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27 décembre 2006

Le prétexte sectaire ou le retour d’Accoyer J-F Cottes

J-F Cottes

La Commission d’enquête de l’Assemblée Nationale relative à l’influence des mouvements à caractère sectaire et aux conséquences de leurs pratiques sur la santé physique et mentale des mineurs – Président M. Georges Fenech, député UMP, Rapporteur M. Philippe Vuilque, député PS – vient de remettre son rapport. Elle a été créée par l’Assemblée Nationale le 28 juin 2006. Ce rapport s’inscrit dans la série des rapports annuels des Missions Interministérielles de lute contre les sectes – la MILS, puis la MILIVUDES, ainsi que ceux remis par les deux précédentes commissions d’enquêtes parlementaires.

On se souvient que le rapport 2000 de la MILS avait été cité dans les justifications de l’amendement Accoyer : certains mouvements de psychothérapie auraient servis de base à des pratiques sectaires. On sait qu’il y a peu certaines organisations ont brandi le risque sectaire comme justifiant la mise en place d’une formation strictement universitaire à la psychopathologie, telle qu’elle est prévue par l’article 52 de la loi de Santé publique du 9 août 2004 sur le titre de psychothérapeute.
Vous pourrez lire l’ensemble des travaux de la commission, sa composition, la résolution de création de cette commission, le rapport lui-même ainsi que ses annexes et les comptes-rendus d’audition.

À de nombreuses reprises il y est question des psychothérapies et des psychothérapeutes. Notamment de la page 169 à la page 179 du rapport dans le chapitre : « D’une absence de contrôle des activités des psychothérapeutes« .

Il faut aussi lire les auditions de MM. Rouquet (Psychothérapie-Vigilance), Basset (DGS) et Brunelle (Conseiller du Ministre de la Santé), et Houssein (Directeur Général de la Santé.) On pourra aussi lire l’audition haute en couleurs de M. le Professeur Marcel Rufo.
Il y a beaucoup à relever et à commenter.

1) Intéressons-nous d’abord au rapport lui-même.
Et en premier, il faut répondre à la question : qu’est-ce qui justifie l’examen de la question de la psychothérapie dans un tel rapport ? Voici la réponse du rapport :

« La manipulation mentale constituant le premier moyen d’action auxquels ont recours les mouvements à caractère sectaire, les activités des spécialistes du mental que sont les psychothérapeutes ont retenu l’attention de la commission d’enquête. L’usage déviant de certaines techniques de psychothérapie, dont les enfants sont les premières victimes, apparaît constituer un nouveau trait du paysage sectaire.« 

C’est cette phrase qui va ouvrir l’examen des psychothérapies.

Le premier point, après ce préambule, porte sur l’accroissement du nombre des psychothérapeutes, et des psychothérapies. Ce double accroissement est considéré comme suspect. C’est dans cette partie que nous trouvons la première mention, en note de bas de page, de l’expertise collective de l’Inserm « Psychothérapies : trois approches évaluées » : « Si une approche méthodique de la psychothérapie ne distingue que trois grandes catégories de soins (3) (cognitivo-comportementale, psychanalytique, familiale et de couple), certaines fédérations de psychothérapeutes proposent un choix beaucoup plus vaste. » Un esprit vétilleur pourrait voir dans cette mention une critique du rapport de l’Inserm qui n’aurait comparé, dans son étude de bench-marking, que trois psychothérapies alors que le rapport lui en cite des dizaines et que des centaines sont évoquées lors des auditions. Mais non, il ne s’agit pas de cela ! : En effet « On s’interroge sur l’absence d’évaluation de ces techniques par les pouvoirs publics. Seules des questions écrites posées par des parlementaires ont amené le ministère de la santé à reconnaître, par exemple, la kinésiologie et la sophrologie comme des activités n’ayant fait l’objet d’aucune étude validée scientifiquement.« 

Ah ! va-li-dée scien-ti-fi-que-ment, voici un syntagme que nous connaissons bien depuis qu’il a fait son apparition dans le premier projet de décret de l’article 52 présenté en janvier 2006 par M. Basset. La commission d’enquête a donc repris, cette notion, on ne saurait dire concept, sans autre forme d’interrogation épistémologique sur sa validité dans le champ des psychothérapies. « On » encourage donc les pouvoirs publics à évaluer ces techniques. Et pourtant, cette formule magique avait disparu de la deuxième version présentée par M. X. Bertrand en avril, et même de la troisième version mise en circulation par M. Basset en septembre, tant elle avait suscité un tollé quasi-général.
Venons-en au troisième point intitulé « La réglementation du titre de psychothérapeute, un exercice inachevé. »

