Le texte de la pétition suivante est paru dans LE MONDE du 13 décembre 2008
La psychiatrie vigoureusement attaquée par le pouvoir qui se la veut répressive et agressive contre les « dangereux », devient une profession sinistrée. Elle a oublié de soutenir les « charlatans », elle paye la facture. C’est toute la société française qui la paye, la facture, et le Carré psy retentit dans son ensemble du véritable changement de paradigme auquel nous assistons.
Il convient de soutenir ce qui peut rester de la psychiatrie, liée à la psychodynamique. De la psychiatrie qui ne s’est séparée de la neurologie qu’en 1968, et que la nouvelle tendance reneurologise. À bas l’inconscient, vivent les neurones ! et vive la flic-iatrie !
Évidemment cette politique à la Charles X ne saurait durer toujours. Réunissons l’ensemble des forces restée vivantes et raisonnables dans ce pays, pour barrer la route à l’ultraconservatisme autoritaire qui aimerait liquider les sciences humaines, ce qui ne manquerait pas de produire des incidences sur la vie citoyenne. Vive la psychodiversité et un bénéfique respect des « autres », sans exceptions.
La première exception, présentée manipulation émotionnelle médiatique à la clé, légitime les suivantes, ensuite le savon sur la pente conduit au bridage des libertés publiques, et à la mise au pas des professions psys, de toutes, les professions psys. Renaissance de l’Ortf, reprise en main du secteur psy, autoritarisme en marche, même combat. Le nôtre : y faire face.
Philippe Grauer
En assimilant maladie mentale et danger social, le président de la République amplifie une politique sécuritaire inquiétante
Les annonces de Nicolas Sarkozy, le 2 décembre, au centre hospitalier spécialisé Erasme, à Antony, sont en remarquable continuité avec les décisions prises depuis l’époque où il était ministre de l’intérieur : loi sur la prévention de la délinquance, amputée de ses articles portant sur les malades mentaux, mais finalement réintroduits dans leur essence dans la loi de rétention de sûreté, fichier Edvige, et maintenant loi sur l’hospitalisation psychiatrique.
L’amalgame organisé depuis la loi du 30 juin 1838 entre ordre public et obligation de soins trouve aujourd’hui son achèvement en une identification du soin à la seule mesure d’ordre public au nom d’une dangerosité potentielle. Il s’inscrit dans un ensemble liberticide. Depuis environ trois ans, à chaque victime exemplairement médiatisée, répond une nouvelle loi répressive.
Cette logique démagogique ose avec arrogance déclarer ne connaître que les droits de l’homme pour la victime et subordonner les droits des » autres » à leur dangerosité. Logique de juriste besogneux qui se doit d’étalonner le droit à une justice d’élimination. Logique de violence sociale qui condamne la psychiatrie à repérer, contrôler et parquer à vie les marginaux, déviants, malades, désignés potentiellement dangereux. Logique de l’abus rendu légal, enfin, puisque cette dangerosité n’est ni définie ni précisément limitée, ouvrant la voie à une extension indéfinie des mesures qui la visent. Obsession qui transforme tout accident en événement intolérable, la moindre erreur en défaillance monstrueuse, légitimant des précautions sans cesse durcies et toujours condamnées à se durcir car on ne supprimera jamais la possibilité d’un risque.
A terme, nous ne serions même pas dans la mise en place d’un système de défense sociale – historiquement institué et toujours présent dans de nombreux pays européens – à côté d’un système de soins psychiatriques » civil « , mais dans le formatage d’une » flic-iatrie » dans les murs d’un asile d’aliénés postmoderne comme dans la ville.
Nous tenons à alerter du danger les familles et leurs associations, les associations de patients et ex-patients. Le projet du président de la République n’est pas une obligation de soins ambulatoire, mais bel et bien une détention ambulatoire qui sur le plan des soins se résumerait à l’injection bimensuelle ou mensuelle d’un neuroleptique à action prolongée ou à la prise forcée d’un thymorégulateur. Sur le plan de la liberté individuelle, ce projet placerait le sujet sous un régime de liberté surveillée : tutelle à la personne, assignation à résidence, bracelet électronique. Tout cela sous l’égide des services préfectoraux, des services de psychiatrie publique… et de la famille.
Pourquoi, alors, pour les soignants rechercher et travailler le consentement libre et éclairé ? Pourquoi pour les services de psychiatrie se mettre dans l’obligation d’accueillir, d’écouter, de prendre soin, de soigner, d’accompagner un sujet souffrant, c’est-à-dire de le considérer dans sa dignité et sa singularité de personne, d’individu social et de sujet de droit ?
