À propos de l’exposition
par Zoé Logak
La paranoïa est un des concepts les plus anciens de l’histoire de la description des états mentaux : il apparaît pour la première fois dans la tragédie grecque, à deux reprises, d’abord pour décrire l’amour fou qui unit Œdipe à Jocaste, ensuite pour désigner l’état d’Oreste après le meurtre de Clytemnestre, sa mère.
Le terme paranoïa est compris comme un état mental empreint de sentiments de persécution de toute origine. Dans le « Cas Schreber » (1911), Sigmund Freud analyse les Mémoires d’un névropathe et inclut dans la paranoïa les formes classiques du délire de persécution, de l’érotomanie, du délire de jalousie et de la mégalomanie.
Il est admis aujourd’hui que la paranoïa revêt des formes à la fois individuelles et institutionnelles, sociales et culturelles. Tout le monde a probablement en soi au moins un germe de paranoïa, le sentiment d’être observé et étudié à la loupe.
Dans ce contexte, la galerie Motte et Rouart expose les oeuvres de jeunes artistes qui représentent ce sentiment de persécution. Intitulée Good morning paranoïa, l’exposition dénonce avec humour les systèmes de contrôle qui nous assaillent à notre insu pour ne plus laisser aucun espace à soi hors regard.
Cette obsession sécuritaire est parodiée par Renaud Auguste-Dormeuil dans sa série de photographies « LOCK » insérant des lignes de mire rouge pointées sur des figures du quotidien ; et illustrée par Manu Luksch qui a réalisé un film intitulé « FACELESS » à partir de bandes d’images capturées par les caméras de vidéosurveillance anglaise.
Pour l’artiste Jazon Frings, ce contrôle aliénant peut s’exercer sur la plus petite parcelle du corps humain notamment à travers les lois du marché mondial et de la biométrie. Il a donc choisi de transmuer l’ensemble de son corps et de ses expériences en actions à vendre dans l’exposition. Avec « ZO PARANOID INDEX » il simule ainsi une existence, la sienne, entièrement commercialisable.
Grâce aux nouvelles technologies, les outils de contrôle se déploient dans l’espace et le temps de l’infiniment grand à l’infiniment petit. Adam Vackar représente à l’aide du « SPUTNIK BLACK » le premier objet envoyé dans l’espace qui a permis le développement des systèmes de géolocalisation, l’Internet, et le maillage orbital faisant de chaque individu un point traçable à loisir, bref une cible parfaite.
Avec ses toiles « PLAYER », Cécile Hartmann a parfaitement su traduire l’inquiétante étrangeté qui se dégage du face-à-face de l’homme et de la machine créée par l’homme pour le divertir/le persécuter. Dans cet univers fantasmatique aux couleurs saturées et aux lignes simplifiées à l’extrême, nous sommes en présence d’une utopie glacée où trône une machine qui déshumanise un individu privé de visage happé par les lumières fascinantes de l’Ordinateur.
En proie à une hostilité quasi meurtrière envers l’image photographique de son propre visage, Christophe Brunnquell expose ses « Autoportraits massacrants » qui renvoient à la représentation mi-naïve mi-perverse d’un générique monstrueux.
Comment échapper dès lors à notre destin d’homo numericus vivant à l’ère nucléaire, tel que le représente Malachi Farrell ? Dans son installation cinétique on assiste au dialogue de deux bombes mâle et femelle, en maillot de bain, qui discutent au bord de la plage de l’Ennemi et du Danger imminent, avant l’ultime explosion. No future ?
Dans ce climat de fièvre sécuritaire et de guerre contre la terreur, il ne nous reste pas d’autre issue que de nous envoler sur le vélo « contre-PANOPTICON » de R.Augsute-Dormeuil. Cet engin ready made coiffé de miroirs qui réfléchissent le sol permet de devenir invisible aux yeux des satellites, nous plaçant dans un hors champ/hors regard synonyme de liberté, – ou la création plastique comme belle échappée de la tentation paranoïaque !
Avec l’aimable permission du Bulletin de la SIHPP
Galerie Motte et Rouart
Exposition ouverte au public jusqu’au 26 avril 2008
72, rue Mazarine 75006 Paris
www.http//galeriemottetrouart.com