Le Figaro du 13 décembre consacre un dossier à la question du titre de psychothérapeute. L’article de Anne Juan en particulier comporte des inexactitudes et des prises à partie qui nous conduisent à produire le présent article rectificatif. La psychothérapie relationnelle, servie par ses psychopraticiens éponymes mérite le respect. À l’instar de la psychanalyse elle procède des Lumières et pas davantage que cette dernière ne mérite de souffrir d’incivilités médiatiques. Reprenons ici une description équanime du complexe disciplinaire et professionnel psy, à l’intention de l’opinion non prévenue.
Dans le domaine des professionnels du psychisme la figure est complexe et les spécialités emmêlées. Il en résulte des confusions même chez les spécialistes, qui se perdent parfois eux aussi dans la complexité de leurs identités multiples. Voici pourquoi le grand public parle de psys pour éviter d’avoir à distinguer surtout en cas de cumul, entre tous ces professionnels. Au Snppsy et à l’Affop (1) nous nous référons pour nous y retrouver dans le labyrinthe des professions psys à la figure d’un carré, le Carré psy, donc chaque côté représente une profession cardinale. En haut trône la psychiatrie. En bas – quoiqu’il y ait un trône aucun des quatre côtés, strictement égaux comme il se doit dans un carré, ne régit l’espace commun, contentez-vous de cet à peu près ambivalent de quatre égaux dont l’un (ou l’autre, cela peut fonctionner à la française en cascade de mépris) se le dirait plus que les autres – au nadir donc la psychanalyse, ça convient à ses « profondeurs ». À l’ouest, pardon, à babord, à gauche si vous préférez, la psychologie. Face à elle à droite la psychothérapie relationnelle.
Or tout ce voisinage donne lieu à d’incroyables combinaisons et imbroglios. De plus n’oublions pas qu’il existe plusieurs psychothérapies relevant de champs méthodologiques et pratiques différents, chaque praticien cependant considérant qu’il n’existe qu’une seule psychothérapie, la sienne. Quant à la psychanalyse c’est pire, pour elle la psychothérapie c’est caca, mais voici – en qualité de psychologues notamment – que nombre de psychanalystes s’apprêtent à devenir …psychothérapeutes. On vous l’avait dit que c’était compliqué. Notre Carré commence à ressembler à un billard avec des boules de couleur. On joue comment et à quoi sur cette surface entre ces bandes ?
Remettons la bille rouge au centre. Il s’agit du tout nouveau titre de psychothérapeute (2). C’est que ex psychothérapeute et nouveau psychothérapeute c’est plus du tout la même chose ! On vous le disait, c’est un peu complexe, pour tout clarifier on en a simplement rajouté une couche. Ne vous découragez pas on vous explique.
À tout seigneur tout honneur, le psychiatre est néo psychothérapeute de plein droit. Ne demandez pas pourquoi, nous avons décidé de faire bref, rappelons que les psychiatres s’occupent de la maladie mentale mais que par contre très souvent ils n’ont jamais appris la psychothérapie telle que la définirait un psychanalyste (3) ou un psychopraticien relationnel pour l’appeler par son nouveau nom.
Le psychologue clinicien (il y en a de plusieurs espèces, les cliniciens sont ceux qui pensaient être déjà psychothérapeutes (4)) s’estime lésé de devoir repasser sur les bancs de l’université, cette fois côté médecine (plus stage), pour pouvoir exercer ce à quoi il était formé jusqu’à présent (guerre des corporations, tendance à la paramédicalisation). Notons par exemple que les psychologues qui ont effectué entre 400 et 500 heures de psychopathologie sont priés de compléter leurs études auprès de la psychiatrie qui compte … 250 heures de psychopathologie. Comprenne qui pourra.
Le psychanalyste, régulièrement inscrit dans sa société qui l’a fait psychanalyste, est, généralement mais pas toujours, psychologue clinicien, médecin ou psychiatre. Son cas se rabat donc sur celui de sa corporation de couverture. Voir § ci-infra. De plus, elle s’estime résider scientifiquement ailleurs, du côté de l’inconscient, hors de portée de la psychologie et de la médecine. Mais à l’occasion tout de même on se considère comme psychanalyste in partibus en terre médico-sociale (CMPP) ou hospitalière. Eh oui, rien n’est simple au sein de la galaxie psy.
Le psychothérapeute relationnel s’appelait jusqu’en juillet de cette année psychothérapeute à titre exclusif s’il n’était pas déjà aussi psychologue, psychanalyste, psychiatre. Selon ses états de services antérieurs et sa formation en particulier en psychologie, il bénéficiera ou non de la clause du grand-père qui lui donnera accès au titre après avoir lui aussi repassé par la fac de médecine (plus stage). On disait simplement psychothérapeute (relationnel). On va dire autrement à partir de maintenant.
Résumons-nous. Le nouveau titre de psychothérapeute est praticable à l’avenir selon des modalités diverses d’homologation, aux quatre professions suivantes : psychiatre (automatique), psychologue, psychanalyste, certains ci-devant psychothérapeutes d’Ancien Régime. Les praticiens formés à la psychothérapie relationnelle dans les Écoles privées s’appelleront dorénavant, s’intituleront (i.e. prendront le titre de), s’altertitreront psychopraticiens relationnels (5) s’ils n’appartiennent pas aux trois catégories pré-citées ou préfèrent ne point revendiquer le nouveau titre (anciennement le leur, on l’a compris).
