Louis Althusser, Des rêves d’angoisse sans fin. Récit de rêves (1941-1967), suivi de Un meurtre à deux (1985). Textes choisis et présentés par Olivier Corpet avec la collaboration de Yann Moulier Boutang, Grasset/IMEC, 213 p., 20 €.-
25 septembre 2015 © Le Monde
par Élisabeth Roudinesco
Pour ce dernier volume des œuvres posthumes de Louis Althusser (1918-1990), Olivier Corpet et Yann Moulier-Boutang ont sélectionné des récits de rêves rédigés par le philosophe pendant un quart de siècle. Tout en s’inscrivant dans la tradition des savants du XIXe siècle, soucieux de faire du rêve un objet d’étude, Althusser s’écartait pourtant de toute idée d’opposer un discours rationnel à une immersion dans l’enfer de la déraison. Confronté depuis 1938 à l’expérience tragique de la mélancolie, et à cette perpétuelle oscillation entre l’exaltation et la dépression qui a fait de lui un malade chronique, vingt fois interné et soumis à tous les traitements possibles – psychanalyse, médicaments, électrochocs –, il ne séparait jamais l’énoncé du rêve de ses autres activités d’épistolier. Celles-ci sont désormais connues et éclairent d’une lumière singulière son œuvre philosophique, fondée sur une relecture rigoureuse des grands textes de la philosophie occidentale : Machiavel, Montesquieu, Hegel, Marx, Freud.
Aussi faut-il lire ce nouvel ouvrage autant comme le prolongement de la correspondance que le philosophe a entretenue avec des amantes (Lettres à Franca, Stock, 1998 ; Lettres à Hélène, Grasset, 2011) que comme un document préparatoire à son autobiographie, L’avenir dure longtemps (Stock-IMEC, 1992). Dans cette dernière, immense confession où se mêlaient ego-histoire, auto-analyse et envolées rimbaldiennes, Althusser, on le sait, tentait de comprendre pourquoi, en novembre 1980, dans un accès de démence, il avait étranglé Hélène Rytmann, sa femme, sans qu’à aucun moment elle ne songe à l’empêcher de commettre un tel acte.
Dûment conservés dans les archives déposées à l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine, et d’une très belle qualité littéraire, ces Rêves d’angoisse sans fin sont souvent terrifiants. Ils révèlent à quel point Althusser s’était enfermé avec Hélène – sœur, mère et confidente – dans le huis clos d’une généalogie familiale délirante. En effet, il n’avait de cesse de réinventer le parcours cyclique d’une déploration qui le hantait depuis que, dans son enfance, il avait voué aux gémonies son père, sa mère, ses aïeux et sa sœur Georgette, atteinte de la même folie que lui. Du coup, sous sa plume, on voit surgir des avalanches de cauchemars, semblables à ceux évoqués par Goya dans sa célèbre œuvre de 1797, Le sommeil de la raison engendre des monstres. De même que le héros endormi de la gravure sent la présence autour de lui d’inquiétantes créatures issues d’un monde de terreur, de même Althusser est envahi, débordé, épouvanté par le déchaînement permanent des pulsions inconscientes qui l’assaillent durant des nuits éprouvantes. C’est en 1969, dans une lettre à Hélène, devenue une sorte de double de Georgette, qu’il résume le mieux la teneur de cette activité onirique : » Les rapports avec mon inconscient ne sont pas de tout repos. Des cauchemars terribles, et d’une précision hallucinante. L’autre nuit, je battais ma mère et avais affaire à mon père. «
Le plus étonnant, ce sont les rêves prémonitoires. En août 1964, il consigne dans ses carnets le contenu d’un rêve de meurtre : » Je dois tuer ma sœur (…). La tuer avec son accord d’ailleurs : sorte de communion pathétique dans le sacrifice (…), je dirai presque comme un arrière-goût de faire l’amour, comme un découvrir – sic – les entrailles de ma mère ou sœur, son cou, sa gorge. « Les éditeurs ont ajouté à ces récits un texte fulgurant, rédigé cinq ans après le meurtre, et dans lequel Althusser attribue à son psychiatre l’explication de son acte. Il s’agit bien, dit-il à juste titre, d’un « meurtre à deux ». L’absence de résistance d’Hélène renvoyait donc à son propre désir d’en finir et d’échapper à une fusion intenable qui les avait conduits, l’un et l’autre, sur la voie d’une sorte de passage à l’acte suicidaire.
N’en déplaise aux commentateurs – psychiatres, psychanalystes et journalistes – qui se croient toujours autorisés à donner de cet acte des interprétations délirantes, c’est bien l’auteur de ce meurtre insensé qui en a le mieux dévoilé la vérité. Penseur du communisme, Althusser s’était condamné, comme le dira Jacques Derrida, à vivre une existence spectrale en devenant le meurtrier de lui-même, ce dont témoigne aujourd’hui ce grand récit des rêves de toute une vie.
Nous avons le plaisir de vous convier à la journée découverte de notre école de formation de psychopraticien, conduite par Pascal Aubrit et Henry Kisiel, qui aura lieu :
L’objectif de cette journée consiste à découvrir et à expérimenter le programme de l’école, les formations que nous dispensons et notre méthodologie reliée à la psychothérapie relationnelle. Elle se déroulera dans une alternance de séquences expérientielles et de temps d’élaboration. Une présentation du cursus de formation au CIFPR sera suivie par un temps de questions-réponses.
Lieu : Centre de Psychologie Biodynamique du Père Lachaise
Salle ALIZE
59 boulevard de Ménilmontant, 75011 Paris
Code immeuble : 19 B 60
Code BLOC 1 : 1519