendue par le peuple ? Et qu’il s’agit peut-être d’un moindre mal. Et si c’était négliger que l’expertise psychologique a des bases elles-mêmes parfaitement ordinaires, et non « expertes », comme si l’expert était équipé d’un appareil mental, ou psychique, d’une essence raffinée et supérieure à celle des jurés et des magistrats ?
Bref, que l’expert ou le magistrat sont eux aussi des citoyens comme les autres, dans la tache d’éclairement des faits qu’on leur délègue. Que l’expert en ait vu d’autres, on le lui accorde. Qu’il ait des yeux différents de nous, c’est autre chose. En un sens nullement anodin, le procès du fou criminel est donc une épreuve de vérité pour la démocratie en matière judiciaire. S’y joue la possibilité de laisser tomber des effets d’autorité accessoires (le diplôme de médecin, l’inscription sur la liste, le jargon scientifique, etc.), en faisant réellement confiance à la possibilité de faire passer quelque chose de ce qui est ou non compréhensible dans un acte extraordinaire, auprès de jurés « populaires » en un sens non-péjoratif — en travaillant au contraire à mettre la technicité de l’expertise au service de cette égalité entre citoyens qui demandent à être éclairés.
Il suffit de songer, pour observer tous les effets de ce décalage révélateur, à ce qui se passe dans d’autres systèmes de droit, par exemple aux États-Unis, où ce ne sont pas les personnes des experts sur la foi de leur diplôme et de leur inscription sur une liste, mais les méthodes d’expertise qui sont autorisées ou permises par le tribunal, et où accusation et défense ont chacune leurs experts. Par exemple, l’affaire d’Outreau ne serait pas possible dans bien des Etats américains, parce qu’il y est interdit de se servir de dessins d’enfants ou encore de tests projectifs. Ce sont d’autres effets d’autorité, différents des nôtres, qui jouent alors, mais aussi une autre manière de respecter les jurés populaires, et une autre encore de tenter de les influencer.
Mais questionner ainsi les positions de l’expert, critiquer sa prétention naturelle non seulement à en savoir plus que le juré naïf, mais à être psychiquement équipé pour détecter des propriétés invisibles au commun des mortels, c’est un terrain plus difficile. Si l’expert est quelqu’un qui peut seulement mieux dire, mieux mettre en perspective, ou mieux déplier l’implicite, alors il faudra qu’on élabore un jour un discours déterminé sur la rhétorique de l’expertise, sur la manière souhaitable de faire sentir ce qui est en cause dans des actes « fous », de laisser autrui, dans sa généralité toute simple (celle du citoyen ordinaire), s’en faire une idée, et d’en faire passer quelque chose avec rigueur — sans en confisquer le sens.
C’est alors que la référence à la psychanalyse, omniprésente en France, pose à son tour un problème. On se scandalise de la naïveté qu’il y aurait à prétendre, comme certains avocats l’ont fait, et des associations de victimes et de proches de victimes, que le procès public des fous contribuerait à aider les victimes à « faire leur deuil ». Naïveté, il y a sans doute, par exemple, quand les parents d’un enfant violé et assassiné découvrent avec épouvante lors du procès que l’assassin présumé se sert du procès lui-même pour les torturer eux aussi, par ses silences, ses contradictions, voire ses sourires mystérieux et (peut-être) délirants. Ils attendaient des réponses, un apaisement lié à une certaine sorte de compréhension, même parcellaire. Ils se retrouvent avec un surcroît d’angoisse et une haine inexpiable.
Mais, si ces situations existent, sont-elles la règle? Et même si elles sont sans doute fréquentes, est-ce une raison pour juger a priori que, si fou soit-il, tel prévenu n’exploitera pas l’audience publique pour un geste comparable à celui du caporal Lortie de Pierre Legendre: énoncer une sorte de vérité dont je ne vois pas bien pourquoi on la disqualifierait d’avance (3). « Faire leur deuil » n’est probablement pas ce qui attend les victimes au procès de l’auteur du crime qui les a atteints. Mais comment prendre cela (si c’est bien le cas) ? Comme la preuve qu’ils se trompent dans leurs espérances ? Ou comme une indication sur ce que pourrait être l’accompagnement psychologique du fou criminel ? De façon extrêmement suggestive, les experts convergent pour dire que Untel juste après avoir commis son crime fou n’est pas Untel juste avant d’être jugé, ni Untel après le verdict ou après l’ordonnance de non-lieu. Fort bien, mais pourquoi cela devrait-il rester simple description de ce qui se passe, et non incitation à tenter d’agir en conséquence ?
