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16 juin 2013

Assises de la psychiatrie – suite Philippe Grauer

Laissons à Éric Favereau le soin du récit concernant Fernand Oury et gardons le député Robillard pour plus tard. Écoutons le propos résumé des principaux orateurs de la matinée.


Philippe Grauer

INTERVENTIONS

• PATRICK LANDMAN – délégitimer le DSM

Nous commencerons avec l’intervention la plus structurée de la matinée celle de Patrick Landman. Il aborde la question du DSM(1) cette question on pourrait dire en tant que telle, en tant qu’anti symptomatique. Comme cause tant du mésusage et abus des psychotropes que comme source d’inspiration des directives ministérielles dans le domaine de l’autisme, puisque le DSM sert de référence à l’HAS qui a éliminé sous Sarkozy l’approche psychanalytique en matière d’autisme, politique reprise par le gouvernement socialiste nous évoquions la question dans le précédent article. Concernant l’autisme Patrick Landman rappellera certains éléments de la démonstration développée son récent excellent petit livre(2) – à lire absolument les étudiants –, à savoir notamment qu’on mélange tout et que beaucoup d’autistes non spécifiés sont diagnostiqués à tort par le DSM.

la base biologique de la maladie psychique reste introuvable

Il rappelle que le DSM impulse une pensée unique et engage un modèle exclusivement médico biologique. Il rappelle que depuis 30 ans malgré des millions de dollars dépensés en recherches on n’est parvenu à découvrir aucun de ces fameux marqueurs biologiques qui devaient fonder la théorie du génétisme des maladies psychiatriques. Curieux, la preuve de la biologicité de la maladie psychique reste introuvable. Mais c’est pas grave on continue dans le même (non) sens. Il insiste, ces recherches n’ont rien amené ni au clinicien ni au patient. Par contre en attendant on ignore les effets à long terme des psychotropes dispensés à tout va. Par contre d’ores et déjà des conflits d’intérêt ont pu être dévoilés entre occupants de postes universitaires et pharmacie.

Il poursuit en se référant à la Post Psychiatry britannique, postérité de l’antipsychiatrie par rapport à laquelle il prend quelque distance. Tout de même les néo antipsychiatres britanniques disent que la méthode scientiste et son modèle purement médico biologique relèvent certes de la modernité sauf que précisément nous sommes entrés depuis un moment dans la post-modernité.

une idée absurde

Ce qui le conduit à une critique de la décontextualisation qu’opère le DSM au moment même où les généticiens contemporains recontextualisent leur discipline. Pour en venir à la question du facteur social, un thème en or dans cette assemblée, il ne se prive pas d’argumenter que croire que toutes les souffrances psychiques sont causées par une lésion cérébrale est une idée absurde.

Et l’expertise dans tous ça ? naguère, jusqu’au DSM3 incluse dans les mains du clinicien, la voici passée du côté d’un manuel qui, lui, à présent fait abusivement autorité. Abus en voie de se voir contrebalancé. On constate qu’une partie de la légitimité de l’expertise est en train de repasser dans les mains des usagers, des patients exerçant leur droit de regard et de décision, cette même volonté publique se retrouvant infiltrée à l’heure actuelle jusque dans le droit à l’immigration et dans le domaine de la parentalité(3).

référence unique de la HAS

Il poursuit et développe que l’actuelle crise de légitimité en matière de psychiatrie remet en cause le diagnostic psychiatrique lui-même, que tout est à repenser. Il préconise un groupe de travail qui élabore des pistes réalistes. C’est que la question se pose d’une sorte d’abus de pouvoir DSM, qui aboutit à stigmatiser le patient tout en le privant de la signification de son expérience. Il s’agit pour nous conclut-il délégitimer le DSM, actuellement référence unique de la HAS, avec toutes les conséquences néfastes que l’on sait.

Patrick Landman va jusqu’à demander que l’on n’enseigne plus le DSM en faculté de médecine où actuellement toutes les formations sont basées sur sa suprématie en oubliant toutes les autres voies possibles (4). Et surtout, les généralistes, qu’on cesse de les formater DSM. Qu’au moins il soit toujours dispensé un enseignement alternatif. Il dénonce le fait que le DSM s’introduit partout, les labos ne parlent que de lui, qu’à l’Agence du médicament on procède à des études randomisées calquées sur lui, que jusqu’aux plans de carrières avec l’Impact factor, l’ensemble de la culture psychiatrique soit contaminé par cette institution et idéologie devenue hégémonique.

mainmise sur l’enseignement universitaire

Il souhaite qu’on puisse travailler hors diagnostic et prescription de psychotropes. Que la logique économique cesse sa mainmise sur l’enseignement universitaire. Il fait remarquer que la guérison, la Recovery pour laquelle militent en Angleterre plus de 10 000 militants usagers, présente une dimension sociale et humaine considérable, et que les gens sortis des pathologies persistantes ne le devaient pas uniquement aux neuroleptiques loin de là mais parce qu’ils avaient pu élaborer un projet dans la vie.

