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8 mai 2010 De l’obscurantisme contemporain
Le ressentiment du philosophe, une demande d’analyse en souffrance
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Il le dit, la psychanalyse, ça ne tient pas, et il le démontre. Il est vrai que pour cette démonstration tout lui est bon, la théorie comme la vie et les légendes de son inventeur et ses héritiers. Bien sûr on nous dira, et les meilleures plumes l’ont fait, que Freud a changé radicalement la perspective sur ce qui anime l’être humain ; qu’il a permis d’intégrer dans sa connaissance un vaste champ jusqu’à lui maintenu dans l’ignorance, dédaigné ou exploité à des fins d’asservissement ; qu’il a ainsi offert à la souffrance de l’homme une boussole pour lui permettre de supporter le fardeau de sa vie jusqu’aux limites de l’impossible en traçant sa propre route.
Mais Michel Onfray a néanmoins raison, rien ne tient. Tout, tout le temps, est prêt à s’abîmer dans la contradiction et l’échec. Une théorie ? Vérité aujourd’hui, erreur demain. Les neurosciences ne sont-elles pas chaque jour sur le seuil de nous démontrer que nous sommes des machines moléculaires ? Un projet, voire un engagement passionnel… une simple rage de dents vous en détourne ! (Freud, L’Introduction au narcissisme). Certes, les savants et les moralistes ont depuis longtemps renoncé à leurs visées totalitaires et impérialistes et font preuve quant à leur savoir d’une modestie de bon aloi. N’a-t-on pas appris, il y a quelques jours, qu’à la suite des découvertes faites avec le télescope Hubble la physique était à réinventer ? Pendant ce temps, les psychanalystes, refusant toute réfutabilité, s’arc-boutent sur quelques mêmes textes datés.
En réalité, il n’est pas un concept de Freud qui n’ait été discuté, critiqué, voire combattu par Freud lui-même ou ses successeurs. Néanmoins, il est vrai que le geste fondateur de la psychanalyse reste pour eux, sinon inexplicable, du moins indiscutable : l’association libre.
Encouragez quelqu’un à parler de manière à ce qu’il accepte d’essayer de vous dire tout ce qui lui passe par la tête, et il s’en déduira toute une série de conséquences. En particulier le fait que le sujet tienne à continuer, parce que ça lui fait un effet très particulier. Il peut même, sans nécessairement s’en rendre compte, tenir à la relation qui se noue avec qui l’écoute.
Là donc, ça tient, et rudement. Le fait est, d’expérience. Pourquoi ça tient, et où ça va, tout cela se discute. D’autant que toujours le sens fuit, comme disait Lacan. Autrement dit, il n’y a pas de dernier mot de la vérité et là, Michel Onfray a bien saisi le truc. Le problème, c’est qu’il en déduit du coup que la psychanalyse est invalidée, alors que justement ce n’est que par là qu’elle fonde sa certitude.
Freud d’abord, Lacan ensuite, se sont échinés à saisir, au-delà de l’image, le traumatisme inaugural qui fait l’être humain en souffrance d’une vérité qui lui échappe. Et ils ont trouvé. Freud l’a exprimé d’un mythe, la castration, dont Lacan a montré qu’elle était le nom de l’impossibilité à tout dire, qui nous frappe tous, et dont nous recouvrons l’horreur dernière par nos croyances, conscientes aussi bien qu’inconscientes. Ils ont trouvé, au-delà de ces croyances incertaines, le moyen pour qui le souhaite d’ouvrir les yeux sur ce qui, dans la vie, le supporte, dans ce qu’il a de plus intime, de plus singulier.
On l’aura compris, si nous donnons raison à Michel Onfray, ce n’est que pour la moitié du chemin. Que n’a-t-il mesuré que c’est à partir de ses conclusions mêmes que la psychanalyse se poursuit et se démontre, dans ce qu’elle a d’unique : l’accès à ce qui fait le réel propre à chaque sujet, qui n’est bien sûr pas le réel universel de la science, mais n’en est pas moins sans conséquences majeures dans la vie de tous.
Est-il pertinent de se demander pourquoi Michel Onfray n’a pas poursuivi son chemin au-delà de sa découverte de l’inconsistance de la vérité, ce qui l’aurait amené, à n’en pas douter, à exercer son intelligence dans une tout autre direction ? On nous permettra d’interpréter l’épaisseur de son livre et les relais nombreux qu’il a trouvés dans les médias comme l’expression d’un ressentiment, partagé par beaucoup. Un ressentiment, fruit d’un amour déçu, pour s’être cru abusé, et qui n’a pas trouvé le relais congru pour s’interroger sur la tromperie de l’amour, voire de la parole elle-même.
Autrement dit, le livre de Michel Onfray, avec ses outrances, ses excès, sa mauvaise foi, ses pensées nauséabondes, ressemble par trop à ce qui se déchaîne sur un divan pour n’y pas voir une demande d’analyse restée en souffrance. La perspective de rester seul avec une angoisse folle de se tromper justifie quiconque de se montrer aussi brouillon que téméraire dans son assaut contre son idole du moment.
Et parce que notre époque spécialement y contraint les meilleurs et les plus sensibles, Michel Onfray n’est pas seul à s’indigner de ce que, malgré toutes leurs promesses, les savoirs se révèlent trompeurs. De surcroît, il est tout à fait justifié de prendre la psychanalyse comme cible centrale de cette rancoeur, car elle a les moyens, à défaut de le résoudre, de répondre du malaise dans la civilisation. Encore, il est vrai, faudrait-il que les psychanalystes ne l’oublient pas, et s’emploient mieux à le faire entendre.
Raison de plus pour être attentifs à quelques pensées dignes qui, loin de rendre les armes devant la solitude du sujet contemporain égaré dans un amas de mensonges, lui ouvrent une voie où il peut trouver à s’appuyer, les pensées d’un Freud, d’un Lacan, ou d’un Kertész dont le dernier livre paru en français, L’Holocauste comme culture (Actes Sud), ne traite de rien d’autre.
Marc Strauss
Psychiatre-psychanalyste
Membre fondateur de l’Ecole de psychanalyse des forums du champ lacanien (EPFCL)
© Le Monde
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