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15 janvier 2013

« Père et mère », code civil, référendum… les contre-vérités sur le mariage homosexuel Samuel Laurent, Alexandre Léchenet et François Béguin – Les décodeurs du Monde

La polémique peut véhiculer de l’intoxication, consistant en amalgames et à peu près qui fausseraient le débat. Voici un peu de nettoyage terminologique en matière de mariage qui pourra se montrer utile.

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Samuel Laurent, Alexandre Léchenet et François Béguin – Les décodeurs du Monde

14 janvier 2013 – Les décodeurs du Monde.

« Père et mère », code civil, référendum… les contre-vérités sur le mariage homosexuel

par Samuel Laurent, Alexandre Léchenet et François Béguin

La manifestation contre le projet de loi ouvrant droit au mariage entre personnes de même sexe a réuni dimanche 13 janvier entre 350 000 et 800 000 personnes dans les rues de Paris. Un succès de mobilisation pour ses organisateurs. Mais parmi les pancartes brandies par les manifestants, comme parmi les prises de position de ses représentants, nombre de slogans et d’arguments sont factuellement discutables, voire faux. Petit résumé de ces intox.

1/ Les mots de « père et mère » ne vont pas disparaître du code civil

Ce qu’on entend : « Nous allons lutter sur les conséquences du texte, dont la disparition du terme de « père » et de « mère » dans la plupart des articles du code civil. » (Hervé Mariton, député UMP de la Drôme, interview au Monde).

Ce qu’il en est : C’est l’argument massue des anti-mariage, et l’un des plus entendus dans les cortèges, où il figurait sur nombre de pancartes. Il est pourtant faux.

Le projet de loi (qu’on peut consulter ici) prévoit effectivement de modifier le code civil afin de prendre en compte les cas de familles homoparentales. Dans un premier temps, le projet envisageait de substituer le terme de « parents » à celui de « père et mère » lorsque c’était nécessaire. Comme le précise l’exposé des motifs,

Lorsque cela s’avère nécessaire, les mots « père et mère » sont remplacés par le mot « parents » et les mots « mari et femme » par le mot « époux ». Ces substitutions concernent uniquement les articles qui s’appliquent à tous les couples. Dans tous les autres cas, les articles ne sont pas modifiés : tel est le cas dans l’ensemble des dispositions concernant la filiation établie par le seul effet de la loi.

Mais, comme le relatait La Croix en décembre, la possibilité de supprimer ces deux termes a ému des juristes, qui ont évoqué la possible confusion entre « parents » au sens de « père et mère » et celui, plus large, « d’ascendant », et ses conséquences juridiques éventuelles.

La majorité a reconnu le problème, et planche sur la question. Selon le Figaro, elle envisage désormais un article « balai » qui préciserait qu’il faut interpréter les mots « père et mère » en fonction du type de famille et les assimiler à « parents » en cas de famille homoparentale.

Et la garde des sceaux Christine Taubira l’a redit, dimanche 13 janvier sur TF1 : « Le code civil ne bouge pas sur la filiation. » Et de préciser : « Rien ne change pour les couples hétérosexuels, ni dans le code civil ni dans les actes du code civil. Seul l’article (…) concernant l’adoption, et qui inclut déjà la notion de parent, sera modifié.« 

Reste un point encore flou : l’adaptation dans le livret de famille. Tant que la loi n’est pas votée, ces modifications ne sont pas encore envisagées. Plusieurs pistes ont été évoquées, notamment la mise en place de plusieurs livrets en fonction du type de famille.

2/ Rien ne permet de dire que le fameux « parent A/parent B » remplacera les termes de « père » et « mère »

Ce qu’on peut lire : « On n’est pas des parents A, on n’est pas des parents B » (pancarte dans la manif).

Moins présent ces derniers temps, cet argument affirmant qu’à la place de « père et mère », le code civil et le livret de famille évoqueraient après la loi « parents A et B » ou « 1 et 2 » fit pourtant florès tout l’automne 2012. Et il se retrouve encore sur les pancartes de la manifestation de dimanche.

Là encore, comme nous l’avions expliqué en novembre, l’argument n’a aucune réalité s’agissant de la loi. Il vient d’une militante anti-mariage homosexuel, Béatrice Bourges, représentante du Collectif pour l’enfant, qui avait évoqué cette hypothèse au printemps, longtemps avant que les premiers documents de travail ne soient rendus publics.

La ministre de la famille, Dominique Bertinotti, avait dès novembre assuré que la loi ne contiendrait aucun de ces termes. Mais, comme pour la mention de « père et mère », l’inconnue subsiste concernant le futur livret de famille, qui n’est pas défini dans la loi mais par un arrêté ministériel. Au vu de sa forme actuelle, il faudra effectivement trouver une alternative aux termes « père » et « mère ». Mais rien ne dit que ce serait « parent A/parent B ». Une solution déjà évoquée serait par exemple d’avoir deux formats de livrets différents.

