5 Juillet 2008
PAR MARCELLE MAUGIN
Notre collègue Administratrice de l’AFFOP a participé à cette Assemblée générale extraordinaire qui vivait l’événement sur un mode dramatisé, et nous livre son témoignage. Ambiance tendue. Les universitaires humanistes sont en alerte contre l’institution des Techno-psys. Ensemble, seulement ensemble, nous pourrons l’emporter.
Philippe Grauer
L’introduction de Roland Gori impressionne. Ulcéré par le cahier des charges en psychopathologie clinique du projet d’Arrêté il martelle “ l’imposture est de retour ! La mise en œuvre du projet d’Arrêté délivrerait aux étudiants un certificat d’indigence et à nous un certificat de décès ! ” Ce dispositif appauvri ne comporte aucun apprentissage mais dispense une vague connaissance de quelques approches optionnelles et séquentielles, une démarche “intégrative” à la québécoise. On connaît. Cela signifie l’abandon de la relation unique avec le patient. La classification en psychopathologie serait celle indiquée par l’arrêté.
Il s’agit d’un projet de création d’une nouvelle profession qui ne dit pas son nom. L’expression utilisée de troubles du comportement est significative à cet égard. Le débat épistémologique qui existait jusque alors désormais réglé par décret, du jamais vu. Les “approches” sont répertoriées au nom d’un consumérisme du soin, en fonction de la demande supposée des associations de patients. Bref, pour l’orateur “ on nous fabrique une nouvelle figure du coach recruté à bac + 3. C’est l’enseignement de l’ignorance. Si cela passe c’est terminé .”
Un autre intervenant parle au nom de la psychiatrie : la psychiatrie est rangée désormais dans la technique, la personne est remplaçable, le “rapport” n’a pas d’importance, le diagnostic est utile mais il doit se faire dans un cheminement, on le voudrait aujourd’hui sans la subjectivité, sans s’intéresser au rapport du sujet au symptôme, à qui et comment il l’adresse. Le DSM de représente pas une nouvelle psychopathologie, il n’y a que les français qui y croient, les américains ne s’en servent pas comme ça. Ici on fait appel aux neurosciences uniquement pour les utiliser politiquement.
À l’atelier Problèmes actuels du soin psychique, le psychiatre psychanalyste Bokovska pense que tout a commencé quand on a supprimé il y a 30 ans l’internat en psychiatrie qui reposait essentiellement sur l’analyse de deux cas cliniques. Ce virage fut soutenu par des universitaires en psychiatrie fascinés par l’idéologie scientiste et qui voulaient être reconnus dans leur fonction. L’objectif final est rien moins que la destruction de la Sécurité sociale à la française, dernier pôle mondial de résistance à la marchandisation de la santé. Bokovska revendique pour finir pour le psychiatre le statut d’artisan, non de technicien.
Le psychologue Raboin dénonce ensuite la culture du résultat, la logique d’entreprise, dont témoignent les nouveaux contrats (CEPOM) pour une gestion “moderne” des établissements psycho sociaux. L’ambition étant de diminuer d’un tiers les associations gestionnaires. On n’est même plus en face de l’affrontement de deux logiques contradictoires, on n’a plus à faire qu’à une sommation de tous les côtés ! l’unique question posée est « tenez-vous à votre accréditation ? » Cela opère par le biais de la multiplication des fichiers. On parle même de « panier de soins » des usagers.
Il s’agit d’une revanche de l’administratif sur le professionnel, sur une certaine conception de l’humain que nous représentons. Nous avons affaire à une mutation anthropologique “ qui fait, ajoute Roland Gori, d’un sujet qui parle une petite entreprise auto évaluée .” Il ressort du débat qu’il est essentiel à présent de ne pas céder sur les mots, ni sur les idées. Puis la discussion porte sur les notions d’acte, de données.
Dans une telle organisation les réunions d’équipe ne sont plus une occasion privilégiée de montrer nos failles : on élimine tous les trous. Alain Abelhauser déclare que le gouvernement — et Accoyer, traque tous les trous juridiques. Il s’agit de tout évaluer. L’évaluation c’est justement l’opposé de la clinique. Il poursuit. “ On s’est battu pour éviter les dérives quant au titre (générique) de psychothérapeute, on voulait bien une formation mais en psychopathologie clinique. Le cahier des charges qu’on nous propose fait basculer cette formation de psychopathologie à sa propre définition du psychothérapeute. Le SIUEERPP s’y oppose, il refuse ce glissement entre psychopathologie et psychothérapie” . Cela se présente conclut-il comme un problème juridique, mais concerne des enjeux économiques, politiques et éthiques. Il s’agit en fait de la loi du financement de la santé.
Roland Gori intervient à nouveau. Finie la participation, la discussion, les écrits, on entre maintenant dans le rapport de force. Or la démarche politique ne peut mener qu’à l’épuisement. Il rappelle que le SIUEERPP a effectué toutes ces démarches de son côté, en vain. Qu’à son avis il faut essayer maintenant de s’allier l’opinion, comme ont si bien su faire les Pasde0deconduite qui ont fait reculer l’INSERM.
Suivent de nombreux témoignages de professionnels en péril dans leurs institutions, orthophonistes, psychomotriciens, psychologues, professionnels travaillant en PMI, gériatrie, etc. La discussion porte alors sur les moyens d’action à mettre en œuvre, refus de remplir les fiches d’évaluations, risques encourus, etc.
Bokovska rappelle que ce qui a fait le succès des États généraux de la psychiatrie, ça a été de rassembler tout le monde au-delà des divergences, sur une position commune minimale. Le SIUEERPP est d’avis de faire taire toutes les divisions désormais. Il faut faire du lobbying, éventuellement publier un Manifeste commun, mobiliser tous les mécontents qui revendiquent les mêmes valeurs (dont les juges ?).
Quelqu’un rappelle les limites des programmes communs : une fois obtenu un peu de pouvoir, les divisions repartent de plus belle. Roland Gori répond qu’on n’en est plus au débat démocratique qui n’existe plus, mais à la désobéissance civile ! qu’il faut créer des « réseaux de refus « .
Puis cela s’échauffe. Quelqu’un lance que l’acte suivant sera l’acte terroriste, sinon il n’y aura bientôt plus de cliniciens. Tout dépend de la manière dont on pense le politique ! De fait, actuellement se produit une sidération du politique, dans une culture qui engendre “ un être comme ça : sans appareil psychique, à traçabilité ! ” Il faut savoir poursuit-on qu’on s’embarque pour 20 ans de lutte pour la singularité, la différence.
Quoiqu’il en soit le temps est venu de l’alliance. Ulcérés par le cahier des charges, les universitaires, le pied sur le paillasson, ne veulent plus collaborer avec les ministères, et se disent prêts à tous les rassemblements et mûrs pour des “ stratégies frontales ”.