par Philippe Grauer
Qui se souvient encore de ce procès que Judtih Miller-Lacan avait fait à Élisabeth Roudinesco à propos d’un subjonctif qu’il eût fallu à son gré conjuguer différemment ?
En appel, fait peu fréquent, on constate que le tribunal ramène cette analyse de l’emploi d’un subjonctif à son interprétation non dramatisée qui dénoue si l’on peut dire le nœud de l’accusation. La liberté d’expression y gagne grandement.
Mais aussi quelle idée chez les Miller d’intenter des procès en rafale pour marquer leur désaccord avec l’émission d’une pensée dont ils entendent se contrarier !
L’excellent Michel Rotfus vous explique et commente tout cela lestement, et vous pourrez si le cœur vous en dit vous régaler du jugement lui-même, ci infra mis à votre disposition sous les espèces pdf.
C’est à l’automne 2011 que s’était tenue l’audience du procès en diffamation intenté par Judith Miller à Élisabeth Roudinesco et aux Éditions du Seuil et c’est en janvier 2012 qu’avait été publié l’arrêt donnant raison à Judith Miller, arrêt qui vient d’être totalement invalidé par la Cour d’Appel le 24 septembre 2014.
par Michel Rotfus
Le 25 sept 2014
Le 16 novembre 2011, à la 17e chambre, Judith Miller, poursuivait en justice l’historienne et universitaire Élisabeth Roudinesco pour diffamation. Dans son dernier essai, Lacan envers et contre tout, elle soulignait qu’un jour Lacan “eût souhaité” des funérailles catholiques, lui le matérialiste athée, mais attaché comme on sait au rituel de l’Église romaine depuis toujours.
:
« Bien qu’il (Jacques Lacan) eût émis le vœu de finir ses jours en Italie, à Rome ou à Venise, et qu’il eût souhaité des funérailles catholiques, il fut enterré sans cérémonie et dans l’intimité au cimetière de Guitrancourt. »
Le Tribunal de Grande Instance de Paris jugeant en première instance avait donné raison à Judith Miller mais n’avait pas empêché la diffusion de l’ouvrage.
Élisabeth Roudinesco, et ses co-accusés, Olivier Bétourné et les Éditions du Seuil, avaient alors interjeté appel.
Il infirme les décisions du jugement précédent. Il constate la nullité de l’assignation délivrée à Olivier Bétourné et conclut en affirmant que les propos reprochés ne sont pas diffamatoires à l’égard de Judith Miller.
[Document : Sans titre] : texte intégral du jugement
Les juges se livrent à une interprétation magistrale de la phrase incriminée aux pages 6 et 7 du jugement. Ils expliquent qu’Élisabeth Roudinesco oppose Lacan à lui-même et à deux reprises : en 1993 et en 2011. Et disent qu’elle montre les paradoxes de la vie psychique de Lacan sans jamais évoquer sa famille ni ses héritiers. D’où il découle qu’on ne saurait lui imputer de les avoir diffamés ou accusés de quoi que ce soit.
(…) Considérant (….)
que l’historienne y évoque ( : dans le chapitre « La mort ») les deux dernières années de la vie de Jacques Lacan sans faire la moindre allusion à ses proches, ni à sa vie privée ou familiale ; que tout le chapitre est construit sur les oppositions (« la mort »/ « la bravade »,… « de faux noms »/« le nom de Lacan demeurait vivant », « envers »/« contre tout » qui s’inscrivent dans la mise en lumière des paradoxes ayant traversé la vie de Jacques Lacan, l’antagonisme en cause dans les propos litigieux n’étant pas entre la volonté du défunt et la conduite de ses héritiers mais entre Lacan et Lacan lui même ;
que c’est à tort que le tribunal a considéré qu’Élisabeth Roudinesco s’était ainsi livrée « a posteriori » à une interprétation destinée à effacer le sens de son propos en lui reprochant de ne pas avoir suivi la même formulation dans un ouvrage précédent – « Lacan était athée, même si par bravade il avait rêvé un jour de grandes funérailles catholiques »– alors qu’il aurait dû en déduire que ce sens ne pouvait être différent et que personne ne peut douter à la lecture de l’ouvrage que Jacques Lacan était athée ainsi qu’elle le précise en pages 122-123 ;
que le tribunal s’est donc mépris sur l’identité de la personne visée par les propos à savoir Jacques Lacan lui-même, et non sa fille, le souhait émis d’avoir des funérailles catholiques n’étant évoqué que pour éclairer l’importance symbolique que le psychanalyste pouvait accorder à l’acte des funérailles ;