Quant à la référence à la psychanalyse, notez que c’est toujours une référence à la « bonne » psychanalyse, pas celle des naïfs, qui espèrent « faire leur deuil » une fois le traumatisme devenu pleinement conscient et passé par les grandes portes symboliques de la décision de justice. C’est donc celle des savants ou des demi-savants, qui savent, eux, que le sens freudien exact de « deuil » exclut cela. C’est un peu facile. On ne peut pas avoir le bénéfice de l’autorité psychanalytique sur les contenus secrets de l’âme des fous criminels, ni affirmer en bonne doctrine freudienne « qu’il n’y a pas d’innocence dans le sujet » (4), et imaginer que de pareilles idées peuvent rester sous le contrôle des experts.
Leur efficacité implique qu’elles lui échappent, et que les gens ordinaires se les approprient à leur façon. C’est même très précisément parce qu’ils se les approprient à leur guise qu’ils acceptent aussi que l’expert en fasse usage de façon si étrange, en leur parlant de tout ce que l’enfance ou la sexualité du prévenu donne à voir des conditions de son passage à l’acte. Là encore, une réflexion manque, qui ne soit pas facile dénonciation de ce que les jurés populaires, ces pauvres gens, n’arrivent pas à s’enfoncer dans la caboche, sur ce que, très positivement, devrait être la rhétorique de l’expertise psychiatrique, ou son éthos, et pas juste son éthique. Parler « en psychanalyste », en tout cas, ce n’est sûrement pas parler « de » psychanalyse, ni même « avec » de la psychanalyse, ou un équivalent, pour faire plus chic. Pourquoi par exemple faudrait-il faire appel à un psychiatre « pour savoir si celui qui a commis un délit était ou non décédé subjectivement [sic] au moment où cet acte a été commis » (5).
Dit ainsi, c’est-à-dire de façon délibérément experte, l’argument est circulaire. Un « décès subjectif », ça ne s’observe pas comme ça… Il faut des yeux bien spéciaux pour l’observer. Mais n’est-ce pas confondre les moyens rares et difficiles de faire entendre que quelqu’un n’y était plus quand il a agi, ou que l’intention manquait à l’acte, avec une sorte de supériorité du regard clinique incorporée à l’expert, devant quoi le citoyen ordinaire n’a plus qu’à capituler, vaincu par la « science » ?
On retrouve dans Folie et justice. Relire Foucault un certain nombre de faits avérés également cités par D. Zagury dans Faut-il juger et punir les malades mentaux criminels?, et qui sont malheureusement trop souvent oubliés. Par exemple, que la dangerosité des malades mentaux criminels, ou leur taux de récidive, ne sont pas du tout faibles. Ils sont extrêmement faibles. On risque bien davantage de perdre ses enfants fauchés sur la route par un chauffard ivre ou sans permis, que tués par un pervers psychopathe échappé de l’asile. Par exemple encore, que le pourcentage de prisonniers présentant des troubles psychiques n’a nullement connu une augmentation fulgurante en peu d’années. Henri Colin, par exemple, avant la première guerre mondiale, obtenait des taux comparables. Ou encore, que ce ne sont pas les experts qui refusent de fournir des arguments en faveur de l’irresponsabilité pénale qui remplissent les prisons de fous qui n’ont rien à y faire — ne serait-ce qu’à cause du nombre infime d’affaires où ils ont à intervenir. Par exemple, toujours, que beaucoup de ces malades en prison souffrent à cause de la prison et de ce qui s’y passe, et pas nécessairement à cause des conditions psychiatrique méconnues de l’acte qui a conduit à les incarcérer.