Bien sûr « on » commence par un vibrant hommage rendu à M. Bernard Accoyer, en particulier en le citant sur sa contribution essentielle sur le vissage de plaques, et « l’on » regrette que, alors que son initiative portait « sur le contenu de la pratique des psychothérapies (notamment au travers de l’établissement d’une nomenclature des pratiques reconnues) », Las !, « les mesures finalement adoptées par le législateur se sont concentrées sur la création d’un titre de psychothérapeute et sur les conditions de sa délivrance. » (p.175). On n’en serait pas là si avait été suivie l’intuition du grand pourfendeur de vides juridiques.

Poursuivant sa méditation – dont on ne voit plus très distinctement ce qu’elle a à voir avec les sectes – la commission d’enquête précise à propos du décret d’application et en particulier de l’inscription sur l’inscription de droit sur le registre des psychothérapeutes : « L’intention du législateur est claire : il n’y a pas d’exception à l’obligation de suivre une formation en psychopathologie clinique. En conséquence, les titulaires d’un diplôme de docteur en médecine, les personnes autorisées à faire usage du titre de psychologue et les psychanalystes régulièrement enregistrés dans les annuaires de leurs associations ne peuvent, au vu de leur seule spécialité, faire usage du titre de psychothérapeute. » Ce disant elle intervient dans le débat en cours sur l’interprétation de l’article 52 a contrario de ce qui semblait pourtant être acquis. Ce qui est revendiqué en gras à la page 177 : « Il convient par conséquent que le décret d’application de la disposition législative réglementant le titre de psychothérapeute soit conforme aux exigences posées par le législateur. » C’est-à-dire conforme aux recommandations de la commission d’enquête.

Le point 4 est intitulé sans équivoque : « La sanction nécessaire des mauvaises pratiques.« 

Sur sa lancée, et outrepassant les dispositions prévues par l’article 52, la commission recommande la mise en place de dispositions contrôlant non seulement la délivrance du titre, ce qui est l’esprit et la lettre de la loi, mais aussi son usage conforme. Le rapport affirme sans ambages : « Il ne paraît pas acceptable que, dans le domaine de la santé, la reconnaissance d’un titre ne s’accompagne pas de dispositions contrôlant son bon usage. » (p.177)

Elle en vient ensuite à sa recommandation sur ce point, la création d’un code unique de bonnes pratiques ou déontologique : « C’est pourquoi la commission d’enquête appelle de ses voeux la rédaction, en un premier temps, d’un code de bonnes pratiques commun à l’ensemble des psychothérapeutes. Ce code pourrait s’inspirer des codes de déontologie des professions de santé réglementées en se fondant sur les « principes de moralité, de probité, de compétence et de dévouement » mentionnés à l’article L. 4121-2 du code de la santé publique. » (p.178).

Enfin, vient le point 5 « L’évaluation indispensable des techniques thérapeutiques« .

Apportant sa dernière pierre à l’édifice, le rapport préconise la création d’un conseil professionnel qui procèderait à l’évaluation des pratiques professionnelles.

« Le conseil professionnel, dont la commission d’enquête appelle la création, aurait aussi pour fonction, sur le modèle du conseil déjà prévu pour certaines professions paramédicales, de procéder à l’évaluation des pratiques professionnelles. Il ne semble, en effet, pas concevable que l’attribution d’un titre de psychothérapeute n’engage pas l’autorité publique sur l’efficacité des techniques mises en oeuvre par les bénéficiaires de ce titre. (p.179). »

Comme on le voit ce texte est structuré comme un entonnoir qui conduit en un point : l’évaluation.
Il est remarquable que, prenant prétexte des sectes, les auteurs de ce rapport tentent de faire passer ce qui n’a pas pu passer autrement.

