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19 avril 2010

Onfray : « les dérives de l’intellectuel médiatique » Guillaume Mazeau, présenté par Philippe Grauer.

Guillaume Mazeau, présenté par Philippe Grauer.

par Guillaume Mazeau

Levée de boucliers sur internet contre l’intellectuel falsificateur Michel Onfray, qui fait mousser sa haine en en accablant Freud. Voici ce qu’un autre historien dit du rapport de Michel Onfray à l’Histoire. Un rapport désinvolte, irresponsable, irrespectueux de son sujet comme de son public, qui compte s’en sortir si on le confronte à ses incohérences et positions d’extrême droite revêtues d’un déguisement de gauche qui laisse distinguer suffisament l’oreille du loup sous le masque, par pirouettes, insultes et diffamation.

Regardez comment il procède, finalement son art du brûlot ne date pas d’hier, reconnaissons lui ce mérite. Examinons avec soin et calme sa méthode et son art de l’excès populiste

Alors, on ne se laisse pas enfermer dans un vaste « ils sont tous aussi fous furieux les uns que les autres » et puisqu’il n’y a pas de fumée sans feu il doit certainement avoir un peu raison. On connait ce genre de raisonnement et de manipulation. On n’est pas forcé de tomber dans le panneau au motif qu’il serait grossier.

En tout cas, sur internet ça réagit. Voyons ce que la presse va faire.

Philippe Grauer


Avant même sa parution, le dernier brûlot écrit par Michel Onfray contre Freud ( Le crépuscule d’une idole , Grasset), fait déjà l’objet d’un violent débat. Beaucoup de bruit pour rien ? L’historienne de la psychanalyse Élisabeth Roudinesco n’exagère-t-elle pas en décrivant Onfray comme un usurpateur qui réhabilite les thèses de l’extrême droite? Bien au contraire.

Les dérives de l’intellectuel médiatique ne sont pas nouvelles et méritent d’être portées à la connaissance du public. En 2009, Michel Onfray a publié une apologie de Charlotte Corday (La religion du poignard. Éloge de Charlotte Corday, Galilée). Sortie dans une relative indifférence mais plutôt bien accueillie par les médias, cette histoire est pourtant historiquement médiocre et politiquement scandaleuse. Dans ce brûlot truffé d’erreurs énormes, Onfray veut montrer que Charlotte Corday peut aujourd’hui inspirer ceux qui lassés d’une gauche impuissante et rongée par les luttes fratricides, restent fidèles à l’action et à la vertu. Marat, censé personnifier cette gauche dévoyée, est stigmatisé comme un charlatan, un fou et un dictateur… clichés colportés par l’extrême droite depuis deux siècles.

En les reprenant, Onfray ignore superbement les dizaines de travaux scientifiques publiés depuis une quarantaine d’années et qui ont contredit cette image. Presque à chaque page, le lecteur se voit infliger les citations les plus haineuses, inventées de toutes pièces. Ainsi, Marat n’a évidemment jamais dit «je voudrais que tout le genre humain fût dans une bombe à laquelle je mettrai le feu pour la faire sauter» (p. 27)… Non, les élites politiques de la Révolution n’étaient pas toutes corrompues. Non, les sans-culottes ne peuvent pas être décrits comme des cannibales ni comme des sauvages. Comment Onfray peut-il réduire la Terreur à une immense giclée de sang due à des meurtriers en série comme Marat ou Sade (chap. 9) ? Surtout, jamais Charlotte Corday n’a été athée ni libertaire, mais une noble défendant une conception conservatrice des rapports sociaux et de la religion ! Michel Onfray se rend-il compte que la quasi-totalité de ce qu’il dit provient de Mémoires ou d’écrits apocryphes pour la plupart publiés au 19e siècle par l’historiographie catholique et royaliste?

Mais est-ce un hasard? La Charlotte Corday qu’Onfray cherche à ériger en modèle n’a jamais existé… sauf sous la plume des déclinistes proches de la droite fascisante qui comme Onfray aujourd’hui, suggéraient qu’il était possible de sortir de la crise des années 1930 à coups d’antiparlementarisme et d’appels à la violence. Lorsqu’elles sont commises par un des auteurs les plus médiatiques et les plus aimés du grand public, ces révisions de l’histoire et ces dérives idéologiques sont susceptibles d’être dangereuses. Elles doivent donc être dénoncées avec la plus grande fermeté.

Guillaume Mazeau, maître de conférences à l’Université Paris-1 Panthéon-Sorbonne,

Institut d’Histoire de la Révolution française et membre du CVUH.

Auteur du Bain de l’Histoire. Charlotte Corday et l’attentat contre Marat (1793-2009). Seyssel, Champ Vallon, 2009.


