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29 septembre 2009

Évaluation à la britannique — psychothérapeutes et psychanalystes solidaires contre le cauchemar Élisabeth Roudinesco

Élisabeth Roudinesco

Un document de Grande-Bretagne

Présentation de la SIHPP

Nous avons publié dans le numéro précédent un document dû à diverses associations  de Grande-Bretagne. Il nous paraissait urgent de le donner dans sa version originale. Quelques explications nous semblent les bienvenues.

Vous trouverez donc  ci-joint :

– Une présentation du texte due à Élisabeth Roudinesco

– Le document  en anglais, déjà publié

– Une traduction en français que nous devons à la gentillesse de Mmes Paola Costa et Carmen Hernandez


Un véritable cauchemar

Le remède est pire que le mal (1)

Le texte que nous vous présentons ici semble tout droit sorti d’un véritable cauchemar. On y parle de la psychothérapie – c’est-à-dire aussi de la psychanalyse, bien qu’elle ne soit pas directement nommée – et de la manière dont les évaluateurs et autres agents de la normalisation sécuritaire se sont arrogés le droit de contrôler l’incontrôlable au gré d’une argumentation imparable. Il s’agit en effet de protéger le public de tous les charlatans possibles qui sont sensés polluer les sociétés démocratiques. Autant dire qu’il s’agit de protéger le sujet contre lui-même sans jamais lui demander le moindre avis. Au vu de cette horreur qui nous attend – et dont les psychanalystes n’ont pas encore pris la mesure en France -, on ne peut s’empêcher de penser que le remède au mal est pire que le mal.

Évaluateurs charlatanesques

Car les arguments invoqués par les évaluateurs sont tout aussi charlatanesques que les dérives qu’ils prétendent dénoncer. Si demain nous avons le choix entre la froide technologie prônée par des comités anonymes d’experts parlant en patagon, et les médecines dites “naturelles” des sectes et autres représentants de l’obscurantisme, on peut se demander ce qu’il adviendra des patients et des praticiens, quand on sait que les névroses, psychoses et autres troubles psychiques sont en progression constante dans nos sociétés, abreuvées pourtant de thérapies et de médicaments divers. Peut-être y a-t-il d’ailleurs un lien à établir entre la volonté normalisatrice des comités de santé et la progression du malheur social et psychique dans un monde voué désormais à un projet de rentabilité dont on ne cesse de constater l’échec?


Psychothérapeutes de toutes tendances alliés aux psychanalystes de toutes obédiences

On comprend alors pourquoi, en Grande Bretagne, les psychothérapeutes de toutes tendances se sont alliés avec les psychanalystes de toutes obédiences, à l’exception de ceux de British Psychoanalytic Society (BPS) — dont hélas le déclin est proclamé ouvertement par ses propres adhérents  — afin de s’opposer à ce projet ubuesque mis en oeuvre par le HPC. Fondé en 2001 par l’Ordre des professions de santé, cet organisme, qui réunit toutes sortes de professions, s’est donné pour tâche de protéger le public de tous les dangers liés aux professions paramédicales, en établissant des normes qui ne correspondent à aucune réalité.

S’opposer au délire du Grand Évaluateur

Et pourtant, toutes ces professions —  des diététiciens aux prothésistes en passant par les ergothérapeutes, les orthophonistes et la physiothérapeutes —  ont adhéré à ses principes qui n’ont pour objectif que d’édicter des règles suicidaires à leur encontre. Comme si, pour sortir de la pensée magique par le scientisme, elles préféraient se mettre sous la houlette du Grand Évaluateur plutôt que de penser réellement à la manière de s’opposer à ce délire.

Elisabeth Roudinesco


Cher collègue,

Le Health Professions Council (HPC) vient de publier son (2)

Bien que ce travail de réglementation des thérapies par la parole se déroule depuis trois ans, ces normes surprendront bien des thérapeutes et des counsellors. Elles relèvent davantage des procédures médicales que des thérapies, et seront méconnaissables pour de nombreux praticiens. Car elles semblent s’appliquer plutôt à une équipe chirurgicale préparant un patient à une opération qu’à la relation ouverte par une thérapie basée sur la parole. Ces normes édictent que les praticiens devraient :

– savoir comment faire fonctionner les équipements et minimiser le risque d’infection ;

– savoir sélectionner les techniques appropriées de gestion , de contrôle, de réduction et d’élimination des risques ;

– avoir une connaissance de la santé, des maladies, des troubles et des dysfonctionnements ;