Se rappelle-t’on que M. Douste-Blazy, alors Ministre de la Santé, avait déclaré le 5 février 2005 au Forum des psys que « la souffrance psychique n’est ni mesurable, ni évaluable », qu’il avait aussi reconnu toute sa place à la psychanalyse et à la psychothérapie relationnelle, qu’il avait fait retirer du site du Ministère de la Santé l’expertise collective de l’Inserm sur l’évaluation des psychothérapies ?

Se rappelle-t-on qu’après que l’Assemblée eût voté en octobre 2003 à l’unanimité l’amendement Accoyer en première lecture, le Sénat dès le mois de janvier 2004 avait changé le fusil d’épaule en ramenant les ambitions réformatrices à l’usage du titre et non à la réglementation des psychothérapies ? Faut-il rappeler que le compromis final de la commission mixte paritaire Assemblée-Sénat qui s’était dégagé dans les derniers jours de juillet 2004 avait maintenu cette rectification ? Devrons-nous enfin avoir la cruauté de remontrer aux rédacteurs du rapport que lors de la réunion d’avril le Ministre M. Xavier Bertrand avait arbitré dans le même sens ?

Cette partie du rapport sur les dérives sectaires, par ailleurs certainement très fondé, n’apparaît plus que comme un prétexte pour l’Assemblée de revenir à l’amendement Accoyer.

*************

2) Il est aussi très édifiant de lire l’audition conjointe de MM. Basset et Brunelle.
M. Philippe Tourtellier membre de la commission d’enquête interroge : « Vous avez évoqué une formation de 500 heures de théorie et 500 heures de pratique. Qui va en déterminer le contenu ? Qui déterminera, parmi les psychothérapies existantes, celles qui sont bonnes et celles qui ne le sont pas ?« 

M. Brunelle lui répond : « Le cahier des charges pédagogiques est établi par le ministère de la Santé. Il inclut une obligation de sécurité du soin. L’université se saisit de ce cahier des charges et délivre le titre universitaire qui correspond à son cursus et aux règles du code de l’éducation. » Ici on apprend que le cahier des charges inclut une sécurité du soin. Qu’est-ce que cela signifie ? Difficile de le dire avec précision, mais certainement, qu’au-delà de la formation en psychopathologie prévue par l’article 52, est prévu un contrôle de la formation à la psychothérapie. Sinon que signifierait « sécurité du soin » ? On apprend en outre que le cursus sera sanctionné par un titre universitaire – mais on ne sait pas lequel … psychopathologue ou psychothérapeute ?

M. Basset précise plus loin : « Je n’ai peut-être pas suffisamment insisté sur le fait qu’il y a des résistances, de la part de professionnels honnêtes, psychiatres ou psychanalystes, à toute évaluation, comme à des méthodes qui visent à encadrer les pratiques, en particulier les psychothérapies. L’administration n’est pas la seule. Il faut que les professionnels rigoureux acceptent un cadre à leurs propres pratiques, qui empêche les dérives sectaires. Si l’on n’arrive pas à définir les pratiques « normales », il est difficile d’exclure les pratiques déviantes. Quand on a demandé à l’INSERM de procéder à une évaluation scientifique, on a constaté que le fait même de poser la question à l’INSERM était sacrilège. » Nous voyons revenir l’évaluation scientifique.

C’est M. Brunelle qui sera le plus explicite sur ce point  » : L’INSERM s’est vu confier cette méta-analyse de la littérature scientifique sur les psychothérapies, et a pu montrer qu’un certain nombre d’entre elles avait une évaluation positive. C’est en particulier le cas des fameuses TCC, les thérapies comportementales et cognitives. D’autres thérapies, par contre, sont inefficaces. » Ah oui ! Les fameuses TCC réputées, aux dires de l’Inserm, pour leur efficacité. Mais quelles sont celles qui sont jugées inefficaces ? Faisons un effort de mémoire : les psychothérapies psychodynamiques – entendez psychanalytiques – et les psychothérapies familiales. Comme on le voit ces messieurs tiennent bon : — »Expertise Inserm pas morte – STOP – Décret suit ».

