Comme toi, cher Philippe, je n’ai pas apprécié le changement accrocheur du
J’ai vu le film, c’est l’histoire d’un sage intelligent qui a eu la chance de rencontrer une compagne à sa mesure (et elle aussi), de se marier, de faire beaucoup d’enfants… et d’écrire, écrire, écrire ce qui n’est pas à la portée de tous…
psychopraticien relationnel® et poète.
Vas’y à fond pour le premier jet. Celui-ci suffit. Tout y est bien dit, comme il faut. J’ai compris qu’il fallait aller voir ce film, et même compris son contenu, grâce à ton article. La qualité de ton texte repose pour beaucoup aussi sur les intertitres.
Un conseil : dors le jour, continue à écrire la nuit. L’obscurité extérieure amplifie ta lumière intérieure.
Voilà une bonne lecture pour moi ce premier jour de la semaine et du mois.
[PHG – Mais le jour, face aux gens, comment dormir tranquille ?]
– Philippe Grauer, Irvin Yalom, La psychothérapie existentielle débarque en force en France [mis en ligne le 25 septembre 2007]. Référence : Irvin D. Yalom, Noël K. Salathé, CIFP, ARTEX.
– Philippe Grauer, Thérapie existentielle : apprendre à vivre [mis en ligne le 16 octobre 2008].
– Philippe Grauer, Psychothérapie existentielle, [mis en ligne mai 2015]
par Philippe Grauer
Un retournement à la Marx pour aborder Irvin Yalom, il faut bien tenter quelque chose. Le
Le film que nous propose Sabine Gisiger nous donne en partage et montage 90 minutes de la vie d’un psy, du psychiatre écrivain qui nous lègue deux ou trois petites clés pour mieux penser sa vie, et du coup la nôtre, pour mieux penser notre thérapie de la dynamique de subjectivation par la relation. Après avoir franchi les 700 heures de psychanalyse médicale réglementaire – beaucoup trop long commente-t-il – avec un médecin psychanalyste passablement passif, désimpliqué, non relationnellement engagé dirions-nous, auprès duquel il a pu apprendre ce qu’il ne fallait pas faire en psychothérapie, le voici psychiatre à l’université John Hopkins. Le premier legs fondateur qu’il mentionne c’est les données existentielles, mort, finitude, sens, liberté. Yalom les assigne comme des universaux de la condition humaine, qui si insuffisamment pris en charge dans l’existence surchargent l’angoisse(1), naturelle face à ces butoirs, jusqu’à la faire virer en terreur, et faire de nous des patients.
Il a rencontré cela en conduisant des groupes de psychothérapie, à l’art duquel le lewinien Jerome D. Franck l’a introduit (il ne mentionne pas sa propre contribution à la théorie et pratique de la psychothérapie de groupe), jusqu’au moment bien connu où il lui a demandé de bien vouloir le remplacer quand il s’absenterait. Or des groupes de cancéreux condamnés à mort, à l’époque c’était audacieux, et terriblement formateur il en témoigne, tant les contraintes (pour le coup) existentielles et temporelles sont intenses. Yalom est un pragmatique qui élabore sa théorie à partir de son expérience. Évidemment, en arrière de la main se trouve Heidegger, Freud, la psychologie humaniste, tout le savoir des sciences humaines de son époque, mais de cela, de l’érudition qui fut celle de ce remarquable chercheur, pratiquement pas un mot. Le professeur émérite a trouvé la solution pour ne pas soûler son monde, il écrit des romans. Cela allège le propos filmique mais ne devrait pas nous faire oublier la considérable consistance théorique qui fut celle de Yalom.
Même rendez-vous discret avec l’Histoire quand il mentionne sa participation à l’immense mouvement de laïcisation de la psychothérapie par rapport à la psychiatrie ayant abouti à la création de la thérapie pour normaux. Dont nous sommes les héritiers directs. Grande discrétion sur les écoles, les tendances, les lieux et personnalités mythiques, les controverses. On sait qu’il n’y veut pas prendre part. On a l’impression qu’il tient debout tout seul, là où il se trouve. Yalom se soucie de rester un Indépendant (comme naguère Winnicott). Faites dit-il ce que vous avez à faire, ne vous embarrassez pas davantage de vous rattacher (mais cela il ne le dit pas dans le film, je le sais par ailleurs). Enfin tout de même un de ses maîtres livres s’appelle Psychothérapie existentielle, ce qui le situe quelque part.
Et nous savons nous que sur indication d’Ernest Godin Noël Salathé introduisit Yalom en France dans le milieu gestaltiste, jusqu’à créer la thérapie gestalt-existentielle qui fut la sienne (dont Artex est issu), et que le Cifp eut le privilège de présenter au monde lors de sa fondation. Nous savons nous que Marie-Noëlle Salathé-Granès a conduit, toujours au Cifp sa première série de séminaires sur les données existentielles telles qu’illustrées par son mari, et qu’évidemment depuis ça continue de se développer.
Le film se préoccupe principalement de le suivre, depuis la partie de jacousi avec sa compagne, pétillante, fine, jusqu’à sa méditation finale sur la pensée de Schopenhauer comme quoi le déclin du soleil des pulsions permet enfin d’apercevoir les étoiles. Le côté 60 ans de vie de couple réussie avec interviewes des enfants et petits enfants a quelque chose de fabuleux. L’ordinarité tranquillement modeste de cette vie belle et bonne époustoufle. Cela permet de comprendre des choses profondes et simples, si simples que présentées par le premier venu il s’agirait de banalités, alors que là, quand le vieux sage nous invite à nous poser la question, ma vie, où j’en suis de la trajectoire de ma vie, qu’est-ce que j’en ai fait et que me reste-t-il à désirer ? qu’en est-il de ma capacité à dialoguer, à me dire en partage avec mes autres ? qu’est-ce que faire famille ? qu’est-ce que amour, attachement, lien par lequel je privilégie quelqu’un d’autre ? on se prend à y penser, en tout cas je me suis pris à y penser, accompagné par un bon guide ça fait la différence. D’ailleurs il le dit à un moment, le guide il a déjà personnellement exploré le territoire, ça vaut mieux pour ceux qui recourent à nous.
La cinéaste filme avec discrétion, je n’y ai pas trouvé d’emphase développement personnel, ni ces plans saint sulpiçards que dénonce une collègue critique du Monde. Juste ce qu’il faut de paysage pour qu’un personnage intéressant intervienne lui aussi, son lieu de vie, ses parcours vélocipédiques, et les rouleaux pour l’instant pacifiques de l’océan californien.
Ce film restera relativement confidentiel. Courez le voir avant sa disparition des écrans. Ce qui fera la fortune de la pensée de Yalom au cinéma ce sera un psycho-polar humoristique tiré de l’un de ses ouvrages, puis un autre encore, puis encore un, il y a de quoi faire, et apprendre en se divertissant. Le grand art. La méthode de reconstitution de séquences de conduite de groupe avec des comédiens m’a paru prometteuse. C’est ainsi qu’on peut montrer ce type de travail. Avis aux audacieux qui voudront s’y coller.