>> Lire aussi le travail de nos confrères de Libé Désintox sur le sujet

3/ Le code civil n’est pas un document intangible

Ce qu’on peut lire : « Touchez pas au code civil » (pancarte dans la manifestation).

Les anti-mariage invoquent aussi régulièrement la défense et la sauvegarde du code civil français, qui serait « bouleversé » par cette loi. C’est oublier que le code civil, créé en 1804 par Napoléon, ne cesse d’être modifié au fil de l’évolution de la société, et notamment pour ce qui touche à la famille.

En 1884, il rétablit le droit au divorce. En 1912, il autorise la recherche en paternité. En 1938, il définit la capacité civile de la femme mariée, jusqu’ici dépendante de son mari pour contracter ou agir en justice. En 1965, il intègre la réforme des régimes matrimoniaux. En En 1970, le législateur a ainsi supprimé la notion de « chef de famille » accordée au père automatiquement. En 1972, on supprime l’inégalité juridique entre enfants naturels et illégitimes. En 1999, c’est l’adoption du pacs.

En clair, le code civil est, comme le droit en général, une matière vivante, qui évolue en même temps que la société. Arguer que ce document doit rester intangible est donc un contresens historique.

4. Le référendum réclamé par les manifestants n’est pas juridiquement possible

Ce qu’on entend : « Je suis dans la rue pour que la parole soit donnée au peuple. En tant qu’élu de la Nation, je n’ai pas reçu le mandat de voter sur des réformes aussi essentielles, c’est au peuple de le faire directement. » (Henri Guaino, dans le cortège du 13/01).

Ce qu’il en est : 115 parlementaires ont signé un appel lancé par le député UMP Henri Guaino en faveur d’un référendum sur le mariage homosexuel, selon une liste publiée samedi 12 janvier sur le site du Journal du dimanche. Nathalie Kosciusko-Morizet, Bruno Le Maire et Valérie Pécresse figurent dans cette liste, ainsi que des parlementaires centristes, mais pas Jean-François Copé et François Fillon. C’est également le cheval de bataille de Christine Boutin et de l’UMP.

Pourtant, comme le notait Le Monde le 9 janvier, le projet de loi sur le mariage homosexuel ne peut sans doute pas être l’objet d’un référendum. L’article 11 de la Constitution de 1958, à jour de la révision constitutionnelle de 2008, prévoit que le président de la République peut prendre l’initiative de soumettre au référendum tout projet de loi portant notamment « sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale« . Or, « dans l’interprétation traditionnelle, le projet de loi sur le mariage homosexuel ne peut être considéré comme un sujet de politique sociale« , estime le constitutionnaliste Didier Maus. « C’est davantage une réforme sociétale du code civil« .

L’avis est partagé par un très grand nombre de constitutionnalistes reconnus, de Guy Carcassonne (lire son analyse sur le HuffingtonPost) à Pascal Jan, en passant par Didier Maus. L’UMP a rétorqué en évoquant la possibilité d’un référendum d’initiative populaire, en principe permis par la réforme constitutionnelle de 2008. Mais la loi organique qui doit permettre à ce principe d’entrer en vigueur n’a jamais été publiée, l’UMP, alors majoritaire, souhaitant d’abord en préciser les termes.

Dans tous les cas, l’hypothèse suppose que François Hollande souhaite organiser ce référendum, ce qu’il ne compte pas faire, puisqu’il juge que son élection a tranché la question.

5/ Ni la procréation médicalement assistée ni la gestation pour autrui ne sont dans le texte de loi

Ce qu’on peut entendre : « Nos ventres ne sont pas des caddies« , « Non à l’OGM humain » (pancartes brandies dans la manifestation).

« Pour un enfant, il est mieux d’avoir un papa et une maman. Nous sommes nés d’un père et d’une mère et aucune loi ne changera ça. » (Cardinal Barbarin dans le cortège du 13/01)

Ce qu’il en est : contrairement à ce qui est évoqué le plus souvent, il n’est pas question, dans la loi que le parlement s’apprête à discuter, de revenir sur le fait qu’un enfant soit né d’un père et d’une mère. Le projet de loi qui va entrer en discussion ne concernera que l’autorisation du mariage entre personnes de même sexe et l’adoption par des familles homoparentales.

Après de longs atermoiements, les socialistes ont renvoyé à un nouveau texte la question de la procréation médicalement assistée (PMA), qui permettrait à des lesbiennes d’avoir recours à l’insémination artificielle, une question qui touche à la bioéthique et demande des consultations nationales. Quant à la gestation pour autrui (GPA, le fait qu’une femme accepte de porter un enfant pour d’autres, ce qui reste illégal en France), même si elle est brandie comme une conséquence de la loi, elle n’est pas prévue par le texte de loi, et les députés PS n’ont pas évoqué la question depuis longtemps.