– être capable d’évaluer et de mettre en œuvre des plans d’intervention utilisant des mesures dont le résultat est reconnu ;

– savoir utiliser un équipement de protection ;

– savoir formuler et délivrer des plans et des stratégies adaptés aux besoins de santé et de protection sociale ;

– comprendre les principes du contrôle de qualité et de sûreté et mener les audits en conséquence ;

– garder une trace efficace de l’audit, participer à des procédures d’audit et travailler dans le sens d’une amélioration permanente ;

– être capable de formuler des plans appropriés et spécifiques de management , comprenant la fixation de délais ;

– faire preuve d’une approche logique et systématique dans la résolution des problèmes et être en mesure d’engager la résolution des problèmes techniques ;

– observer et enregistrer les réactions des clients ;

– montrer des compétences efficaces et appropriées dans la communication des informations, des conseils, et des instrucions ;

– comprendre la nécessité de faire participer usagers et soignants à la planification et l’évaluation des diagnostics, des traitements et des interventions répondant à leurs besoins et objectifs ;

– comprendre l’importance de rester en bonne santé ;

– savoir comment répondre aux besoins du client.


L’hénaurme HPC

Une critique détaillée de ces normes est jointe à ce courriel (*), avec une réponse au rapport du Groupe de Liaison Professionnel du HPC «  Projet de normalisation des compétences concernant la psychothérapie et le counselling  ».. Accepter les normes HPC menace les thérapies par la parole du même sort que celui qu’ont connu d’autres professions : la pratique devient une simple technique de gestion des risques, ayant comme principale préoccupation l’évitement des litiges ou des réclamations au lieu du travail entrepris avec le client. Ces réclamations seraient d’autant plus probables vu la définition de « l’utilisateur des services » donnée par le HPC : celle-ci , en ne se limitant pas seulement au client mais à « tous ceux concernés par les services rendus à une personne régulièrement inscrite », y compris les membres de la famille et le conjoint, encourage ainsi les plaintes de tiers.

Perversion des valeurs

Les thérapeutes, selon le modèle HPC, seraient ainsi obligés d’agir exactement en suivant des méthodes qu’ils conseilleraient à leurs clients de fuir : la soumission plutôt que le questionnement d’une autorité intériorisée, la conformité aux attentes socialement acceptées plutôt que l’encouragement à la créativité et la singularité, visées traditionnellement par les thérapies. Alors que le système de valeurs proposé par les thérapies par la parole repose sur l’émancipation des jugements moraux sociaux, il devrait ainsi se conformer exactement à ces jugements moraux. Ce ne sera plus la psychothérapie telle que nous la connaissons.

Médicalisation des psychothérapies

Toutes les formations dans le domaine relevant de l’HPC, seront tenues de respecter les normes de compétence ; et l’audition des plaintes comme l’aptitude à la pratique se réfèrereont à ces normes. Outre le problème évident que pose cette médicalisation des thérapies par la parole, les thérapeutes du futur, dans un tel climat, ne pourront que se sentir perpétuellement sous le regard d’un juge ; l’espace privé de la thérapie devient une scène habitée par un juge intérieur ou un examinateur. Les conséquences de cette situation sur la pratique thérapeutique ne peuvent être sous-estimées ; il ya là comme une ironie lorsqu’on sait que de nombreuses descriptions traditionnelles de la psychothérapie la définissent comme un effort de libération de l’observateur-juge intériorisé, souvent à la racine du mal-être du client.

Une approche radicalement inadaptée au champ de la pratique de la psychothérapie

Alors que nous soutenons sans réserve les codes de déontologie et l’idée de la responsabilité du praticien, nous pensons que l’approche du HPC n’est pas adaptée à notre champ. Aussi nous vous demandons instamment, si cette réglementation doit être instaurée, d’adopter avec nous une position de principe de non-conformité. Si thérapeutes et counsellors sont assez nombreux à ne pas s’enregistrer auprès du HPC, le gouvernement se rendra compte de l’erreur énorme ainsi commise, et nous ne devrons peut-être pas faire face à un si sombre avenir.

Arbours Association, Association for Group and Individual Psychotherapy, Association of Independent Psychotherapists, Centre for Freudian Analysis and research, The College of Psychoanalysts-UK, The Guild of Psychotherapists, Philadelphia Association, The Site for Contemporary Psychoanalysis.ysts-UK


Le texte en anglais s’affiche sur notre précédent article Psychofolies P1H1.
Voir aussi deux textes plus subtantiels sur le site du Snppsy