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11 mai 2013

DSM 5 – Le guide de la psychiatrie perd le contact avec la science Pam Belluck & Benedict Carey

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DSM V


Pam Belluck & Benedict Carey

Article du New York Times, 6 mai 2013

Psychiatry’s Guide Is Out of Touch With Science, Experts Say
By PAM BELLUCK and BENEDICT CAREY
Published: May 6, 2013


Traduction française :
Le guide de la psychiatrie (DSM V) perd le contact avec la science, déclarent les experts en psychiatrie, et notamment le docteur Thomas R. Insel qui dénonce le DSM V en lui reprochant d’avoir quitté la science (les causalités) au profit des symptômes (le comportement). Et il propose de recentrer la psychiatrie vers un autre projet (Research Domain Criteria, ou RDoC) en relation avec la génétique et les neurosciences.


Quelques semaines avant la publication – attendue depuis longtemps – de la prétendue bible des troubles mentaux, le plus éminent expert psychiatrique du gouvernement fédéral américain annonce que le manuel soufre « d’un manque de validité scientifique ». L’expert, le docteur Thomas R. Insel, directeur du National Institut of Mental Health, déclare que son objectif est de réorganiser la direction de la recherche en psychiatrie pour qu’elle se reconcentre sur la biologie, la génétique et les neurosciences de sorte que les scientifiques définissent les troubles mentaux par leur causes et non plus par leurs symptômes. Alors que le DSM est le meilleur outil disponible à ce jour pour les cliniciens traitant les patients, il ne devrait pas être balayé d’un revers de main quand bien même il ne reflète pas la complexité de la plupart des troubles et que la façon de catégoriser les maladies mentales ne devrait pas guider la recherche.« Tant que la communauté de chercheurs prendra le DSM pour une bible, nous ne ferons aucun progrès » dit le docteur Insel, ajoutant, « les gens pensent que tout doit correspondre aux critères du DSM ; mais vous savez quoi ? La biologie n’a jamais lu ce manuel…»

La révision du DSM5 est la première grande réédition depuis 1994 et a provoqué une remise en cause sans précédent de l’opinion, des associations de patients et plus radicalement encore, des grandes figures de la psychiatrie qui ont critiqué les appréciations menant à un diagnostic spécifique et les bases scientifiques mêmes de l’entreprise. La recherche en biologie des troubles mentaux et les traitements se sont fait piégé par le dédale cérébral. Des décennies de crédits au profit des neurosciences ont donné du fil à retordre aux scientifiques, tout en sapant leurs hypothèses de départ. Les problèmes génétiques qui semblaient accroitre le risque de schizophrénie chez un sujet, peuvent prédisposer, chez d’autres, des troubles du spectre autistique ou même des troubles bipolaires. Les mécanismes de fonctionnement des médicaments les plus utilisés du champ – antidépresseurs tel le Prozac et les antipsychotiques comme le Zyprexa – n’ont rien révélé des causes de ces désordres. Et, les firmes pharmaceutiques ont réduit leur budget de recherche, n’ayant virtuellement plus de « cibles » biologique à atteindre.

Le Dr. Insel fait partie des scientifiques, toujours plus nombreux, qui pensent que le champ a besoin d’un paradigme entièrement nouveau pour comprendre les désordres mentaux, bien que ni lui, ni personne d’autre, ne sachent exactement à quoi il ressemblera. Même le directeur du groupe de travail opérant la révision du DSM5, le Dr. David J. Kupfer, professeur de psychiatrie à l’Université de Pittsburgh, déclare que le nouveau manuel fait de son mieux avec les preuves scientifiques disponibles. “ Le problème que nous avons eu était que nous avions à traiter cinq à dix ans de données neuroscientifiques et biologiques – depuis la dernière révision du DSM – mais que celles-ci ne permettaient pas de nous fournir le niveau du critère diagnostic ; ce niveau de susceptibilité et de spécificité qui nous aurions pu insérer dans le manuel diagnostic «  dit le Dr. Kupfer. Dans les années soixante et soixante-dix, les concepteurs du DSM étaient « vraiment des héros de l’époque » déclare le Dr. Steven E. Hyman, psychiatre et neuro-scientifique au Broad Institute et ancien directeur de l’Institut Nationale de Santé Mentale américain. « Ils ont choisis un modèle dans lequel toutes les maladies psychiatriques étaient agencées comme des catégories discontinues du normal. Mais ceci est totalement faux dans des proportions qu’ils ne pouvaient imaginer. Ce qu’ils ont ainsi produit n’était rien d’autre qu’un cauchemar scientifique absolu. Les gens qui doivent avoir qu’un seul diagnostic, s’en retrouvent avec cinq et ils n’ont pourtant pas cinq maladies. Ils n’ont qu’une seule condition sous-jacente. »

Les Dr. Hyman et Insel, et de façon générale les experts, demandent que la recherche soit orientée à la manière de celle du cancer, qui a bifurqué d’une classification des tumeurs en fonction de leur localisation dans le corps à une caractérisation de leurs signatures proprement génétiques et moléculaires. Il y a deux ans, un premier pas est opéré, le Dr. Insel lança un projet fédéral appelé Research Domain Criteria, ou RDoC, qu’il présenta sur son blog la semaine dernière. Il indique que le National Institute of Mental Health “réorienterait sa recherche loin des catégories du DSM » parce que « les patients avec des troubles mentaux méritent mieux ». Son commentaire a provoqué une onde de choc dans le milieu de la santé mentale. Le Dr. Insel indique dans un entretien que ses motivations n’étaient pas de dénigrer le DSM en tant qu’outil clinique, mais d’encourager les chercheurs dans cette voie. D’autant que les évaluateurs extérieurs qui passent au crible les propositions de financement de son agence ne prennent pas en compte ces catégories mais uniquement les étayages biologiques des désordres psychiatriques. Il déclare également qu’il a entendu des scientifiques dont les projets étaient d’étudier les processus communs à la dépression, à la schizophrénie et à la psychose furent rejetés car ils se sont passés des catégories du DSM. « Les évaluateurs n’ont pas compris » dit le Dr. Insel. « Ce que nous faisons avec le RDoC est d’avoir une nouvelle approche des désordres. » Il ajoute qu’il espère que les chercheurs participeront également aux projets de recherche financés par le New Brain Initiative de l’administration Obama.

Le Dr. Michael First, professeur de psychiatrie à Columbia et éditeur du dernier RDoC, pense que le « RDoC est clairement la voie du future », même si cela prendra des années pour obtenir des résultats qui pourront bénéficier aux patients. Entre temps, dit-il, « le RDoC ne peut pas faire ce que fait le DSM car ce dernier est ce que les cliniciens utilisent. Les patients viendront toujours en consultations avec des symptômes. » Pendant une dizaine d’années encore, le Dr. First et d’autres médecins pensent que les patients continueront à se faire diagnostiquer avec les catégories du DSM et les compagnies d’assurance rembourseront les patients sur cette base.

Le Dr. Jeffrey Liberman, directeur du département de psychiatrie à Columbia et président élu de l’American Psychiatric Association (qui publie le DSM) pense que le meilleur de la nouvelle édition, bénéficiant de la recherche de ces vingt dernières années, améliorera l’utilité du manuel pour les praticiens et graduellement le soin que les patients perçoivent. Il ajoute que « la dernière chose que nous voulons faire est d’être défensif ou apologétique sur l’état de notre champ de recherche. Il n’y a rien que nous voulons plus que d’obtenir d’avantage de progrès scientifiques. »