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9 décembre 2011

Autisme : dogmatismes en duel au tribunal de Lille Stéphanie Maurice

Lille. Plainte. Interrogés pour un documentaire, des psychiatres contestent la dénaturation de leurs propos et demandent l’interdiction du film.


Stéphanie Maurice

Par Stéphanie Maurice

correspondante de Libération

Un procès pour tentative de «ridiculiser la psychanalyse» : c’est ce qui arrive à la documentariste Sophie Robert, assignée aujourd’hui au tribunal de grande instance de Lille pour son film, visible sur le Net, le Mur, la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme. Trois psychiatres, Estela Solano-Suarez, Eric Laurent et Alexandre Stevens, lui reprochent d’avoir «dénaturé» leurs propos. Ils demandent l’interdiction du documentaire, arguant qu’ils sont les auteurs des interviews et ont un droit de regard sur leur utilisation. «J’aurais escamoté des propos qui font que ce qu’ils disent n’est pas ridicule», ironise Sophie Robert.

Le film dénonce le même message, répété de psychanalyste en pédopsychiatre : les enfants autistes sont victimes d’une mère soit trop froide soit trop chaude et s’enferment dans une bulle. «Le grand public ignore que, pour les psychanalystes, les mères sont pathogènes par essence, s’enflamme Sophie Robert. J’ai fait un film qui ne les condamne pas. Ils se condamnent tout seuls avec leurs propos.»

«Financeur». Sauf que les intéressés ne s’y reconnaissent pas. «Ces théories sont totalement dépassées», affirme le professeur Pierre Delion, pédopsychiatre au CHRU de Lille. Et ce serait «calomnieux» de faire croire l’inverse. Interviewé par Sophie Robert, il n’a pas porté plainte mais s’est senti «victime d’un abus de confiance», avec l’utilisation de «cinq secondes d’entretien totalement détachées du contexte». Il dénonce le face-à-face du docu entre la psychanalyse «inefficace» et les méthodes comportementalistes, Aba ou Teach, que la réalisatrice plébiscite.

La thèse de la prédominance des méthodes comportementalistes sur la psychanalyse est portée par l’association de parents d’autistes, Autismes sans frontières, «financeur principal du film», reconnaît Sophie Robert, qui assume son parti pris. Dans les hôpitaux, ces méthodes comportementalistes, basées sur la répétition des mêmes gestes, tiennent leur place à côté du thérapeutique, présent «si nécessaire», selon le professeur Delion, qui souligne : «La psychanalyse sert à comprendre ce qui se passe entre l’enfant et ses accompagnants. Elle n’est pas dans l’explication des causes de l’autisme.»

Génétique. Il est désormais acté que l’autisme a une cause génétique. Les psychanalystes qui attaquent, proches de l’Ecole de la cause freudienne (gardiens des œuvres de Lacan), refusent de s’exprimer. Un connaisseur du dossier, psy, soupire : «Ils adorent les procès. Cette affaire, c’est la rencontre entre deux dogmatismes», l’Ecole de la cause freudienne contre les comportementalistes. Il conclut : «Les modérés sont pris entre les deux comme dans un casse-noisettes.»