Elisabeth Roudinesco
Entretien avec Marie Claude Martin pour le quotidien suisse le Matin dimanche, 28 février 2010, http://www.lesquotidiennes.ch>, à propos de la cinquième version du DSM, en préparation pour 2013 et qui suscite de nombreuses controverses.
Historienne et psychanalyste, Élisabeth Roudinesco combat depuis longtemps l’idéologie du DSM, cette «bible» qui aspire à faire de la psychiatrie une branche de l’hygiène publique. Elle ne mâche pas ses mots à l’égard de ce modèle cognitivo-comportemental qui nie l’inconscient :
«Instrument de la norme sociale, le DSM tend non seulement à remplacer la religion mais aussi, par une sorte de novlangue sensée résoudre les problèmes sans discussion, à se substituer à l’exercice de la politique fondée sur le conflit, la contradiction et la dialectique. D’ailleurs, il n’y a même plus de langage dans ce manuel du docteur Diafoirus où l’homme est réduit réduit à des initiales et à un chiffre. C’est une sorte de dictature molle, mondialisée et horizontale, un petit fascisme qui prétend gouverner la vie quotidienne au nom de la lutte contre de vrais fléaux : un verre de vin est associé à l’alcoolisme, la gastronomie à une dépendance alimentaire, mais jouir de la vie n’est pas une pathologie. L’humain est fait de passions, d’excès et de raison mêlés. Les supprimer, c’est supprimer la vie.»
Élisabeth Roudinesco va plus loin :
«La psychiatrie telle que la reformule le DSM considère l’humain comme une somme de particularismes. C’est la dislocation de l’universel dans le particulier, la porte ouverte à tous les communautarismes.» Et le plus insensé, relève l’historienne, c’est que «tout ce projet s’élabore dans un pays, les États-Unis, où Obama se fait traiter de nazi quand il souhaite une sécurité sociale pour tout le monde.»
La psychanalyste met aussi en avant l’absence de sérieux de cette entreprise qui «fait entrer et sortir des pathologies au gré des groupes de pression.» Elle craint une crise de confiance massive, un peu comme celle que la France vient de connaître avec la mauvaise gestion de sa campagne de vaccination contre la grippe A où certains ont pensé qu’on inventait une maladie pour écouler les vaccins. Les conséquences de cette médicalisation à outrance, c’est le retour de l’obscurantisme. «À force de faire passer pour scientifique ce qui ne l’est pas, les gens risquent de se détourner de la vraie science pour se jeter dans les bras de l’irrationnel, celle qui prétend guérir le cancer avec des fraises»
Enfin, elle relève le caractère délirant de ce manuel inflationniste «qui fabrique des excès qu’il va ensuite dénoncer en les nommant.»
Une réédition du livre d’Élisabeth Roudinesco, Théroigne de Méricourt, une femme mélancolique sous la Révolution, paraît le 4 mars chez Albin Michel, avec une préface d’Élisabeth Badinter et une postface inédite de l’auteur.