Considérant (…) qu’en l’espèce les deux phrases composant le passage litigieux selon lesquelles Jacques Lacan a …« souhaité des funérailles catholiques » » et a « …été enterré sans cérémonie et dans l’intimité au cimetière… » ne contiennent aucune imputation à caractère diffamatoire ni même inexacte, Élisabeth Roudinesco ayant déjà évoqué dans un ouvrage précédent le « rêve » qu’aurait fait Jacques Lacan de grandes funérailles catholiques ;
que le caractère diffamatoire du propos résulterait de l’emploi de la locution conjonctive « bien que » et de l’opposition sur laquelle la phrase est construite entre le souhait exprimé par Jacques Lacan et la réalité contraire de ses obsèques, ce qui conduirait nécessairement le lecteur à comprendre que le souhait exprimé par Jacques Lacan quant à ses funérailles n’a pas été respecté et que ses proches, dont sa file Judith Miller, seraient responsables de cette trahison, non seulement contraire à la morale mais également pénalement réprimée ;
Considérant (…) que le paradoxe qu’Élisabeth Roudinesco dit avoir voulu mettre en lumière, entre le souhait de Jacques Lacan malgré son athéisme, et par attachement à la portée symbolique de la sépulture d’avoir des funérailles catholiques, autrement dit que sa vie, son œuvre puissent recevoir à sa mort un consécration en grande pompe, et, « ironie du destin », sa disparition silencieuse sans cérémonie et dans l’intimité n’apparaît pas nécessairement résulter d’une construction intellectuelle faite a postériori pour les besoins de la procédure ;
qu’il (…) n’est à aucun moment fait état de sa vie privée où familiale ni allusion à ses proches ou à sa fille en particulier, ce qui confirme que, comme le soutient Élisabeth Roudinesco, celle-ci a entendu mettre en regard, outre l’opposition relative aux funérailles, celle existant entre le silence de Jacques Lacan, sa popularité et son attitude dite de « bravade » antérieure et donc mettre en lumière « les paradoxes » de Jacques Lacan et nullement imputer à ses proches, à travers ces quelques lignes relatives aux funérailles, un quelconque grief de trahison ;
Dans Le Point.fr du 08 septembre 2011, Judith Miller déclarait à propos de cette phrase qu’elle n’a même pas lue, mais qu’une amie bien intentionnée lui a lue au téléphone :
« C’est une ignominie, et dont elle (Élisabeth Roudinesco) aura à répondre. Jadis, pour ça, on provoquait en duel, quand on était un homme ! La dernière année de sa vie, mon père a logé chez moi, rue d’Assas, avec mon mari et mes enfants. C’était moi, ou Abdou, le mari de Gloria, la secrétaire de mon père, qui le conduisions chaque jour à son cabinet, rue de Lille, où il recevait ses patients. « Tu es mon bâton de vieillesse, » me disait-il. Personne ne m’a disputé cette place. Écrire noir sur blanc, la veille des trente ans de sa mort, que ses dernières volontés ont été trahies, c’est chercher à m’atteindre dans ce que j’ai de plus cher. Eh bien, c’est réussi ! De Lacan, on peut tout dire. De moi, non. Je suis bien vivante, et cette personne va s’en apercevoir. »
Mais qui donc lui dispute la place qu’elle occupe pour l’éternité auprès de Lacan ? Ah ! si elle avait été un homme, et si tout cela s’était passé jadis, elle aurait provoqué Élisabeth Roudinesco en duel ! Mais elle ne nous dit pas si celle-ci aurait dû aussi être un homme.
La provocation en duel est particulièrement prisée par le couple Miller. Jacques-Alain son mari, deux ans plus tard provoquera en duel Alain Badiou qui l’avait qualifié de “renégat” et qui, rapporte-t-il, lui répondit : « “Renégat” n’est pas une insulte, c’est une description. (…) Pourquoi du reste t’offenser de cette description ? Tu me sembles plutôt devoir assumer et défendre ta renégation comme étant celle du Mal au profit du Bien. » Il termine par ces mots : « Quant au duel, n’y songe pas! Bien évidemment, je ne me bats pas en duel avec un renégat. Bien à toi, Alain ».
Mais vivant aujourd’hui et non jadis, il ne reste plus à Judith que les tribunaux où elle assigne « cette personne » qui l’accuse, pense-t-elle d’avoir trahie les volontés de son père. Le tribunal dans ses attendus, lui montrera que c’est à partir d’un contre-sens, d’une mésinterprétation qu’elle s’est « sentie atteinte dans ce qu’elle a de plus cher ».