Disons aussi aux usagers et à tous les citoyens que le soutien affiché par le chef de l’Etat à la ministre de la santé pour son projet de loi » hôpital, santé, patients et territoire « , son chantage public au soutien à ses réformes, confirme qu’il n’y a pas contradiction entre politique sécuritaire et politique de réduction des moyens pour la santé et le social. De plus, il semble aussi mettre fin à la psychiatrie de secteur comme psychiatrie généraliste.
Que de vigilance obligée, que d’énergie perdue pour défendre les moyens existants face au bulldozer administratif et comptable. Pour les internés, nous savons : des moyens pour des cellules d’isolement, des unités pour malades difficiles, des vigiles et des caméras de surveillance. Quant aux personnes qui seraient soumises au traitement psychiatrique ambulatoire contraint, selon quels critères une telle mesure serait-elle prise, ou levée ?
Que nous soyons contraints de répéter une fois de plus qu’il n’y a pas à assimiler crime ou délinquance et » maladie mentale « , dangerosité et » maladie mentale « , nous blesse au regard des décennies de luttes et de pratiques de progrès dans le champ de la santé mentale.
Que nous soyons contraints de répéter qu’il n’y a pas de risque zéro, que les politiques dites de » tolérance zéro » n’éliminent pas la dangerosité sociale, nous fait craindre que nous tendions – loi d’attaque sociale après loi d’élimination, outrances policières ou politiques après outrances policières – au système décrit et dénoncé par Hannah Arendt : le totalitarisme ne tend pas à soumettre les hommes à des règles despotiques, mais à un système dans lequel les hommes sont superflus.
Le type de pouvoir exécutif à l’oeuvre ne laisse rien échapper, intervient sans cesse sur les professionnels pour les sanctionner et les corriger au moindre accident. Il conduit ceux-ci à l’excès de zèle pour prévenir les risques de ce qui n’est même plus excusé en tant que » bavures « . Au mieux, nous avons droit aux phrases compassionnelles du chef de l’Etat.
La banalité du mal s’installe en même temps que les scandales s’accumulent : pour les sans-papiers, il faut faire du chiffre ; pour éduquer les collégiens contre la drogue, il faut faire une descente musclée de gendarmes ; pour que » justice soit faite « , il faut l’affaire consternante du journaliste de Libération ou encore la menace de centres de rétention pour SDF récalcitrants.
Il ne s’agit donc guère de sagesse populaire et de vertu républicaine, mais bien d’une idéologie populiste et d’une politique sécuritaire dangereuses, qui dans le même temps poursuivent au pas de course la démolition des services publics et une politique de santé entrepreneuriale et de paupérisation. Nous nous déclarons opposants résolus à cette idéologie et à cette politique. Nous déclarons que nous continuerons d’y résister concrètement et solidairement. Nous appelons tous ceux qui agissent à élaborer un manifeste constituant d’un front du refus.
© Le Monde
Signataires.
Francine Bavay, vice-présidente de la région Ile-de-France chargée des solidarités et du développement social, les Verts ;
Alain Buzaré, psychiatre, responsable de service, Angers ;
Alain Chabert, psychiatre responsable de service, Chambéry ;
Franck Chaumon, psychiatre, psychanalyste, association Pratiques de la folie ;
Jean Danet, universitaire,Nantes ; Gilles Devers, avocat, Lyon ;
Claude-Olivier Doron, philosophe et anthropologue de la santé, université Paris-VII ;
Jean-Pierre Dubois, président de la Ligue des droits de l’homme ;
Dominique Friard, vice-président du Serpsy, cadre de santé ;
Jean Furtos, psychiatre, directeur scientifique de l’Orspere/Onsmp ;
Claire Gékière, secrétaire de l’Union syndicale de la psychiatrie ;
Serge Klopp, cadre de santé, militant du PCF, Paris ;
Pénélope Komites, adjointe au maire du 12e arrondissement chargée de l’action sociale, les Verts ;
Olivier Labouret, psychiatre responsable de service, Toulouse ;
Jean-Claude Laumonier, responsable du secteur santé de la LCR, cadre de santé retraité ;
Christian Laval, sociologue, Orspere/Onmsp, Lyon ;
Anne-Marie Leyreloup, psychiatre, présidente du Serpsy ;
Claude Louzoun, président du Comité européen : droit, éthique et psychiatrie, membre de l’Union syndicale de la psychiatrie ;
Jean-Pierre Martin, psychiatre, vice-président du Cedep ;
Jacques Michel, Institut des sciences politiques, Lyon ;
Marie Napoli, présidente de l’Union syndicale de la psychiatrie ; Pierre Paresys, psychiatre responsable de service, Lille ;
Marie Rajaplat, vice-présidente du Serpsy ;
Pauline Rhenter, politologue, groupe de recherche en sciences sociales ville et santé mentale, Paris ;
Jean Vignes, secrétaire fédération SUD Santé-Sociaux.
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