Mais qu’est-ce que le Nouvel Obs est allé faire dans cette galère ? à billet, contre-billet. Voici l’indignation du professeur Rotfus, encore un ! qui a abandonné un instant son travail aux pompes funèbres de la culture pour exprimer, que voulez-vous, son indignation. Nous la publions, c’est pas pour le provocateur c’est pour Benoît Peeters et Derrida. Quand même, pour parler comme Queneau, faut pas pousser.
PHG
Dans la rubrique « LIVRE » page 114 du dernier numéro du Nouvel Observateur Michel Onfray commet un de ces articles dont il a désormais le secret, et qui est supposé faire référence à la biographie de Benoît Peeters sur Derrida[1]. Je ne comprends pas ce texte violent et insultant de Michel Onfray. Qu’est-ce en effet que cette manière de chroniquer non pas la Biographie de Derrida – excellente, d’ailleurs, je suis en train de la lire –, mais les Carnets du biographe, petit texte annexé à celle-ci ?
Le rédacteur responsable de la rubrique livre du Nouvel Obs annonce en chapeau : Polémique. Où est la “polémique”? Il n’y a pas de polémique mais, comme on en a l’habitude désormais avec Onfray, des insultes, et des invectives dans un article rempli d’erreurs et de falsifications rédigé à la va vite sur un ton vengeur et insupportable. Des exemples ? « Le voilà (Derrida) à son tour aux mains d’un biographe, Benoit Peeters, exactement comme nous serons tous à la merci d’un employé des pompes funébres ». Mon Dieu, Onfray gardien de la mémoire de Derrida ! On aura tout vu ! Pitié pour Derrida !
Mais heureusement, Michel Onfray donne ici une leçon de biographie de haute école, lui qui ne cesse de proclamer qu’elle est la « clé majeure de sa philosophie ». Qui est Benoît Peeters selon Onfray? Dans un alinéa aussi obscur que mystérieux, on doit comprendre qu’il est du côté de « l’académisme des professeurs », dogmatique de l’orthodoxie structuraliste qui a « théorisé cette haine de l’auteur »». Benoit Peeters professeur ? structuraliste ? haineux ?
Quelques lignes plus loin à l’inverse, horresco referens, l’indignité de Benoît Peeters est dévoilée : « Voilà un homme connu pour une biographie d’Hergé, des collaborations dans des BD, et pour être un spécialiste de Tintin – autant de titres de noblesse philosophique bien sûr – ». L’horrible traître est mis à jour. Cet individu qui prétend avoir la dignité d’un biographe de philosophe – et il faut en savoir quelque chose de la philosophie pour cela ! – n’est qu’un infâme tintinophile, pour ne pas dire tintinomane.
Je connais l’œuvre de Benoît Peeters qui m’accompagne et m’enchante depuis longtemps avec son complice, le dessinateurs scénariste et architecte visionnaire François Schuiten. C’est un universitaire titulaire d’une HDR (habilitation à diriger des recherches, diplôme de l’enseignement supérieur le plus élevés en France), qui fut élève de Roland Barthes, diplômé de l’École pratique des hautes études, auteur consacré, passionné par le nouveau roman, passionné par le cinéma et l’image, polyvalent talentueux. Si vous ne les connaissez pas, découvrez toute affaire cessante les 9 volumes qui depuis 1982, composent l’univers des Cités obscures !
Voilà un homme qui devrait convenir à Onfray, hors des carrières universitaires et des dogmatismes qu’il dénonce, un créateur, un arpenteur des chemins transversaux, un visionnaire. Au lieu de quoi, il le couvre de crachats. Il doit y avoir beaucoup de brouillard et de confusion dans la tête d’Onfray, lui qui dans une très pâle et lointaine imitation de Schopenhauer et de Kierkegaard voue aux Gémonies la philosophie des professeurs[2].
Décidément, dans chacun de ses Parerga, Paralipomena, et Apostilles, [3] outre ses désormais habituelles âneries, Onfray a le talent de s’aliéner tous ceux à qui il s’adresse, et tous ceux qui s’intéressent aux sujets dont ils parlent. Pour s’en tenir aux plus récents, citons, les journalistes qu’il ne cesse d’invectiver, les espérantistes qui y perdent leur latin, les praticiens des langues régionales, les historiens de la Révolution française et de l’assassinat de Marat par Charlotte Corday, les croyants des grandes religions monothéistes tenues pour responsables d’Hiroshima et d’Auschwitz, les amis des Lumières et de Kant devenu responsable de la Solution finale selon Eichmann, les millions d’amis de la psychanalyse freudienne. Et désormais les amis de Tintin, d’Urbicande et de Benoît Peeters.
Allons, Onfray, au travail ! faites nous vite cette psychanalyse non freudienne, reicho-sartro-politzero-derridienne, qui va river son clou à la “parapsychologie freudienne”, dépêchez-vous de former de nouveaux thérapeutes non-freudiens et devenez en le premier patient en thérapie au long cours, gratuite si vous le voulez. Mais de grâce, allez soigner votre paranoïa galopante et vos accès de bouffonnerie obscène. Prenez votre temps sur ce divan improbable. Ça nous fera des vacances, et l’air redeviendra un peu plus pur et plus respirable.
Michel Rotfus, professeur de philosophie au lycée international Honoré de Balzac, Paris 17éme.
[1] Derrida, par Benoît Peeters. Flammarion. Grandes biographies. 2010.
[2] Eux s’en prenaient aux « calibans intellectuels », « hâbleurs », « gonfleurs de vents (Windbeutel) ». Schopenhauer. Le Monde comme volonté et représentation. Préface à la seconde édition. Ou encore : Le fondement de la morale, §6. Parerga et Paralipomena , 11 (1), A, 111 ; J, 5, p.45 ; 5 mai-28 juin 1854 et Pap., 11 (1), A, 183 ; J., 5, p. 74, 28 juin-16 aout 1854).
[3] Parerga : nom masculin pluriel pluriel de parergon (mot grec) addendums, éléments ajoutés à une œuvre. Paralipomène : (adjectif singulier invariant en genre) relatif à un ouvrage précédent du même auteur. Apostille : addendum en marge ou au bas d’un écrit (type post sciptum). Le terme vient du bas-latin postilla : note, explication.