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Dans tous les cas, nécessité d’un accompagnement psychologique de tout traitement antidépresseur.
Le Point.fr – Publié le 22/02/2012 à 18:13
Par Anne Jeanblanc
Levée de boucliers des spécialistes devant le fait que la tristesse consécutive au décès d’un proche puisse être assimilée à une dépression.
Dans l’éditorial accompagnant son dernier numéro, la revue scientifique The Lancet soulève un lièvre de taille : le futur DSM-V (Diagnostic & Statistical Manual of Mental Disorders, la « bible » élaborée par l’American Psychiatric Association et utilisée dans de nombreux pays) considérerait que le chagrin après un deuil est une forme de dépression. Bref que le sentiment de tristesse, de perte, le manque de sommeil, les pleurs, l’incapacité à se concentrer, la fatigue et le manque d’appétit souvent observés en pareilles circonstances mériteraient bien un traitement médicamenteux…
Interrogée à ce sujet, la psychiatre parisienne Sylvie Angel est formelle : « Le deuil n’est pas une maladie. » Cette spécialiste rappelle qu’il dure en moyenne trois mois, avec des fluctuations en fonction de l’âge du défunt ainsi que des circonstances de son décès, et que, enfin, il ne peut être considéré comme une pathologie qu’au-delà de six mois. « Auparavant, et dans un passé encore récent, le deuil était accompagné« , remarque-t-elle. « Et le partage de la souffrance avec la famille, les amis, les voisins permettait de verbaliser sa souffrance et de mieux la supporter. Certains rituels religieux existent encore pour accompagner le deuil. Mais le pire, c’est la solitude ».
Faut-il donc prescrire des médicaments pour compenser les effets de l’individualisme caractéristique de nos sociétés ? « On peut proposer une aide médicamenteuse brève, ponctuelle, par exemple donner un anxiolytique pour aider quelqu’un à supporter la cérémonie des obsèques » répond le Dr Angel. En revanche, il n’est pas question de prescrire des antidépresseurs, sauf évidemment en cas de deuil pathologique. Et elle insiste sur l’intérêt des groupes de partage de deuil et des ritualisations religieuses pour aider ceux qui souffrent.
Les auteurs de l’édito du Lancet ne préconisent pas autre chose : « Médicaliser le chagrin, de façon à légitimer l’administration régulière d’un traitement antidépresseur par exemple, est non seulement dangereusement simpliste, mais aussi faux« , écrivent-ils. Selon eux, il n’existe aucune preuve d’effets bénéfiques des traitements antidépresseurs chez les individus ayant récemment subi le décès d’un proche. De plus, « chez de nombreuses personnes, le chagrin peut constituer une réponse nécessaire au deuil qui ne devrait pas être supprimée ou éliminée« .
Et pourtant, en pratique, il n’est pas rare que le deuil soit médicalisé. « Ce ne sont pas les psychiatres qui donnent le plus d’antidépresseurs aux personnes victimes d’un aléa de la vie, mais les médecins généralistes, remarque Sylvie Angel. Ils n’ont pas le temps d’écouter longuement leurs patients, ils ne sont pas formés pour cela et ils estiment que les médicaments vont aider ceux qui vont mal. » Or les psychiatres insistent sur la nécessité de proposer un accompagnement psychologique, en même temps que tout traitement antidépresseur.
La prochaine édition du DSM est prévue en mai 2013. Et, compte tenu des réactions des spécialistes, rien ne dit que le chagrin lié au deuil sera alors présenté comme une forme de dépression. Mais, pour Antoine Vial, membre du collectif Europe et Médicaments, cette tentative de modification montre, une fois de plus, « le poids de l’industrie pharmaceutique, qui cherche à créer des maladies pour recycler ses médicaments ». Comme il l’avait déjà fait dans le documentaire Maladies à vendre, diffusé en novembre dernier sur Arte, il espère que les intérêts économiques ne primeront pas sur ceux des patients.