Il appelle à démolir le cheval de Troie du DSM introduit dans la psychiatrie contemporaine et s’en prend à l’arrogance des bureaucraties sanitaires. Face à laquelle il appelle à une résistance déterminée. Ajoutant qu’il convient de penser les lois de 2002 et 2004 comme des effets du DSM.

faux diagnostics

Il conclut qu’à mélanger tous les niveaux on arrive à des impasses autant qu’à de faux diagnostics, qu’on mélange les problèmes sociaux et l’éducatif avec la psychiatrie alors qu’il convient de ne pas donner une réponse psychiatrique à certaines situations, qu’on aboutit à des diagnostics fondés sur des fonctions sociales et qu’il est grand temps d’annoncer que l’ère où les gens raisonnables pouvaient disposer du sort des gens déraisonnables est terminée.


• Pr. PIERRE DELION – démarche hypothético déductive inductive d’État

ça n’existe toujours pas pour ces gens-là

Le professeur Pierre Delion prend le relais. La psychiatrie de secteur démantelée ?(5) cette psychiatrie des années post 68 venant à peine de se dissocier de la neurologie, marquée par l’avancée de la psychanalyse lacanienne et de la pensée de la psychothérapie institutionnelle articulée à l’antipsychiatrie anglaise (6) et italienne ayant conjointement à l’irruption des neuroleptiques et de la pensée de Foucault liquidé l’asile, cette psychiatrie n’existe toujours pas pour ces gens-là ! s’exclame-t-il en arrivant(7).

Écœuré il ironise sur la démarche hypothético déductive en fait inductive d’État. Il aborde aux rivages de l’autisme et critique le « monument fétichisé décadent du DSM » qui pose en matière de diagnostic la question cruciale de la modélisation abusive. On modélise tous les TED non spécifiés sur le modèle de l’autisme typique quand plus de la moitié ne sont pas des autistes, auxquels c’est pas grave on imposera le même traitement non pertinent.

nuls sur le plan scientifique

Il poursuit. Tout se passe comme si notre ministre n’avait pas lu le numéro de 2013 de la revue Prescrire. Qui démontre que les arguments cognitivistes sont nuls sur la plan scientifique, qui rappelle que l’autisme est récent dans l’histoire de la médecine et met en valeur les efforts entrepris par la psychothérapie institutionnelle pour les faire sortir du monde asilaire et réhabiliter les autistes en qualité de sujets. Il indique que ces équipes ont traité ces enfants-là en psychiatrie de secteur avec aussi en intégrant à leur pratique de l’éducatif. Ces équipes mobilisaient non seulement aussi les neurosciences mais encore l’anthropologie et la théorie de l’attachement. Dans un tel cadre l’enfant reste dans son milieu familial et s’effectue un travail de tous les jours avec la famille.

impérativement un long travail sur soi

Alors quand j’entends dit-il répéter que depuis 40 ans la psychanalyse infiltre tout et pervertit toutes les pratiques je me dis que la formation de psychiatre non seulement en effet ne devrait pas comporter l’enseignement du DSM, comme le préconisait tout à l’heure Patrick Landman, mais devrait impérativement comporter un long travail sur soi. Sinon qu’est-ce que je ferai de ce que je reçois au quotidien dans ma psyché de soignant et que faire pour que la violence des patients ne retourne pas en miroir dans la tronche de celui qui l’émet en face de moi. Ne pas reconnaître de tels phénomènes serait outrecuidance et méconnaissance grave.

Il poursuit en poussant l’honnêteté jusqu’à ne pas masquer les ombres à son propre tableau. Nous avons connu dit-il nombre de faux psychanalystes (8) qui ont pratiqué de la fausse psychanalyse, il s’agit d’une imposture, ça n’étaient pas des vrais psychanalystes, sachons aussi balayer devant notre porte(9).

on est en train de tuer le soin

Il achève par des considérations sociologico-politiques. Aujourd’hui nous ne vivons plus en démocratie, mais en démocratie médiatique. Les lobbies ont surfé sur cette démocratie molle pour transformer l’image que les gens se font de la réalité de nos pratiques, nous empêchant de dire ce que nous avons à dire sur ce que nous faisons. Perversion de la démocratie contemporaine, tout ça est déterminé par l’économie, les consignes de Bercy en matière d’économies sanitaires sont renvoyées au médico social.

