Quand on vous le disait que ce Psychanlyse pour les nuls était un petit chef-d’œuvre.
Critique 17.10.2012
LIBERATION – LIVRES : Christian Godin et Gilles-Olivier Silvagni, La Psychanalyse pour les nuls, First Editions, 432 pp., 22,95 €.-
par GENEVIEVE DELAISI DE PARSEVAL
Bienheureux les esprits vierges en psychanalyse, car ils verront Freud dans ce remarquable «pense-nul». Quant aux autres, les «demi», «quart» ou «pas du tout» nuls en la matière, ils seront eux aussi séduits par cet ouvrage inventif. Car ce (gros) livre offre dans une présentation à la fois originale et documentée, et dans un style tant simple – mais pas simpliste – qu’humoristique, une présentation de la psychanalyse dans tous ses aspects, y compris littéraires, cinématographiques, télévisuels, etc. Présentation qui ne fait d’ailleurs nulle concurrence aux nombreux ouvrages rédigés par des spécialistes. Et qui réduit à pas grand-chose les lassantes polémiques pour-contre la psychanalyse. Il fallait oser… le pari est réussi.
Disciples. En ouverture, l’histoire de la psychanalyse : «Au commencement était une belle plume, le verbe de Freud. Un dieu pour ses disciples, un diable pour ses ennemis. Ni l’un ni l’autre bien sûr, mais seulement un homme génial. Qui était-il ? Que voulait-il ? C‘est à suivre cette formidable aventure que vous êtes invité.» Est ensuite racontée de façon très vivante l’aventure des disciples qui ont apporté leur pierre personnelle à l’édifice. En France, on connaît surtout l’un d’entre eux, Jacques Lacan, bien décrit comme «un bateleur loufoque et génial, littéralement surréaliste, qui sera comme le Luther de cette Église qu’était devenue la psychanalyse internationale, fortement dominée par les Anglo-Américains. Désormais, plus rien ne sera comme avant. Trente ans après sa mort, l’histoire continue».
Autre exemple, celui de la portée de la psychanalyse : «La psychanalyse n’est pas seulement une théorie de l’inconscient et un moyen de soigner les névroses, elle est aussi, dans ses développements les plus fascinants mais également les plus aléatoires, une théorie complète de l’histoire et de la culture. L’art, la politique, la religion, rien de ce qui est humain ne lui est étranger.» Ah ! qu’en des termes galants ces choses-là sont mises !
Par où commencer ce livre Everest, un peu intimidant par sa taille ? Peut-être par les Annexes (40 pages) où chacun pourra faire son marché. Au hasard : «bisexualité» ou «scotomisation» dans le glossaire, ou, dans la bibliographie originale et extensive appelée astucieusement «Sources et ressources», un choix détaillé d’articles de Freud, mais aussi des séries télévisuelles tels les Soprano, ou encore des documentaires comme celui d’Élisabeth Roudinesco ou ceux qui portent sur Lacan, Dolto ou Winnicott, des liens internet, et enfin, un index digne du meilleur travail universitaire.
On peut poursuivre – et s’attarder – sur le chapitre «Dix romans autour de la psychanalyse», où sont notamment analysés la Conscience de Zeno d’Italo Svevo, l’Arrache-Cœur de Boris Vian, des livres de Philip Roth, d’Irvin Yalom, de Jean-Pierre Gattégno ou de Leslie Kaplan. Dans le chapitre «Dix films autour de la psychanalyse», on trouvera évidemment le El de Buñuel, la Maison du docteur Edwardes de Hitchcock, mais aussi les films de Mankiewicz, de Tourneur, de Pabst, d’Orson Welles, de John Huston, de Cronenberg, de Woody Allen et de tant d’autres. Si on remonte le livre à l’envers on trouvera, dans la «Série des Dix», «Dix cas célèbres de la psychanalyse» racontés comme «des histoires insensées mais qui ne sont pas sans queue ni tête».
Matou. Mais si c’est la question de la cure analytique qui intéresse le lecteur, il trouvera deux excellents chapitres sur le contrat analytique, les règles, le cadre, la durée des séances, l’attention flottante de l’analyste qui, paraît-il, ressemblerait à celle d’un gros matou installé sur sa chaise en train de regarder le jardin par la fenêtre : on croit qu’il dort les yeux ouverts mais, d’un coup de patte, l’analyste, tel le chat, attrape au vol un beau lapsus, un apparent contresens du discours du patient… On peut ne pas aimer la métaphore, il n’empêche qu’on ne trouvera dans ces chapitres aucune erreur majeure, sauf peut-être «la durée d’une première cure, de six mois à deux ou trois ans», temps qui paraît légèrement sous-estimé.
Si on ajoute d’excellentes illustrations de Chouin, des séries d’anecdotes hilarantes, de citations (justes !), des intertitres bien pensés, on a le livre-presque-idéal… Bienheureux les nuls !
Christian Godin et Gilles-Olivier Silvagni, La Psychanalyse pour les nuls, First Editions, 432 pp., 22,95 €.-