Vous résistez à écrire foret parce que vous ne savez plus s’il s’agit d’une vaste étendue boisée ou d’un outil ? comment distinguer à l’œil ces deux omonimes ? à l’œil disé-je ? c’est voyez-vous que notre orthographe est au fil du temps devenue quelque peu idéographique : lisible à l’œil en plus de l’oreille. Une femme serait-elle plus belle à l’œil qu’une fame, comme l’écrivait Marie de France. Quant aux Drois de l’Ome ! Allez, je vous concède les marquants grammaticaux, lessez vous aler, lachez un peu prise !
Mais ce qui n’est pas donné à l’œil, c’est le prix que ça coûte à enseigner, la graphie à l’ancienne façon Mordicus, et pour quels « retours sur investissement »?
par Filip Groèr
Faut-il écrire l’ortografe êt une mandarine ou l’ortograf ? ou encor(e) l’ortograf est – ou èt – une mandarine ? en tout cas pas n’importe comment, comme Napoléon. On s’accordera sur la nécessité d’un cadre. Le cadre de notre Académie française, une invention bien dans notre tradition, depuis François Ier, qui tout de même se prénommait homonymement de façon prédestinée. Mais les correcteurs d’orthographe font leur travail. Certains me font remarquer que les dits correcteurs le font mal le boulot. À quoi je rétorque que si on n’avait à souffrir en la matière que des bourdes des correcteurs on y gagnerait encore.
narcicisme culturel
Amoureux de notre langue nous devenons rapidement susceptibles quand qui ou quoi que ce soit se prend à vouloir y toucher. Il s’agit d’identité, de narcissisme culturel, d’identification collective. Vous voyez, on ne parvient jamais à en faire toutafè l’économie, de la psicotérapie relationèle. Les rubriques de dispute grammaticale ont toujours été à succès dans les journaux. Et l’orthographe reste le point d’ancrage du maintien de la tradition. Comme on n’enseigne pas que les langues évoluent, nos intellectuels médiatiques se souviennent en la matière du conservatisme de rigueur lorsqu’ils en suçaient le lait à l’école primaire. Et les boucliers de se lever, au moindre mot graphié de traviole. L’amour est exigeant, comme le G exige un E intermédiaire pour sonner J avec un A. Exquise simplicité. Pour certains c’est ça la culture. Vous savez ce que répond Zazie à cette assertion.
Tout ça à cause de ce pleutre de Du Bellay. Comme nous sommes en période de bouleversement de tout, récemment un ami à qui je confiais le fait de nos problèmes avec l’orthographe m’interrompt, mais qui c’est Du Bellay ? Les bras m’en tombent, La Pleïade ayant scintillé soudain visible au ciel du plein midi qu’il était. La défense et illustration de la langue française on peut comprendre que ce soit ignoré, mais les sonnets ! eh bien si, Les Regrets, la nostalgie, vous savez, Heureux qui comme Ulysse et la douceur angevine douloureusement préférée à la belle Italie qui tant éblouit notre monarchie, et tant ennuie notre Du Bellay pris du mal du pays, pensant
Qu’il n’était rien plus doux que voir encore un jour
Fumer sa cheminée, et après long séjour
– ça je l’ignorais, je l’ai prélevé dans Wiki –, mais si ! Marignan, souvenez-vous, Léonard de Vinci hôte de François Ier, eh bien c’est parti aux oubliettes avec le boulet des deux T aux pieds. Du Bellay donc, un encomiaste de la terre natale nous révèle Gougueule. Encomiaste soit, c’est un joli mot, mais dont le manque d’enthousiasme pour sa natale langue, ou plutôt un petit coup de lâcheté, lâchons le mot, le fondateur de notre modernité linguistique, au moment de publier sa Deffence, opte pour la traditionnelle, d’orthographe. Et voilà le travail.