Il faut réfléchir conclut-il avec nos alliés intellectuels. On est en train de tuer le soin, lui même remplacé par une psycho-éducation qui n’est rien d’autre qu’une nouvelle rééducation. C’est là que franchement on pouvait attendre mieux d’un Troisième plan de notre gauche.


• ÉLISABETH ROUDINESCO – les psychanalystes n’ont pas pris la mesure de ce qui s’est passé

sa critique commence à venir du DSM lui-même

Dernière à prendre la parole Élisabeth Roudinesco commence par se féliciter de la puissance du rassemblement : ça faisait longtemps qu’on n’avait pas vu ainsi un tel front uni après quinze ans de torpeur. En ce qui me concerne ajoute-t-elle je n’ai jamais considéré le DSM comme utile en tant qu’instrument. Nous avons assisté à un changement de paradigme, constaté la bascule de l’existentiel vers le comportementalisme. J’ai par ailleurs toujours pensé que la critique du DSM viendrait de ses utilisateurs, viendrait du DSM lui même. Elle ajoute (sifflets par une partie de la salle) que les psychanalystes pour leur part ont une lourde responsabilité dans ce qui s’est passé. Ils ne se sont pas battus assez vite, assez efficacement, ne se sont pas engagés politiquement dans cette lutte, n’ont pas pris la mesure de ce qui s’est passé.

ils n’ont pas pris le pouvoir

Ils n’ont pas pris le pouvoir. On ne « change pas le monde sans prendre le pouvoir » comme nous le disait le jeune psychologue de ce matin. Or on n’agit pas seulement par le bas. Et puis le milieu psychanalytique a trop déserté les postes de psychiatrie. C’est un phénomène mondial. Durant tellement d’années aux USA l’orientation scientiste et comportementaliste a pris le pas. Je ne suis ajoute-t-elle ni contre les États-Unis ni contre le libéralisme, j’aime beaucoup les États-Unis contrairement à ce qui se fait dans une certaine gauche française, et je considère que le libéralisme n’exclut pas une orientation dynamique. Mais le monde a changé, il s’est complexifié, la Révolution, devenue impraticable, n’est plus à l’ordre du jour, et pas davantage que d’une révolution il n’est à présent question pour nous de manichéisme. D’ailleurs c’est de là-bas, des États-Unis que ça part, la protestation.

les homosexuels en se battant ont quand même eu 80% des psychanalystes contre eux

Tenez, conclut-elle, considérez le mouvement homosexuel. Mais les homosexuels ont gagné parce qu’ils se sont battus ! Contre les psychiatres et contre les psychanalystes. Ils ont pris le pouvoir intelligemment. Ils ont combattu cette psychiatrie imbécile. Et ils ont quand même eu 80% des psychanalystes contre eux(10). Je suis ravie que tout le monde ici se soit réveillé et entreprenne de penser l’avenir d’une nouvelle nosographie et de la relation de la psychiatrie à la société civile. Bravo. Mais n’oublions pas qu’il est grand temps d’admettre que la psychiatrie et la psychanalyse ont été très défaillantes sur ce plan là.

voir aussi

– Philippe Grauer, Aux Assises de la psychiatrie du Collectif des 39, mis en ligne le 10 juin 2013.
– Gilles-Olivier Silvagni, Stop DSM – Patrick Landman : tristesse buiseness, précédé de « Devoir de résistance » par Philippe Grauer [mis en ligne le 29 avril 2013].

ainsi que dans notre

dossier DSM :

Pour en finir avec le carcan du DSM, [septembre] 2012.
– Marcelle Maugin, « DSM-4 – Souriez vous êtes renommés », précédé de « Le DSM sème le trouble et pourrait récolter la tempête, » par Philippe Grauer, 5 mai 2012.
– Matthieu Écoffier, Gare au relais des neuroleptiques, Le Monde, précédé de « C’est dur je me sens devenir santémental » par Philippe Grauer, 24 septembre 2012.
– Éric Favereau, La folie placée d’office sous silence, Le Monde, 22 sept 2012.-
– Bernard Bégaud interviewé par Éric Favereau, Benzodiazépines, médication à risque, Libération, 28 septembre 2012.
– Gilles-Olivier Silvagni, STOP-DSM, Avertissement d’incendie, octobre 2012.
DSM 5


à suivre, le débat.