Folie et justice est cependant plus théorique. Le recueil comporte des chapitres historiques et exégétiques et des comparaisons internationales sur lesquelles je reviendrai. Mais son propos est avant tout de confronter des praticiens aux redoutables sarcasmes de Foucault sur l’idiotie qui serait, paraît-il, la norme de l’expertise psychiatrique : la « souveraineté grotesque » ((Folie et justice, p.50). Une autre de ses forces, c’est de donner la parole au président d’une association d’aide « aux parents d’enfants victimes ». Le lecteur jugera sur pièce et vérifiera s’il a affaire à des revendications irrationnelles, à un discours victimaire, à la dictature de l’émotion. Ce n’est pas le sentiment que j’ai retiré de ma lecture.
On mesure mal, à cet égard, combien la possibilité démocratique de s’associer en vue de revendiquer des droits ou de protester contre une injustice produit un apaisement et une régulation des passions privées, par confrontation des expériences et par nécessité de s’entendre sur certains communs dénominateurs, et donc une pacification et un gain de dignité que des jugements un peu hautains sur les passions « populaires » seraient bien en peine d’obtenir. En revanche, sous la même plume de ce représentant d’association, on fait état de façon documentée de la demande d’un certain nombre d’auteurs de faits criminels susceptibles de bénéficier de l’excuse pénale pour raisons psychiatriques, d’être jugés ((Folie et justice, p.120)). Il n’y a pas le moindre qu’un certain nombre de ces demandes sont les éléments d’un délire (de culpabilité). Mais toutes, cependant? Et comment imaginer des moyens de tenir compte de celles qui ne le seraient pas?
On trouvera enfin dans Folie et justice un essai précis sur la fameuse notion de dangerosité, dû à Claude-Olivier Doron (6). Le tableau qu’il dresse est alarmant. Mais il nous laisse sur notre faim. Peut-on se contenter de conclure, comme l’auteur : « Gouverner une société requiert un certain courage, qui consiste à savoir se limiter dans le désir de sécurité pour prendre en compte les libertés publiques et les principes généraux qui doivent organiser une société » ? Tant d’idéalisme rend, à mon goût, suspecte l’analyse qui y aboutit: faire état de tant de déterminismes sociaux pour laisser ensuite place à l’initiative salvatrice du politique, n’est-ce pas avouer qu’on a manqué tout du long les innombrables petites actions contingentes ou même libres, qui aboutissent à la mise en place de ce grand dispositif sécuritaire?
Il est difficile de se confier si totalement à une analyse foucaldienne du jeu paradoxal de la répression criminogène du crime, pour reculer au dernier moment devant son ultime conséquence. Mais c’est peut-être que cette analyse est fausse, et que tous ces « micro-pouvoirs » engrenés les uns sur les autres qui produisent et gèrent le crime et la délinquance sont, non des choses réelles, mais des concepts inadéquats, impuissants à caper le jeu réel de ce qui produit des situations sociales à la fois si labiles et si contraignantes.
Toutes ces excellentes contributions marquent donc un tournant dans le débat actuel. Pour la première fois, semble-t-il, sous une forme vraiment directe et accessible ; le public est mis au parfum des tensions et des contradictions incroyablement violentes qui déchirent les experts et les juristes, et qui n’ont pas nécessairement de solution harmonieuse. On a cependant envie de faire une petite réserve. Folie et justice fait assurément un effort louable pour internationaliser le débat. On en apprend un peu plus sur la façon dont le système judiciaire italien a abordé, après Basaglia et le grande campagne de fermeture des asiles, la question de la dangerosité des patients psychiatriques. La Cour de santé mentale de Toronto, une institution originale, est décrite avec finesse, dans ses ambitions et ses problèmes propres. Mais c’est évidemment très insuffisant. Tout d’abord, ces deux contributions sont solitaires, peu contextualisées, et laissées, par la force des choses, sans l’appareil critique qu’on espérerait, tant sur le plan légal que sur le plan de la sociologie de la santé mentale.