M. Brunelle poursuit : « Au vu des réactions suscitées par le rapport de l’INSERM, le ministre de la santé a souhaité que le débat s’élargisse. » La commission ne saura pas la teneur de ces « réactions » – elle ne l’a d’ailleurs pas demandé. »Une nouvelle réunion, tenue sous l’égide du ministère, aura lieu au mois de novembre. Le ministre s’exprimera pour demander qu’il soit procédé, s’agissant de ces thérapies, à des évaluations plus vastes, plus fréquentes et plus scientifiques. » L’audition a lieu le 10 octobre. Cette réunion annoncée n’aura pas lieu. M. Brunelle sait ce que dira le Ministre lors de cette réunion qui ne se tiendra pas : il demandera des évaluations scientifique des psychothérapies. Nous saisissons bien ici le back-ground du débat sur le décret, il masque la volonté, une fois le décret pris, et le débat clos, de procéder par arrêtés, circulaires, directives, pour mettre au pas la pratique des psychothérapies, s’en prendre à la psychanalyse, mettre en place l’évaluation des pratiques professionnelles – en bref en revenir au credo de M. Accoyer et Cléry-Melin.

Terminons cette série – trop longue – de citations sur la psychothérapie par celle où se révèlent dans toute leur dimension la méconnaissance et le mépris dans lesquels, dans certains milieux, on tient la psychothérapie et la psychanalyse. « C’est un domaine dans lequel les acteurs ont un positionnement par essence anti-cartésien. Ils dénient à la pensée cartésienne le droit d’évaluer des concepts qui s’apparentent à des concepts philosophiques, et qui sont parfois proches de dérives sectaires. Ils dénient même parfois à l’État, en tant que tel, le droit de s’immiscer dans ce domaine. Il y a là un enfermement extrêmement problématique. » Où l’on apprend que Descartes n’était pas philosophe et que les « acteurs » de ce « domaine » refusent la rationalité – sans doute pour un retour à la pensée magique ou animiste. Ce qui n’est pas concevable dans la logique de M. Brunelle, c’est qu’il y ait d’autres modes de la conceptualisation de l’expérience que celle de ce qu’il appelle la méthode scientifique. Aucune réflexion épistémologique, aucune place à une rationalité qui ne répondrait pas au discours de la science.

Achevons notre lecture du texte avec les propos de M. Basset au sujet des psychologues. Interrogé sur la protection du titre de psychologue il répond : « C’est une profession extrêmement bien organisée. La formation universitaire est reconnue à un niveau bac + 5. Les psychologues sont très attentifs à ce que leur titre ne soit pas usurpé, et corresponde à une formation universitaire. Mais cette profession ne dispose pas encore de l’outil déontologique rendant possibles des sanctions ordinales. La création d’un conseil de l’Ordre est envisagée, afin que les professionnels puissent, en amont d’une sanction pénale, avoir un droit de regard sur la pratique des psychologues. J’ajoute que, comme vous le savez, ils ont un panel professionnel extrêmement vaste. Ils sont présents dans les structures de communication, dans les entreprises. Ils ne sont pas tous thérapeutes.« 

Ici les psychologues sont pris en exemple. Bien organisés, défendant leur titre, demandant un Ordre professionnel, ils seraient prêts à entrer en évaluation. Il y a des réveils qui s’annoncent douloureux. Il n’est pas si sûr que tous les psychologues suivront la voie que leur indique M. Basset.

L’ensemble, rapport et auditions, est très révélateur de l’esprit de revanche qui semble animer certains membres de l’Assemblée Nationale et de la haute administration du ministère de la Santé. Les camouflets reçus lors des batailles contre l’amendement Accoyer, puis contre l’expertise collective de l’Inserm sur les psychothérapies, et, on ne peut s’empêcher d’y penser même s’il n’y est pas fait référence explicite, par le mouvement Pas de 0 de conduite pour les enfants de trois ans !, – ces camouflets sont encore cuisants.

Dans le camp des zélés évaluateurs on n’a pas désarmé.

À la fin de la lecture de ces documents on se demande si ce rapport concerne les sectes ou les psychothérapies. Comment une commission parlementaire peut-elle émettre des recommandations sur les psychothérapies et le titre de psychothérapeute sans avoir entendu une seule des professions concernées et en ne faisant aucunement référence au débat contradictoire qui est en cours ?

En tous les cas, si, comme cela a été annoncé le 14 novembre lors du Colloque Inserm sur le « Trouble des conduites », un autre Colloque se tenait en avril 2007 pour reprendre l’évaluation des psychothérapies, cela constituerait un enjeu d’une importance majeure pour les suites qui seront données à l’article 52 et à son décret d’application.