Michel Onfray. La Religion du poignard. Éloge de Charlotte Corday . Paris, Galilée, 2009, 80 p.,

Michel Onfray est-il la nouvelle victime de Charlotte Corday ? Depuis la fin du 18e siècle, la liste de ceux dont « l’ange de l’assassinat » a fait perdre la tête ne cesse de s’allonger. S’il existe bien un retour de flamme pour Corday, gratifiée d’une section dans l’exposition Crime et Châtiment au musée d’Orsay (16 mars – 27 juin 2010), le coming out d’Onfray ne peut que surprendre et inquiéter, surtout lorsque celui-ci reçoit la bénédiction de la critique la plus installée (Jérôme Garcin, « Michel Onfray : pour Charlotte », Le Nouvel Observateur, 5 mars 2009). Car cet éloge est un brûlot mal inspiré, jamais fondé, truffé d’erreurs, ponctué d’attaques haineuses, arbitraires et pour tout dire, populistes. L’ouvrage a le mérite d’être engagé. Onfray entend montrer que Charlotte Corday doit inspirer tous ceux qui, lassés d’une gauche de ressentiment, impuissante et rongée par les haines et les envies, demeurent fidèles à l’action, à la morale et à la vertu, trilogie qu’Onfray résume en reprenant une expression de Michelet : la « religion du poignard ».

La principale cible d’Onfray, c’est bien sûr Marat, censé personnifier le cynisme des hommes d’une gauche dévoyée, qui profitent de la Révolution pour assouvir leurs frustrations sociales et libérer leurs pulsions : « ce fils de curé, diplômé fraudeur, médecin charlatan, scientifique de caniveau, vivisecteur d’arrière-boutique et acheteur de cadavres humains, obtient une charge de médecin des gardes du comte d’Artois par la faveur d’une patiente dont il soigne la fureur utérine en payant de sa personne » (p. 24). Ce fiel suffit : le livre ne parvient jamais à se hisser au-dessus des délires les plus gratuits dont la droite extrême nous rebat les oreilles depuis deux siècles. Comme tant d’autres avant lui, Onfray décrit Marat, paria de l’histoire française, comme un scientifique raté, un maniaque sanguinaire responsable de « crimes de masse », rêvant de dictature pré-totalitaire. Pour Marat, la Révolution française ne serait que « l’occasion d’exprimer son ressentiment comme on sort le pus d’un bubon » (p. 24) ! Ces clichés dépourvus d’imagination, issus de la propagande contre-révolutionnaire de 1793, sont depuis longtemps balayés par de très nombreux et sérieux travaux qui ont étudié la carrière scientifique, juridique et journalistique de Marat, contesté son image de tribun omnipotent et surtout réfléchi sur les concepts de « dénonciation civique », très différente de la « délation » ou de « diffamation », ou sur la notion de « dictature » conçue par Marat comme provisoire et collective, instaurée pour sauver la République sur le modèle romain. Ces travaux replaçant Marat dans le contexte des petits hommes des Lumières, sont superbement ignorés par Onfray. Tout au long du livre, le lecteur se voit infliger les citations les plus haineuses, inventées de toutes pièces. Marat n’a évidemment jamais dit « je voudrais que tout le genre humain fût dans une bombe à laquelle je mettrai le feu pour la faire sauter », p. 27… Eh non, le bras de l’Ami du peuple n’est jamais tombé au milieu de la foule pendant la pompe funèbre… (p.79) À côté de telles inepties, le scandale de « Botul », cet auteur imaginaire pourtant sérieusement cité par Bernard Henri-Lévy dans son dernier livre (De la guerre en philosophie, 2010), n’est finalement qu’une broutille.

D’ailleurs, à qui nos critiques s’adressent-elles ? A Onfray, Michelet… ou Balzac ? Signé par un des intellectuels les plus médiatiques des années 2000, cet essai a au moins le mérite de poser la question cruciale de la définition de l’ « auteur », de l’ « historien » et du statut du récit historique aujourd’hui. Visiblement rédigé à la va-vite, ce texte ne repose évidemment pas sur un travail d’archives. Le recours à la fiction est évidemment un droit et une pratique classique de l’écriture de l’histoire, mais il est contestable lorsqu’il n’est pas explicitement exprimé. Or ici, Onfray rompt le contrat de vérité qu’il instaure avec le lecteur, en ne précisant jamais quel est son rapport aux faits. L’essai est un medley de textes qui relèvent eux-mêmes d’interprétations et de compilations, pour la plupart écrites au 19e siècle… Or l’ « auteur » ne s’interroge jamais sur leur nature. Cette paresse de la pensée conduit Onfray à paraphraser, durant de longues pages, des récits tout simplement apocryphes, issus… de la droite la plus conservatrice ! Ainsi, les récits édifiants des derniers moments de Charlotte Corday, chantés par toute la droite cléricale du 19e siècle, sont repris presque tels quels par l’admirateur Onfray, philosophe athée et libertaire, qui se place sans le savoir sous l’autorité des Mémoires de Sanson…, écrites par le jeune Balzac, écrivain très catholique et très royaliste ! Enfin, bien des anecdotes (le refus par Corday de porter au toast au roi ou son arrivée chez une tante inconnue après la fermeture des couvents) ont été tout simplement inventées de toutes pièces au 19e siècle par Madame de Maromme, une légitimiste soucieuse, une fois la Révolution passée, de profiter commercialement de son ancienne amitié avec Corday… mais aussi de s’en démarquer !

