Bientôt notre commentaire.
(à suivre)
Le Monde 25 mars 2016
par Élisabeth Roudinesco
Né dans l’Indiana en 1952 et installé comme psychanalyste à Londres depuis vingt-cinq ans, tout près du Freud Museum, Stephen Grosz réussit un tour de force avec ce premier ouvrage écrit en 2013 et déjà traduit en une vingtaine de langues. Il raconte avec simplicité et émotion trente histoires de patients ordinaires.
Des femmes, des hommes et des enfants de toutes conditions ont donc accepté que leur thérapeute se livre à ce difficile travail consistant à exposer leur » cas » en une multitude de vignettes. Grâce au talent du narrateur, on découvre au fil des pages une série de nouvelles rédigées à la manière de Guy de Maupassant : « Mieux vaut en rire, L’Éternel fiancé , La Femme trahie, Vouloir l’impossible, La Haine enrobée de sucre, etc.
Le lecteur est ainsi immergé dans le quotidien d’une pluralité d’existences, celle par exemple de ce chercheur, éminent professeur, accusé de plagiat, qui oscille entre détresse et exaltation, ou celle de cette étudiante boulimique passant son temps à se mutiler, ou celle encore de cette femme mariée entretenant une liaison secrète avec la nurse de ses enfants et qui se dit terrifiée à l’idée de la perdre, au point qu’elle enchaîne les grossesses pour la garder auprès d’elle.
Stephen Grosz ne se contente pas d’examiner la vie des autres, il explique comment chaque cure est une épreuve transférentielle au cours de laquelle le patient et le thérapeute se perdent afin de mieux se retrouver. Pour sortir de l’impasse d’une névrose, d’une dépression ou d’une pathologie narcissique, encore faut-il comprendre les motivations inconscientes qui en sont la cause. Loin d’user d’un charabia conceptuel, comme le font si souvent les psychanalystes français, Stephen Grosz décrit des situations dans la droite ligne de l’héritage de l’école anglaise : entre Donald Woods Winnicott (1896-1971) et John Bowlby (1907-1990).
Parmi les moments les plus significatifs de ce travail de la cure, on retiendra l’histoire troublée de l’architecte Daniel K. Ravi d’avoir remporté un concours, il prend le métro pour rejoindre sa femme et fêter l’événement dans un restaurant. Il pose alors son portefeuille sur le siège tout en sachant qu’il risque de l’égarer. Puis, il sort du wagon et oublie le précieux objet. Néanmoins, il fouille inutilement ses poches dans l’espoir de le retrouver. Ainsi passe-t-il du bonheur à l’échec.
Au cours de l’analyse, le thérapeute s’aperçoit que son patient a sans cesse besoin d’annuler ses propres réussites, comme en témoigne un souvenir d’enfance au cours duquel il avait eu peur que ses parents l’abandonnent dans un trou noir. Et c’est en triturant ses poches pour récupérer un portefeuille dont il sait qu’il ne s’y trouve pas qu’il conjure cette ancienne terreur de se perdre lui-même : » Chercher son portefeuille, écrit Grosz, était peut-être un moyen d’apaiser cette angoisse-là. Car il vaut mieux avoir oublié quelque chose qu’être quelqu’un qu’on a oublié là. «
Il est dommage que l’éditeur français ait cru bon de donner à ce beau livre un