Les Enfants de l’indicible peur. Nouveau regard sur l’autisme , d’Henri Rey-Flaud : les emmurés de l’indicible.
LE MONDE DES LIVRES | 11.11.10 | 10h10 • Mis à jour le 11.11.10 | 10h10
Après l’invention du mot autisme, en 1907, pour désigner un repli précoce du sujet sur son monde intérieur et une absence de tout contact avec autrui, les enfants atteints de ce syndrome furent traités pendant plus de trente ans comme des schizophrènes. En 1943, cependant, Leo Kanner , psychiatre américain d’origine viennoise, fit de l’autisme un trouble non psychotique d’origine plutôt organique. Son compatriote Hans Asperger, qui avait lui-même traversé un tel état dans son enfance, ajouta à ce sombre tableau « l’autisme de haut niveau », caractérisé par une absence d’altération du langage et une capacité de mémorisation inhabituelle.
Par la suite, les psychanalystes du monde anglophone, de Bruno Bettelheim à Donald Metzler en passant par Frances Tustin, s’employèrent à définir le côté psychique de ce trouble. Mais, de nos jours, ces approches tendent à être abandonnées au profit d’une définition génético-comportementale de l’autisme. En conséquence, les enfants autistes sont regardés comme des malades qu’il faut rééduquer.
Plutôt que de s’engager dans l’interminable débat qui oppose les partisans du tout-psychique aux adeptes du tout-génétique, Henri Rey-Flaud a préféré, dans ce deuxième volume de sa monumentale réflexion sur le sujet, décrire, sans le moindre voyeurisme, l’univers psychique de ces enfants mutiques et violents qui semblent pourtant habités par un génie fulgurant : « Tel ce petit garçon qui, au quotidien, se déplaçait avec la lourdeur embarrassée d’un jeune phoque, ne sachant que faire de son corps, et qui, à certains moments, cueillait au vol avec une dextérité stupéfiante des « insectes volants-piquants » qu’il déposait délicatement dans une petite boite à l’intention de sa mère. »
C’est avec une infinie tendresse et une réelle compassion pour la souffrance des enfants et de leur famille que Rey-Flaud adopte la plume d’un Lewis Carroll, relu par Gilles Deleuze, pour se faire le porte-parole de ces êtres qui ressemblent au fameux Bartleby, ce personnage d’Herman Melville qui disait toujours « Je préférerais ne pas« , opposant ainsi une gigantesque force d’inertie à l’absurdité d’un discours fermé à l’altérité ou à la différence.
Chaque sujet autiste porte en lui un Bartleby. Telle est la leçon de ce livre dans lequel Henri Rey-Flaud rassemble de multiples histoires puisées autant dans des cas cliniques que dans des récits rédigés par d’anciens autistes qui ont su transformer leur « maladie » en une écriture de soi.
Pour ce grand mémorial de la souffrance des enfants autistes, Henri Rey-Flaud a su trouver la bonne distance, celle qui permet d’accueillir la fatalité tombée sur un enfant des hommes, afin, comme il le souligne, d' »aider les parents et les soignants à trouver l’écoute, le regard et les mots qui rendront à la lumière et à la vie l’enfant du silence et de la nuit que le destin a placé, un jour, sur leur route ».
LES ENFANTS DE L’INDICIBLE PEUR. NOUVEAU REGARD SUR L’AUTISME d’Henri Rey-Flaud. Aubier, « La psychanalyse prise au mot », 518 p., 23 €.
Élisabeth Roudinesco
Pierre Delion, Le corps retrouvé. Franchir le tabou du corps en psychiatrie, Hermann, 20 e. 117 pages.
Professeur de pédopsychiatrie de réputation internationale, initiateur du collectif «Pas de zéro de conduite», auteur de nombreux ouvrages, Pierre Delion tente dans ce petit livre remarquable de penser la question du corps dans le traitement de la folie et de l’autisme. Il montre que bien au-delà de la cure par la parole, il faut aussi, s’agissant des pathologies lourdes, faire intervenir le corps comme «objet parleur». Le chapitre sur le packing ou technique d’enveloppement des autistes par des linges humides est particulièrement intéressant.
E. Ro