Dans cet essai, les élites, toutes corrompues, ne trouvent pas plus grâce aux yeux de l’auteur que les classes populaires, déshumanisées avec un dégoût qui ferait presque rougir de honte Le Bon et Taine réunis (« la meute maratiste de chiens en furie abat, tue, massacre, extermine », p. 32). Onfray refuse de voir les sans-culottes autrement que comme des sauvageons, gratifiés d’une conscience politique tout juste proportionnelle au volume de leur estomac, (« Le peuple ne veut ni la Liberté ni la République, il souhaite manger à sa faim, sans plus »). Quelques heures de travail suffisent pourtant pour recenser la longue liste de travaux qui décrivent sans angélisme, la lente politisation des Français au gré des multiples conflits du XVIIIe siècle ou ceux qui montrent que les sans-culottes parisiens passèrent la majeure partie de leur temps, non à massacrer ni à dévorer leurs ennemis (Onfray croit-il vraiment que le cannibalisme fut une pratique courante pendant la Révolution française ?), mais à inventer des pratiques démocratiques ou à participer au maintien de l’ordre. Au fil des pages, tous les clichés défilent : comment Onfray peut-il définir le fédéralisme comme le refus du centralisme jacobin (p.45) ? Comment peut-il réduire la Terreur à une immense giclée de sang due à des meurtriers en série comme Marat ou Sade (chap. 9) ?

Quant à la Charlotte Corday que chérit Onfray, elle n’a tout simplement jamais existé… sauf sous la plume des historiens des Années Noires, hantés par l’idée de déclin et fascinés par les figures du nationalisme. Ainsi, l’héroïne de cet essai (chapitre 6) n’est qu’un triste avatar de la viking et de l’aryenne jadis célébrée par les historiens de l’Action française ou de la droite fascisante. Quelques recherches sur internet montrent d’ailleurs l’excellente réception de ce livre dans les milieux traditionalistes et royalistes. Emboîtant le pas de ceux qui ont exprimé leur dégoût du monde en trouvant refuge dans l’antilibéralisme et les Anti-Lumières, Onfray voit en Corday une vierge romaine (chap. 6 : la virginité est-elle donc une vertu ?), héritière des héroïnes de Plutarque et de Corneille… à ceci près, et ce n’est pas l’invention la moins piquante, que cette Charlotte-là est décrite comme une libertaire athée, sous l’unique prétexte qu’elle a refusé l’assistance d’un prêtre avant l’échafaud (p.51) ! Prisonnier de ses propres idées, l’ »auteur » nous inflige ici son plus gros contresens. Ancienne pensionnaire bénédictine, Corday exprimait des opinions religieuses en réalité conservatrices, méprisant les ordres mineurs, refusant tout contact avec le clergé constitutionnel (d’où son rejet d’un confesseur), vivant en partie son attentat suicide comme un acte de foi digne des premières martyres chrétiennes.

Un objectif politique préside à cet essai : présenter l’assassinat de Marat comme un geste sublime et célébrer Charlotte Corday comme un remède à l’anomie de la vie politique actuelle, présentée comme pourrie et vide de sens. La victoire de Corday face à Marat dans la mémoire collective, indéniable, est comparée à celle de la Résistance face à toutes les formes d’oppression et « celle de tous ceux qui, aujourd’hui, opposent la vertu à la corruption politique » (p. 81). C’est en comparant brièvement le 13 juillet 1793 au 18 juin 1940 qu’Onfray, qui dédie son livre à un ancien résistant, révèle peut-être le mieux l’objectif de ces chassés-croisés entre le présent et le passé : arracher les Français au nihilisme contemporain, les inciter à l’action politique et même au passage à l’acte. Quitte à célébrer l’usage de la violence politique et à recourir aux révisions les plus dangereuses de l’histoire.