Les Écoles de formation à la psychothérapie relationnelle forment régulièrement des psychothérap/ pardon, dorénavant des psychopraticiens relationnels. Ils les forment à la mi temps de l’âge, par reconversion, à l’issue d’une démarche personnelle déjà entreprise. Ce sont gens d’expérience et de maturité. Les institutions historiques qui ont présidé à l’installation en bon ordre et bonne et due forme depuis près de quarante ans de ceux qu’on appelait « les psychothérapeutes » sans même préciser relationnels car les appellations ont évolué avec le temps et la montée en spécificité et qualité, ont mis en place :
– D’une part des institutions de formation par elles agréées. 2000 heures, cinq ans de formation, comme à l’université, mais en établissement privé, avec à la clé psychanalyse ou psychothérapie personnelle obligatoire, cela ne correspond pas véritablement à la phrasette qui tue : » psychothérapeutes autoproclamés qui n’ont strictement aucun diplôme ». Il y a de bonnes écoles qui délivrent des diplômes honorables. Non universitaires pour des raisons historiques tenant à la France, mais éminemment respectables. Le Cifp prétend en être une.
– D’autre part des systèmes de titularisation fiables et honorables, comme les Cinq critères et le code de déontologie du SNPPsy, souvent reconnus par un maillage d’associations professionnelles européennes, qui constituent un dispositif d’autoréglementation qui a bien fonctionné jusqu’ici et continue de le faire.
Les quatre organisations historiques responsables (Affop, FF2P, Psy’G, SNPPsy), fédérations et syndicats en place de longue date qui ont pris soin de la profession et discipline se sont récemment regroupées dans un groupe de liaison, le GLPR – Groupe de liaison de la psychothérapie relationnelle. Elles entendent garantir et elles seules la qualité des praticiens qu’elles encadrent.
Tout ce petit monde d’un bord à l’autre du Carré (je vous épargne les conflits internes) se chamaille de façon perfide que vous n’imaginez pas et se traite de nul d’incompétent de charlatan (ça c’est l’insulte médicale classique), voir d’inexistant, comme encore hier dans l’article de Anne Juan un psychanalyste dont par charité nous tairons le nom proférant : « on peut s’autoproclamer membre d’une profession qui n’existe pas ! » Les humains sont ainsi faits, et le corporatisme aussi borné et hargneux que le nationalisme quand il s’y met.
On relève encore des informations inexactes ou tendancieuses dans l’article d’Anne Jouan. Le Temple solaire, c’est une affaire de médecins, pas de « psychothérapeutes ». Un décret a bien créé un Registre mais ne le cherchez pas celui-ci est loin d’être en place. Chaque corporation a son taux de dérives, pas élevé, aucune plus que l’autre en réalité, et ses institutions de surveillance éthique. Mais c’est tellement tentant de dénoncer la paille dans l’œil du voisin. Les « victimes sont malheureusement extrêmement nombreuses » de Bernard Accoyer constitue une accusation gratuite, à effet. On évoque de façon populiste les innombrables méfaits supposés de l’autre, celui qu’il s’agit de stigmatiser dans la guerre des clans psys. Comme le disait notre bon La Fontaine Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage.
L’ennui c’est qu’il n’y a de chien noyer nulle part, mais une simple psycho diversité bien utile au public, chaque profession lui servant à quelque chose de différent (sans compter les multi casquettes). La vérité c’est que la médecine scientiste aimerait se subordonner l’ensemble du champ psy. À tout il faut sagement concevoir une limite.
À propos de limite la nouvelle loi, qui ne fait pas que des heureux, pourrait avoir eu à la limite cela de bon que tout se recale plus précisément. Et que les autoproclamés, les vrais, ceux qui ne relèvent d’aucune des quatre catégories dûment instituées que nous venons de décrire, se retrouveront sans couverture, le public pouvant s’enquérir de la référence de son psy. Le risque zéro n’existe pas. N’allez a priori pas pour autant consulter quelqu’un que vous ne pourriez situer précisément dans une organisation repérable affichant un système de garantie crédible.
Du point de vue de la nouvelle réglementation on trouve trois catégories. Profession réglementée (par la loi), « non réglementée » mais autoréglementée (par la profession responsable), et le reste, hors garantie, les autoproclamés. Dans la polémique incessante mettant aux prises les uns et les autres la rhétorique consistera à assimiler ceux à qui on veut s’en prendre à la catégorie la plus déconsidérée (principe de la cascade). La polémique dans laquelle entre imprudemment Anne Jouan illustre ce syndrome collectif. Nous le frôlons nous-mêmes en chargeant ici même les professionnels sans garantie sérieuse : ceux que nous ne garantissons pas, les véritables « autoproclamés », ceux qui ne sont pas authentifiés solidairement par une institution elle-même solide, ceux dont aucune personne morale scientifique valable ne répond.
Des enjeux scientifiques et idéologiques puissants tendent les ressorts de l’évolution des professions psys, passionnent les professionnels et concernent le public. Il importe dans ce domaine sensible de ne pas affoler les cadrans avec des formules qui tuent mais n’éclairent pas, tant il est vrai que le diplôme n’est pas garant de la compétence, mais bien davantage la caution solidaire d’une société ou association professionnelle sérieuse et responsable.
L’article de Anne Juan au Figaro ayant donné lieu à cette reprise se trouve ici.