Voici deux textes qui rendent hommage à notre amie Irène Diamantis.
Le premier texte nous a été envoyé par Gérard Querré, dont Irène fut l’analyste. Le second texte est celui de l’adieu prononcé par Élisabeth Roudinesco au cimetière Montparnasse le 10 février.
Henri Roudier
Pour le public des professionnels qui ne la connaissait pas, Irène Diamantis c’est d’abord son ouvrage de référence sur les phobies. Elle partie il demeure une précieuse source d’inspiration clinique et théorique. Merci à elle de nous avoir laissé ce cadeau.
PHG
Une vague de tristesse m’a envahi en lisant ,d’abord sur votre site de la SIHPP, puis dans le « Monde », l’avis du décès d’Irène Diamantis, psychanalyste, mon analyste pendant dix ans entre 1973 et1983. Ce n’est pas le lieu pour évoquer mille souvenirs de ce chemin analytique parcouru avec celle que j’appelai « ma chère Irène. » J’ai souvent été étonné de lire des articles concernant « la liquidation du transfert » ! Y aurait-il donc des soldes en psychanalyse ?
Le long chemin de l’analyse en compagnie d’Irène Diamantis a trouvé un terme, une fin, et aujourd’hui m’accompagnent encore quelques unes de ses interprétations lumineuses pour ma vie elle-même et pour ce que furent aussi ces séances de « contrôle » lorsque j’ai commencé à pratiquer la psychanalyse à Clermont-Ferrand à la fin des années 70 .
La mort de Samuel (notre premier fils Michèle et moi, dans sa dixième année) a été un moment crucial dans mon analyse et un point d’appui solide pour continuer à vivre, puis retrouver ce qui pousse au désir dans l’existence. Irène Diamantis a été (et restera finalement à jamais) cet appui qui a permis des retrouvailles avec la vie.
Il y a trois ans,une journée avait été organisée à Paris par plusieurs écoles et institutions psychanalytiques où la question était posée à des analystes: qu’avez-vous appris de votre analyse avec Lacan pour votre propre pratique analytique ? J’avais trouvé la question particulièrement pertinente pour rendre hommage à Lacan ; et puis Irène Diamantis comptait parmi les intervenant(e)s. J’avais été très heureux d’aller à sa rencontre et de parler avec elle un moment, de Gilles et Benjamin, de notre second fils Guillaume, et de deux ou trois choses de la vie. Irène m’avait confié, à ma grande surprise, combien pour elle la mort de Samuel avait été douloureuse : « on ne soupçonne pas la douleur de l’analyste dans cette situation là . » Ma gratitude envers cette analyste est infinie.
Gérard Querré
par Élisabeth Roudinesco
Il faut maintenant te dire adieu ici, en présence de tous tes amis et de tes deux fils, Gilles et Benjamin et aussi de Eric, fils de Roger, un peu ton fils aussi, comme Roger était aussi le père de tes fils. Ce que je conserverai de toi ce n’est certes pas les dernières années mais les premières, celle de la jeunesse qui fut la nôtre où tu jouas un rôle capital : une jeunesse du début des années 1960 celle du passage de l’adolescence à la vie adulte. Tu étais à mes yeux une figure plus que familière, une figure de la vie intime, non seulement parce que tu travaillais dans le service de ma mère, Jenny Aubry, à l’hôpital des Enfants malades, mais parce que tu parlais cette fameuse langue secrète utilisée dans ce que j’appellerais la tribu des Diamantis, la famille élargie des Diamantis, celle qui séjournait dans le cinquième arrondissement entre le Collège de France, La Sorbonne et les restaurants des Brochettes fondés par tes parents avec cuisine grecque aux odeurs sublimes que tu savais reconstituer quand tu te mettais aux fourneaux. Toi rue des Écoles, ton frère Roger tout près rue Saint-Jacques. Tu cultivais cette langue particulière au gré des rires et d’un système de références qui échappait à la communauté que nous fréquentions.
En 1962, les Diamantis, le frère, la sœur, les parents, leurs amis et leurs compagnons ressemblaient vraiment à une famille recomposée. On y était accueilli – et j’y fus accueillie à un moment difficile de mon adolescence – sans aucune condition préalable : ni passeport, ni autorisation, ni frontière, ni jugement de valeur à l’emporte pièce, ni interrogatoire sur le passé. Dans cette tribu libertaire, à la fois très française et très cosmopolite, une seule règle était exigée, outre celle d’aimer la gastronomie : on était sommé de vivre et de parler comme dans un film et de n’avoir pour référence que les visages et les mots des acteurs adulés. Comme j’ai eu l’occasion de le dire dans la préface au livre de Roger Diamantis, créateur du cinéma le Saint-André des arts, situé juste en face de la librairie, La Répétition qui a fonctionné pendant cinq ans (1975-1980), dans le même état d’esprit.
Il fallait donc s’intégrer à un imaginaire peuplé de gestes et de rituels qui ressemblaient à ceux décrits par Lévi-Strauss dans La pensée sauvage. L’univers des Diamantis était celui des mythes. Entre eux – et notamment entre le frère et la sœur – phrases circulaient comme autant de codes secrets au sein desquels chacun pouvait redécouvrir son propre système de signes. Mais, pour se faire entendre, encore fallait-il savoir sourire à la manière de Jean Gabin et ne jamais oublier que tout dialogue, même le plus banal, même ponctué des silences les plus forts, renvoyait forcément à un décor déjà filmé.
Nous étions donc de ce monde là : celui de l’illusion, celui de l’intime filmé en noir et blanc, celui de l’enfance qui se prolongeait à l’âge adulte. Par certains côtés je te dois d’avoir pu passer mon baccalauréat et je me souviendrai toujours comment tu me faisais répéter pour l’oral le Discours de la méthode au milieu de fous rires et de grandes virées vers le sud de la France, décidées d’un coup comme dans un film de Godard. La nationale 7, ta crainte de la vitesse en voiture mais finalement nous arrivions à bon port : Menton, Monte-Carlo, le casino, le tout enrobé de la psychanalyse dont tu étais déjà, en t’occupant des enfants, une très grande pointure. Car les qualités cliniques chez toi était un don et on le savait et ma mère l’avait d’emblée repéré. De fait, ton frère, comme tes fils d’ailleurs, fut l’homme de ta vie, jusqu’au bout de ta vie, jusque dans ses dernières années, les plus difficiles où tu as su le mener à la mort à la manière ancienne.
Pour finir, je voudrais parler ici de Gérard Querré qui n’a pas pu être là et qui m’a envoyé un message. Il fut ton analysant, à un moment très douloureux de sa vie, la perte d’un fils et puis vous êtes devenus amis et il se souvient encore du jour où tu lui as dit que, pour l’analyste aussi, la perte d’un enfant de celui que l’on a en analyse est un moment insupportable. Tu le lui as dit des années plus tard et c’est en parlant de toi que nous sommes un jour devenus proches, comme si ce lien entre amis permettait encore de tisser d’autres liens, ce que tu aimais le plus et qui explique aussi que jamais tu n’appelais par leurs noms les personnes que tu aimais mais toujours par leur prénoms : comme à l’adolescence. Ce qui souvent d’ailleurs conduisaient à des confusions et des fous rires.
Voilà Irène, je te dis adieu en te nommant par ton prénom.