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Glossairede la psychothérapie

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bonheur

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Dans quelle mesure faut-il préférer la vérité qui dérange à l’illusion qui réconforte ? quid de la recherche d’un bien radical, suprême, qui puisse être absolument joyeux (1)? partielle et toujours mutilée, la façon dont je perçois le monde (selon le principe d’imperfection, dit en termes non spinozistes), est-elle en droit d’entamer la générosité (vs. égoïsme) avec laquelle considérer la condition humaine ? quid du tragique nietzschéen ? quid encore de la civilisation du bonheur supermarché de l’amour pour reprendre une expression de Max Pagès, de ce que l’on pourrait appeler la thérapie du bonheur vers quoi par exemple aurait dérapé la psychanalyse américaine, du système consumériste des biens ordinaires à la base de la mondialisation dont traite Gilles Lipovetsky (2) ?

Quel est le bien dont l’obtention n’épuise pas le désir ? les biens ordinaires nous possèdent plus que l’inverse (aliénation). En quoi consiste le bien suprême ? comment mener une vie qui ne nous happe, ne nous distraie pas de la fin supérieure seule digne d’un être véritablement humain ? comment accéder à la sagesse de l’amour ? comment accéder à ce quelque chose de recherché par dessus tout, le contentement du philosophe, qui se déploie dans la joie (vs. dans une forme de perdition) ? comment accéder à l’accomplissement de soi [Abraham Maslow] ? qu’est-ce que la plénitude ? qu’est-ce que le manque ?

Comment penser le désir hors du manque, comment penser le souverain bien, d’un désir dicté par ce dernier (3) ? quelle vie mener alors ? selon quelle pratique de vie, quel « élan d’amour », penser et mener la sienne ?

Comment réguler le principe de satisfaction (du manque) à renouveler indéfiniment en une course folle ? La question du bonheur, dont Saint Just annonçait qu’il est une idée neuve en Europe (4), continue de se poser à nous et de constituer un ressort fondamental dans notre espace de civilisation (mais sous des formes culturelles variées il s’agit d’un universel, eh oui, vaste question mais question de principe !). Elle continue de faire polémique entre les écoles de psychothérapie relationnelle et de psychanalyse. Il importe que chaque psychopraticien relationnel, chaque psychanalyste là-dessus ait étudié ce que la philosophie en dit, et puisse le reporter à sa propre vie et à sa propre clinique. C’est pourquoi notre École fait à la philosophie la place qui lui revient selon nous de droit dans la formation à la psychothérapie (en tout cas relationnelle), sans quoi cette dernière serait pour le moins borgne.

Nous ne résistons pas à proposer à votre réflexion l’introduction que le spinoziste Robert Misrahi donne à son ouvrage, Les actes de la joie (5), sous le titre Le Bonheur comme Préférable absolu, et que voici.

Nous avons montré par ailleurs que le sujet individuel, loin d’être définissable comme manque insurmontable ou comme tragédie de l’impossible, se constitue en réalité par son rapport à la joie. En son être le plus profond le sujet est désir de la libre joie, mouvement qualitatif vers une plénitude assez constante et assez éclatante pour mériter le beau nom de splendeur. Essentiellement, le sujet, comme le sujet désirant concret, est un mouvement vers la plénitude et ce mouvement a l’intensité d’une soif : merci est pas un malheur car elle n’ouvre pas sur l’insatiable ; bien au contraire, elle l’est à l’origine du mouvement qui mène à la satisfaction ; le sujet est ainsi, comme soif de la plénitude, la source de son propre mouvement et de sa joie.

C’est pourquoi nous avons pu également montrer que le bonheur est l’incontournable corrélat de ce désir qui définit le sujet. La question du bonheur n’est pas une question parmi d’autres, mais la question fondamentale qui éclaire toutes les autres et dont toutes les autres découlent. Nous avons pu mettre en évidence le fait que les apories traditionnelles de la morale (dans ses rapports au désir ou à l’institution) sont toutes artificielles et ne sauraient être dépassées que par la référence à une éthique concrète : or le seul concept de bonheur est en mesure de fonder une telle éthique, située par-delà les oppositions morale/politique et désir/institution. Seul le bonheur est critère utilisable dans la détermination des valeurs qui peuvent inspirer l’action intégrale et rendre au désir l’adéquation à lui-même, aux autres et au monde.

Ainsi, une éthique peut se fonder, qui ne soit ni matérialiste ni idéaliste ; une philosophie peut se déployer qui reconnaisse au bonheur la place qui est la sienne, et qui est la première. C’est par rapport à son absence que peuvent se penser le malheur et le mal et c’est seulement par référence au bonheur ne peuvent se comprendre la permanence, la vitalité et l’ampleur du mouvement du désir : le bonheur, désiré par tous, toujours, quelle que soit la forme par laquelle il se manifeste ou se cache, est l’incontournable, l’inévitable corrélat de la vie d’un sujet.

Bien entendu il y a loin de la méditation philosophique à l’encours de la psychothérapie relationnelle ou de la psychanalyse, conduite par le sujet en son devenir et selon son ressort propre, en relation avec le cadre psychothérapique. En ce sens que le psychopraticien relationnel n’a aucunement charge d’éclairer ladite méditation, mais seulement d’épauler discrètement (prendre la discrétion ici comme concept) le psychothérapisant dans sa démarche vers lui-même. Les deux disciplines, philosophie et psychothérapie, peuvent et doivent s’articuler, jamais se confondre, et le processus psychothérapique conduit le bal. La philosophie peut dialoguer utilement avec la psychothérapie relationnelle, elle le doit même, ce dialogue se tient en amont de la séance. Cela crée la distance avec les tentatives par ailleurs d’une philosophie clinique.

Nous pensons enrichir cette fiche ultérieurement, mais telle que la voici ayez l’indulgence de la considérer comme un possible départ.

Philippe Grauer

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