Or il avait le choix. Contemporainement à La Deffence et Illustration de la Langue Francoyse en 1549, en ce moment ou le français moderne devient langue officielle du droit et de l’administration sous la royale protection de François (Ordonnance de Villers-Cotteret, 1539), un grand grammairien, Louis Meigret, en 1542, est en train de mettre de l’ordre dans la maison. C’est dans l’air. On parle beaucoup de sa Meigre ortografe. Laquelle s’appuyait sur tout un mouvement, et sur le travail et l’œuvre de Geoffroy Tory, imprimeur, grammairien et philosophe, l’introducteur en 1529 des accents graves et aigus, des apostrophes et des cédilles venues elles d’Espagne.
Ainsi, sept ans après le Traité touchant le commun usage de l’escriture françoise, comportant un tretté de la grammaire françoèze, fet par Louis Meigret Lionoes, (le E de LionoÈs se trouvant agrémenté d’une cédille au lieu de l’actuel È), dix ans après le traité de Villers-Cotteret, Du Bellay nous publie un traité fondateur, plaidoyer en faveur de la langue française, à présent estimée capable d’exprimer tout, autant que les langues érudites, latin et grec, et tout ça il choisit de le graphier à l’ancienne. Merci Du Bellay !
occasions ratées et force de la nostalgie
Depuis, la graphie du français se traîne. Les espagnols, italiens, allemands, ont rationalisé et simplifié la leur. Nous toujours pas. Occasion ratée à la Libération, où il fallait réimprimer tous les livres scolaires. D’occasion ratée en occasion ratée, nous voici avec une liste simplificatrice toute modeste, établie unanimement, Académie française comprise, par la génération précédente. Boucliers comme d’habitude immédiatement levés. Décidément, depuis Du Bellay, la nostalgie poursuit une impressionnante carrière au pays de Descartes. Notre graphie devenue comme le montre Queneau à demi idéographique, impossible de plumer l’oizo, comme le publie Hervé Bazin en 1966. En réalité, les langues évoluant impitoyablement, le kréol existant depuis longtemps, ainsi que l’ingénieux créole SMS, nul doute que, minée, la forteresse Orthographe perdra un jour ou l’autre, tombant tout seuls telles feuilles caduques, son H et son PH. Simplement la singularité de la caducité orthographique française fait que ses feuilles mortes comme celles du chêne (que va-t-il devenir sans son circonflexe ?) restent en place toute une saison jusqu’à la pousse suivante.
écrire comme sa concierge
À l’ère de l’éducation de masse, mieux vaudrait focaliser sur la grammaire la vraie, celle qui permet de distinguer un verbe d’un substantif et d’être capable de faire un tout petit peu mieux qu’aligner sujet phrase complément avec 2500 mots maxi pour tout bagage lexical, mieux vaudrait-il cela, plutôt qu’inculquer en vain à nos chers gamins aux prises avec Daech de désuètes fantaisies pour lettrés des siècles précédents, où c’était si distingué de ne pas écrire comme sa concierge – las, il n’y a plus de concierges, seulement paraît-il des mécréants, décidément il faut toujours quelqu’un à mépriser.
Il me paraît beaucoup plus important de ne pas laisser passer comme lettre à la poste le seul style média, celui à phrases courtes comme les idées allant avec (on ne constate cependant pas de vérité bijective à cette incise). Mais pour cela il faut du temps. Celui consacré en pur gaspillage à enseigner et maintenir comme « culturelles » des balourdises graphiques d’un autre âge. La culture consiste à s’exprimer de façon complexe avec un vocabulaire étendu et des phrases articulées. On m’a rapporté que de nombreux lecteurs ne me lisent jamais : phrases trop longues. Tu parles ! têtes mal formatées, oui. Tu arrêtes avec tes phrases à la Proust ma chère. J’écris mal, convenons en. Mais eux lisent mal. Ensemble on pourra dire que j’aurai constitué mon lectorat. Mes amicaux sentiments à ceux parvenus au terme de ces deux pages. Au fait, psicotérapie vous écrivez ça comment ?