Il s’agit d’un tout autre métier, celui de conseiller d’orientation, exercé par des psychologues, nos collègues et voisins du Carré psy, dont certains se réfèrent à la psychanalyse, donc nos voisins proches. Ils travaillent en institution. Ils voient se profiler la menace d’instrumenter leur profession en l’amputant de sa dimension relationnelle, humaine, en lui substituant l’approche mécaniste par les tests et marketing par l’échantillon bonimenteur. Ils voient qu’on s’apprête à miner leur activité de conseil. Ils voient venir les mesures éradiquant la prise en compte de la dynamique de la subjectivité et du projet de vie. Ils voient venir les mesures mettant en place la démesure d’un mesurage de tout.
Ils préviennent. Nous relayons l’expression de leur inquiétude. Nos professions sont solidaires à vouloir en tout lieu et circonstance où œuvre un professionnel du psychisme que soit préservé l’humanisme et maintenu son engagement au service de la dynamique de la personne.
Philippe Grauer
Véronique Pannetier, nous informe d’une bien inquiétante nouvelle : la disparition de la profession de conseiller d’orientation-psychologue. Et cette disparition se fait à la charge des professeurs, déjà bien saturés de nombreuses missions, qui vont effectuer l’information et les entretiens ou bien au profit de services privés forts payants… pour ceux qui y officient à coup de tests. Elle nous montre dans son texte clair et précis comment l’idéologie de l’évaluation y est à l’œuvre dans ce contexte de pénurie du travail pour tous. A contrario de la pratique clinique des conseillers d’orientation-psychologues qui s’attache, au un par un, à partir de ce qu’il y a de plus singulier chez un sujet en demande d’orientation professionnelle, à découvrir et inventer son orientation de vie dans la société qui passe parfois par des étapes, ce qui est préconisé actuellement c’est une approche de masse, de tests et de statistiques. Pourtant, « Le un par un n’est pas la négation du collectif mais sa condition nécessaire. » argumentait Véronique Pannetier dans un ouvrage collectif dont je vous recommande la lecture. Exégèse des lieux communs en orientation , Éditions Qui plus est.
Ce qui arrive aux psychologues conseillers d’orientations nous semble tout à fait du même ressort que ce qui se profile pour les psychologues qui ne réduisent pas leur pratique aux seules techniques. C’est pourquoi l’association InterCoPsychos et les collectifs soutiennent les actions de nos collègues.
Catherine Lacaze-Paule
Par Véronique Pannetier
Du collectif de Dordogne
La nouvelle vient de tomber sur les téléscripteurs syndicaux : la disparition du métier de conseiller d’orientation-psychologue est annoncée, « sans autre forme de procès ».
Plusieurs voies sont empruntées pour y parvenir :
• tarissement du recrutement (ces deux dernières années 50 postes au concours pour environ 250 départs à la retraite)
• disparition de la moitié des CIO
• régionalisation des services
• transfert des missions des conseillers d’orientation-psychologues – information et accompagnement des élèves pour l’orientation – aux enseignants.
• Et, last but not least, fin du recrutement sur le titre de psychologue. Ce dernier point est essentiel.
Ce qui avait échoué en 2003, grâce à une détermination sans faille des personnels concernés, avec l’aide des enseignants, risque donc de se produire.
Quelle logique préside à cette fin programmée qu’il s’agit de combattre ? Sans aucun doute une sorte d’objection qu’incarne, au-delà des positions individuelles, la position du conseiller d’orientation-psychologues au sein du système éducatif dans un champ devenu hautement sensible pour plusieurs raisons.
Examinons d’abord ces raisons. L’orientation, à tort, est, dans le discours courant, devenue synonyme d’insertion professionnelle. Or cette dernière est à la peine. Le chômage des jeunes (et des autres) ne diminue pas et pour éviter de s’interroger sur les causes structurelles de ce phénomène dans une société prospère, on désigne l’orientation… comme la cause essentielle. Coupable… C’est parce qu’ils choisissent mal que les jeunes sont au chômage.
Interrogez n’importe qui sur la question et vous aurez toujours les mêmes réponses, qui ont été patiemment dictées depuis des années par le pouvoir politique officiel (de droite comme de gauche) et par le pouvoir souterrain des lobbies à la gloire du marché, en direction des médias tympanisant le « petit » peuple de ce bréviaire cynique.
Pour que disparaisse ce vilain chômage des jeunes il faut leur faire « connaître » les métiers, les informer sur l’entreprise et le monde économique. Ainsi munis d’informations idoines, « on » imagine que les jeunes iront docilement se placer dans le rang qui leur a été complaisamment désigné, pour leur bien et pour celui de la société.
Il semble inimaginable aujourd’hui de concevoir le choix d’orientation sans avoir eu accès au catalogue bienheureux des stages en entreprise, des « visites sur le terrain » et autres jeux de rôle des options « découverte professionnelle » (DP 6 et DP3 en 4ème et 3ème au collège).
Je patientais — ou plutôt m’impatientais — il y a quelques jours, à l’entrée d’une classe de 3ème dans laquelle je devais intervenir et où s’achevait une séquence de DP3 « découverte des métiers de la vente »… on y jouait à la marchande, avec le professeur dans le rôle de la vendeuse. Que d’errements, et que de mépris pour les élèves…
On voit bien que si l’orientation est présentée comme cause du chômage — c’est-à-dire comme ce qui pose problème — elle porte en elle la solution qui va dissoudre ce problème. Il suffit de placer quelques professionnels correctement briefés qui manipuleront les foules au moyen de ces merveilleux petits outils en vogue au Québec.
