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6 mars 2018

Georges Dandin s’est procuré une femme féministe ! par Fabienne Darge, Le Monde

Le beauf et la féministe — Molière clinicien et sociologue avant la lettre

par Philippe Grauer

Le beauf et la féministe — Molière clinicien et sociologue avant la lettre

Mots clés : victime, psy, femme.

Aller voir Molière pour comprendre notre temps. Un rustre s’achète une femme décidée à ne pas se laisser enterrer vivante.

le paysan parvenu à ne rien comprendre

" Je vous déclare que mon dessein n’est pas de renoncer au monde, et de m’enterrer toute vive dans un mari. Comment ? Parce qu’un homme s’avise de nous épouser, il faut d’abord que toutes choses soient finies pour nous, et que nous rompions tout commerce avec les vivants ? C’est une chose merveilleuse que cette tyrannie de Messieurs les maris, et je les trouve bons de vouloir qu’on soit morte à tous les divertissements, et qu’on ne vive que pour eux. "

Molière clinicien d’avant-garde

 

Ce Georges Dandin qui avait cru pouvoir acquérir une femme comme une vache à la foire s’en mord les doigts. Il est tombé sur une féministe. En plein XVII siècle, un siècle avant Olympe de Gouges, il fallait avoir du génie. Au Petit théâtre de Naples, à Paris, on peut s’en payer une tranche  pour pas cher, jusqu’en juin. Qu’on y courre !

Nous vous soumettons l’excellent article paru en date du 6 mars dans Le Monde, talentueux à souhait. Pour un psy, la capacité d’y voir clair dans la plainte de la pseudo victime fait de Molière un clinicien hors pair. Quelle merveille que l’intelligence ! Non Georges Dandin, pas la peine de se foutre à l’eau. Morale marketing de la fable : au XXIème siècle on va voir quelqu’un.  Un psychopraticien relationnel avec qui entamer le dialogue qui nous éclaire progressivement sur nous-même et nous confronte à notre responsabilité. Quelque chose comme ça, Georges Dandin. Tu l’as voulu, tu t’en sors-tu !


par Fabienne Darge, Le Monde

parvenir mais à quoi ?

Dans une mise en scène onirique, Jean-Pierre Vincent revisite le cauchemar du paysan parvenu de Molière

Vous l’avez voulu, vous l’avez voulu, George Dandin, vous l’avez voulu. " Qu’a-t-il donc voulu ainsi, Dandin ? S’acheter une femme, comme on achète une vache, ou une poule. Une femme avec un nom à particule, qui plus est. Lui, le paysan parvenu. Et il le paye, dans tous les sens du terme.

C’est George Dandin, ou le mari confondu, " petite " comédie de Molière, écrite pour les divertissements royaux de Versailles, en  1668. Mais depuis que Roger Planchon a redécouvert la pièce, en  1958, marquant une date dans le théâtre français, Dandin ne cesse de fasciner les metteurs en scène, par sa radicalité, sa modernité, derrière le visage aimable de la farce.

Désir de grandeur

Jean-Pierre Vincent a l’art de savoir choisir la bonne pièce au bon moment, et aujourd’hui, c’est lui qui s’attaque à Dandin, avec sa manière unique de lier l’ancien et le moderne, l’histoire et l’actualité, sans jamais dévoyer les œuvres. Avec lui, George Dandin prend toute sa dimension noire et cruelle. On rit, bien sûr, le comique est là, mais c’est terrifiant de voir comment s’emboîtent, avec une précision imparable, les mécanismes de la lutte des classes et de la guerre des sexes, dans ce spectacle qui, après avoir été créé au Théâtre du Préau de Vire, tourne à travers la France jusqu’à l’automne.

Car s’il est ridicule, bien sûr, ce Dandin qui se fait appeler M. de la Dandinière, se dandine maladroitement dans ses fanfreluches de cour et sera bien sûr le dindon de la farce, il est surtout foncièrement médiocre. Paysan enrichi, il a conclu un marché avec les noblaillons locaux, M.  et Mme de Sotenville, les bien nommés, pour épouser leur fille, Angélique.

" George Dandin, vous avez fait une sottise la plus grande du monde ", se dit-il à lui-même dès la première réplique de la pièce. Il ne croit pas si bien dire : il sera la dupe de sa jeune femme qui, sous son nez ou presque, file roucouler avec le premier gandin venu.

C’est un personnage bien extraordinaire dans le théâtre du XVIIe siècle que cette Angélique, qui proclame haut et fort, face au désir qu’a son mari de lui " accommoder tout son visage à la compote " : " Je vous déclare que mon dessein n’est pas de renoncer au monde, et de m’enterrer toute vive dans un mari. Comment ? Parce qu’un homme s’avise de nous épouser, il faut d’abord que toutes choses soient finies pour nous, et que nous rompions tout commerce avec les vivants ? C’est une chose merveilleuse que cette tyrannie de Messieurs les maris, et je les trouve bons de vouloir qu’on soit morte à tous les divertissements, et qu’on ne vive que pour eux. "

Mais Angélique a souvent été bien mal traitée par les metteurs en scène, qui en ont fait la plupart du temps une péronnelle dressée sur les ergots de son arrogance de classe, Dandin apparaissant ainsi comme une pure victime de la domination sociale. Jean-Pierre Vincent recadre la perspective de manière plus subtile, et avec lui George Dandin, s’il est bien manipulé, l’est d’abord par son propre désir de grandeur, lui qui se fait construire dans sa campagne une réplique en miniature du château de Versailles.

Clichés déjoués

La mise en scène est d’ailleurs bien plus onirique que réaliste : elle prend ainsi place dans un décor épuré, une cour de ferme aux murs nus qui se transforme, par la grâce de projections vidéo et comme sous l’effet de la psyché de Dandin, en palais royal ou en visions abstraites et fantasmatiques. La pantalonnade de George Dandin, cocu et berné, est vue comme un cauchemar, celui d’un homme pas très sympathique, tel que le joue, avec une vérité terrienne et sombre, Vincent Garanger.

Il a gardé son côté noiraud sous la perruque blonde de galant de cour, et on pourrait le prendre en pitié, lui qui n’a pas reçu en héritage les usages de la " distinction " chère à Pierre Bourdieu.

Mais le mal – la médiocrité – est en lui-même au moins autant qu’il l’est dans le système social, et cette domination qu’il subit, il ne rêve que de l’imposer à sa jeune femme.

Et c’est elle, Angélique, qui se taille la part du lion dans cette mise en scène qui déjoue les clichés attachés à la pièce. Jean-Pierre Vincent et la jeune actrice Olivia Chatain, qui l’incarne sans aucune des coquetteries attachées à ce type de rôle, en font une femme d’une fermeté et d’une force remarquables.

Angélique contre l’ordre établi

A-t-elle le choix, d’ailleurs, si elle ne veut pas finir comme la vache – une noiraude de Normandie – qui est encastrée dans le décor, en un drôle de clin d’œil surréaliste ? Le cauchemar de George Dandin est celui d’un homme qui accepte la domination sociale sans tenter de la renverser, mais essaie juste d’en tirer son petit profit personnel, là où Angélique, elle, lutte contre l’ordre établi.

Fabienne Darge