Espérons que Philippe Chevallier et Tim Greacen trouveront le courage d’ouvrir toujours davantage la discussion à ces comparaisons transnationales. Mais ensuite, il manque à ces ouvrages une claire et forte confrontation, en termes de droit comparé comme de clinique mentale, entre la tradition française de l’expertise et la tradition anglo-américaine de la Common Law (elle-même tout à fait diverse et historiquement complexe). L’anti-américanisme facile qui caractérise malheureusement le refus « psychanalytiquement correct » de s’informer de ce que font les collègues Outre-Atlantique devant les malades mentaux, et donc devant les malades mentaux criminels, paralyse la réflexion sur un point essentiel : il existe de nombreuses façons cohérentes et politiquement admissibles de concevoir la liberté des individus, les droits réciproques des individus et de la société, les procédures judiciaires, mais également les notions absolument cruciales de « discernement » et d’ »intention », et cela, bien avant qu’on commence à se disputer sur la nature du mécanisme psychique (ou « neuropsychique », comme dit désormais le Code pénal) en jeu dans l’abolition du discernement, etc.
Il est très à la mode de se moquer des DSM et de l’impérialisme scientiste de la psychiatrie américaine, ou de s’en épouvanter, sans d’ailleurs avoir d’idée précise des raisons de fond qui ont produit de tels normes et assuré leur succès mondial (7). Il serait dommage que la même ignorance contamine le débat médico-légal, où les contributions des juristes anglo-saxons sont fort souvent d’une finesse impressionnante, et où les résultats auxquels ils arrivent sont complètement à l’opposé de ce que nous aurions cru « évident ». Le conflit entre style de psychologies (encore très psychanalytique en France, plus du tout aux Etats-Unis), dans ce cas précis, est probablement la conséquence d’un conflit entre philosophies du droit qui reste à explorer.
Rédaction de cet article : Pierre-Henri CASTEL, critique à
Note :
6 – Folie et justice, p.50. Une autre de ses forces, c’est de donner la parole au président d’une association d’aide « aux parents d’enfants victimes ». Le lecteur jugera sur pièce et vérifiera s’il a affaire à des revendications irrationnelles, à un discours victimaire, à la dictature de l’émotion. Ce n’est pas le sentiment que j’ai retiré de ma lecture. On mesure mal, à cet égard, combien la possibilité démocratique de s’associer en vue de revendiquer des droits ou de protester contre une injustice produit un apaisement et une régulation des passions privées, par confrontation des expériences et par nécessité de s’entendre sur certains communs dénominateurs, et donc une pacification et un gain de dignité que des jugements un peu hautains sur les passions « populaires » seraient bien en peine d’obtenir. En revanche, sous la même plume de ce représentant d’association, on fait état de façon documentée de la demande d’un certain nombre d’auteurs de faits criminels susceptibles de bénéficier de l’excuse pénale pour raisons psychiatriques, d’être jugés. Folie et justice, p.120.
Nous n’avons pas trouvé à quoi s’accrochait cette note 6 (La Rédaction).
– Tim Greacen et Philippe Chevalier. Folie et Justice, relire Foucault. Érès, 2009.
Suite aux récentes controverses sur les questions de l’expertise psychiatrique, de la responsabilité pénale des malades mentaux et de l’évaluation de la dangerosité, des personnalités du monde psychiatrique, judiciaire et philosophique, interrogent cette évolution du droit (modification de l’article 64, suivi sociojudiciaire, rétention de sûreté, etc.) avec l’œuvre de Michel Foucault comme horizon de réflexion. En effet, les questions posées par le philosophe au savoir psychiatrique et au pouvoir judiciaire restent d’actualité : à quelle légitimité prétend l’expertise psychiatrique ? Jusqu’où la justice doit-elle se préoccuper de la psychologie des individus ? A quelles stratégies répond le suivi sociojudiciaire des malades jugés dangereux ? Ces trois questions sont ici abordées non dans l’objectif de commenter Foucault, mais dans celui d’utiliser certaines de ses grilles de lecture pour analyser l’inquiétude actuelle des professionnels et des usagers de la psychiatrie.
– Thierry Jean, Collectif. Faut-il juger et punir les malades mentaux criminels ?. Érès, 2009
Ces analyses proviennent de Pierre-Henri CASTEL