Les conseillers d’orientation-psychologues étaient ainsi désignés comme les vecteurs idéaux de la « solution » au « problème ». Mais, las ! Cela n’a pas marché ! Malgré toutes les sollicitations, cajoleries, menaces, les COPsy ont massivement résisté à cet endoctrinement. Culture de corps professionnel sans doute, qu’un sociologue pourrait s’amuser à interroger.
Examinons maintenant l’autre raison qui fait de l’orientation un terrain miné, pour le sujet qui nous occupe. C’est que, tout bonnement, l’orientation est un marché. Un marché qui promet de se développer d’autant plus vite que le service public, où interviennent des psychologues formés et où se délivre une information claire, précise et indépendante… disparaîtra au plus vite.
Ainsi les coaches de tous poils, avec leur questionnaires de personnalité, leurs évaluations informatisées pourront s’épanouir à leur aise en exploitant l’angoisse de l’époque (les consultations coûtent entre 300 et 700 €). Il faut faire place nette à ces bienfaiteurs de l’humanité.
Voilà comment on œuvre à la désorientation des sujets. D’abord parce que choisir une profession en fonction des « besoins » de l’économie est une erreur grave puisque ces « besoins » sont versatiles. Ensuite parce que remettre aux mains de l’Autre, fût-il « scientifique » car informatisé, la question du choix se révèle bien souvent un piège, car l’essentiel est resté ininterrogé. On voudrait que les élèves choisissent en connaissance de conséquences mais en évitant soigneusement d’interroger la cause qui peut les animer.
Dans un colloque régional sur l’orientation à Bordeaux en 2006, un intervenant évoquait une enquête sur le métier de conseiller d’orientation-psychologue, conjointement menée en 2005 par l’ACOP-F [1] et l’INETOP [2] auprès des CoPsy (en France). L’enseignant de cette peu vénérable institution, qui avait quitté la profession depuis longtemps partait de l’hypothèse d’une « schizophrénie professionnelle » — le CoPsy passerait dans une même journée de la « posture » propre au « counseling », à celle de l’expert « conseiller technique », en passant par celle des « techniques éducatives en orientation » — il s’est esclaffé de la conclusion de l’enquête : la pratique plébiscitée par les conseillers ? L’entretien individuel. Cela devrait pourtant lui donner à penser…
L’entretien, ce moment possible de rencontre, est peut-être le fil rouge qui permet à toutes ces « postures », vides de sens si on les prend une par une, d’être articulées dans une pratique à la fois enracinée dans une institution (l’École) et offerte à des sujets (les élèves, les enseignants) pour que ladite institution puisse assumer le mieux possible sa fonction, qui est d’autoriser ces sujets à s’émanciper et à prendre place, à leur façon, dans le monde qui les accueille. C’est peut-être à partir de l’entretien que peut se définir, non une posture, mais bien la position du conseiller d’orientation-psychologue, en articulant ses différentes activités à partir de ce centre de gravité.
Ce plébiscite indique que les conseillers sont attachés à la dimension clinique de leur travail même si tous n’osent pas la nommer ainsi. Prenons-le comme ce qui fait signe…
Voilà le point où le COPsy fait objection, voilà où le psychologue gêne. D’abord parce qu’il n’est pas obéissant et que, pour assumer les missions qui lui sont dévolues, il a le choix des techniques et de la théorie à laquelle il se réfère… On peut exiger de lui le recours à certaines d’entre elles, promues de façon récurrente, mais il a le pouvoir, exorbitant dans ce monde moderne, de résister et d’expliquer pourquoi, l’effronté ! Ensuite parce que son travail est centré sur celui qui s’adresse à lui. C’est un point sans discussion possible. Deux rocs inexpugnables et scandaleux, donc…
Cette insoumission est insupportable au Maître, qui refuse de penser. Philippe La Sagna, psychanalyste, indiquait récemment à Bordeaux que « Pour être le Maître aujourd’hui, il suffit d’être borné, et pour tout dire un peu con [i] selon le mot de Lacan ». Ce n’est pas peu dire, mais ce n’est pas tout. « L’affolement de la demande d’action risque de tarir toute issue pour un acte véritable » ajoutait-il. Le refus se révèle parfois un acte, après-coup. Porteur de conséquences…
Je voudrais rappeler à mes collègues, à qui je vais transmettre ce texte, le mot que Jean-François Cottes m’adressait en mai 2005 quand j’évoquais déjà ce qui se profile aujourd’hui : « il se trouve que certains refusent cette logique et maintiennent le cap du un par un, de la singularité. Qu’ils sachent qu’ils trouveront dans les collectifs de psychologues un lieu d’adresse de leurs élaborations. »
Peut-être est-il grand temps de nous rendre à son invitation.
Site de l’InterCoPsychos : www.intercopsychos.org
[1] Association des Conseillers d’orientation-psychologues de France
[2] Institut national d’étude sur le travail et l’orientation professionnelle, institut de formation des COPsy à Paris
[i] Lacan J. Du discours pychanalytique. Conférence à l’Université de Milan, 12 mai 1972, paru dans l’ouvrage bilingue : Lacan in Italia 1953-1978. En Italie Lacan, Milan, La Salamandra, 1978, pp. 32-55.