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18 janvier 2012

Lettre à Guéant – le crachat et le rêve français Amine EL KHATMI, précédé du Chemin de l’honneur, par Philippe Grauer

Le chemin de l’honneur

Par Philippe Grauer

Si nos collègues psychopraticiens relationnels veulent bien exercer leur métier, il faut qu’ils aient lu cette lettre, enregistré cette indignation, maîtrisé leurs affects pour être à même de recevoir dans leur cabinet ces français et ces expulsables avec cœur, retenue et talent.

Nous ne saurions ignorer au sein de quelle société nous exerçons, et notre devoir disciplinaire est d’accueillir de ceux qui souffrent de l’injustice de l’appareil d’État la plainte, l’indignation et la parole – qu’ici on pourrait dire d’honneur – sans s’embarquer ou s’empêtrer dans une possible dramatisation, simplement, professionnellement et humainement, en faisant notre travail.

Il peut aussi appartenir à nos institutions de diffuser l’information, de refuser de nous taire confortablement, car partout où au nom de la France on s’en prend à l’humanité de qui que ce soit on peut émettre l’hypothèse que notre silence complice serait engagé, nous engagerait, et que nous agirions contre notre conscience, contre la conscience universelle et contre les intérêts supérieurs de notre pays, à rester cois. Nous ne saurions nous permettre de tels manquements à l’éthique.

C’est au nom de l’honneur de la France et du mien qui lui est associé que je prends l’initiative de répercuter ce document. Je me risque, mais la lâcheté me ferait risquer bien davantage, et compromettrait l’idée que je me fais de la dignité humaine, de l’accueil de l’autre, et de la discipline et profession que le Cifp s’efforce de transmettre et représenter.


Amine EL KHATMI, précédé du Chemin de l’honneur, par Philippe Grauer

Resf31@abri.org

RÉSEAU ÉDUCATION SANS FRONTIÈRES 31

Le Réseau Éducation sans frontières 31 est constitué par des organisations syndicales et associatives, des collectifs, est soutenu par des organisations politiques et regroupe des personnels de l’Éducation Nationale, des parents d’élèves, des militants et des élèves qui militent pour aider à la régularisation des jeunes sans papiers scolarisés sur l’agglomération toulousaine. Il fait partie du Réseau Éducation sans frontières (RESF) qui s’est crée en juin 2004 et qui regroupe des collectifs sur la France entière. Ce réseau est constitué et soutenu par une centaine d’organisations, associations, syndicats, collectifs.


Lettre à Guéant : Le crachat et le rêve français

Par Amine El Khatmi


Lettre à monsieur le ministre de l’Intérieur, de l’Outre-Mer, des Collectivités territoriales et de l’Immigration

Monsieur le ministre,

La sous-direction de l’accès à la nationalité française du ministère que vous dirigez vient de signifier à madame S. Boujrada, ma mère, le classement de son dossier et un refus d’attribution de nationalité. «Vous ne répondez pas aux critères», est-il écrit dans un courrier sans âme que l’on croirait tout droit sorti de l’étude d’un huissier ou d’un notaire.

Ma mère est arrivée en France en 1984. Il y a donc vingt-huit ans, monsieur le ministre, vingt-huit ans ! Arrivée de Casablanca, elle maîtrisait parfaitement le français depuis son plus jeune âge, son père ayant fait le choix de scolariser ses enfants dans des établissements français de la capitale économique marocaine.

Elle connaissait la France et son histoire, avait lu Sartre et Molière, fredonnait Piaf et Jacques Brel, situait Verdun, Valmy et les plages de Normandie, et faisait, elle, la différence entre Zadig et Voltaire ! Son attachement à notre pays n’a cessé de croître. Elle criait aux buts de Zidane le 12 juillet 1998, pleurait la mort de l’abbé Pierre.

Tout en elle vibrait la France. Tout en elle sentait la France, sans que jamais la flamme de son pays d’origine ne s’éteigne vraiment. Vous ne trouverez trace d’elle dans aucun commissariat, pas plus que dans un tribunal. La seule administration qui pourra vous parler d’elle est le Trésor public qui vous confirmera qu’elle s’acquitte de ses impôts chaque année. Je sais, nous savons, qu’il n’en est pas de même pour les nombreux fraudeurs et autres exilés fiscaux qui, effrayés à l’idée de participer à la solidarité nationale, ont contribué à installer en 2007 le pouvoir que vous incarnez.

La France de ma mère est une France tolérante, quand la vôtre se construit jour après jour sur le rejet de l’autre. Sa France à elle est celle de ces banlieues, dont je suis issu et que votre héros sans allure ni carrure, promettait de passer au Kärcher, puis de redresser grâce à un plan Marshall qui n’aura vu le jour que dans vos intentions. Sa France à elle est celle de l’article 4 de la Constitution du 24 juin 1793 qui précise que «tout homme – j’y ajoute toute femme – né(e) et domicilié(e) en France, âgé(e) de 21 ans accomplis, tout(e) étranger(e) âgé(e) de 21 ans accomplis, qui, domicilié(e) en France depuis une année, y vit de son travail, ou acquiert une propriété, ou épouse un(e) Français(e), ou adopte un enfant, ou nourrit un vieillard, tout(e) étranger(e) enfin, qui sera jugé(e) par le corps législatif avoir bien mérité de l’humanité, est admis(e) à l’exercice des droits de citoyen français». La vôtre est celle de ces étudiants étrangers et de ces femmes et hommes que l’on balance dans des avions à destination de pays parfois en guerre.

Vous comprendrez, monsieur le ministre, que nous ayons du mal à accepter cette décision. Sa brutalité est insupportable. Sa légitimité évidemment contestable. Son fondement, de fait, introuvable. Elle n’est pas seulement un crachat envoyé à la figure de ma mère. Elle est une insulte pour des millions d’individus qui, guidés par un sentiment que vous ne pouvez comprendre, ont traversé mers et océans, parfois au péril de leur vie, pour rejoindre notre pays. Ce sentiment se nomme le rêve français. Vous l’avez transformé en cauchemar.

Malgré tout, monsieur le ministre, nous ne formulerons aucun recours contre la décision de votre administration. Nous vous laissons la responsabilité de l’assumer. Nous vous laissons à vos critères, à votre haine et au déshonneur dans lequel vous plongez toute une nation depuis cinq ans. Nous vous laissons face à votre conscience.

Quand le souffle de la gifle électorale qui se prépare aura balayé vos certitudes, votre arrogance et le système que vous dirigez, ma mère déposera un nouveau dossier.

Je ne vous salue pas, monsieur le ministre

Amine EL KHATMI, 23 ans, étudiant en droit (master 2), Français.