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26 octobre 2016

PIERRE DELION : ALIÉNÉ, DÉLIVRÉ Éric Favereau – Libération 13 octobre 2016

Psychiatre relationnel – Pierre Delion cède la place à la contention et au faux-selfisme

Philippe Grauer

Pierre Delion prend sa retraite et s’interroge. Il sera remplacé par le contraire de l’action de toute une vie, par des chambres de contention, l’occultation de la folie même, la disparition du symptôme qui fait sens, la liquidation à l’hôpital du savoir de cette psychothérapie qu’il sait appeler relationnelle. Dommage, la psychothérapie relationnelle, ne restera-t-il bientôt plus que le secteur libéral pour en porter l’héritage ?


Psychiatre relationnel – Pierre Delion cède la place à la contention et au faux-selfisme

Mots clés : psychiatrie et psychothérapie relationnelles.

un monde sans folie

Ainsi écrit Éric Favereau les derniers dinosaures prennent leur retraite. Les psychiatres psychanalystes des années 60 dans le sillage du lacanisme n’en parlons plus, la dernière vague des psychiatres psychanalystes arrive à terme, avec Pierre Delion. Ensuite ? ensuite ce sera la vraie merde, pas celle qu’annonçait ironiquement le colonel anarchiste du POUM François Tosquellas parlant de Saint Alban. Ce sera un monde psy débarrassé du concept de folie, sans véritable idée de la condition humaine. Tragédie annoncée.

Narcisse et l’en trop en scène

Nous entrons bien dans l’anthropocène, mais au moment ou l’homme lui, en sort, de la scène. Quoiqu’il affectionne de se montrer sur celle de ses téléphones photographiques mobiles, et moi et moi et moi, regardez-moi comme je me regarde, c’est moi qui suis là ! sur l’image. Ah ! l’image ! ça fascine, ça calme du vide. On évoque alors Narcisse. Un Narcisse creux, une sorte de moi sans soi, un faux soi, faux self, vrai selfie.

on les attache

Bref Pierre Delion quitte l’hôpital au moment où pour lui succéder un administrateur lancera une commande renforcée de chambres d’isolement. On régresse fort ces temps-ci, de la contenance à la contention : " il y a de plus en plus d’enfants agressifs. On les attache." Les psys qui s’en lamentent, les psychanalystes non dogmatiques et nous, les psychopraticiens relationnels, y serions-nous pour quelque chose, dans cet effacement ? les psychanalystes sont restés trop entre eux, dans leur doctrine dogmatisée, et le mépris qui s’ensuivit – et continue de s’ensuivre. Et nous ?

légitime fierté

Nous avons eu notre fierté, poussée jusqu’à l’arrogance de nous croire le centre du monde psy dont nous ne représentions si l’on en croit la topologie du carré psy, que le quart (mais nous avons su en revenir dès le début du siècle). Légitime fierté d’avancer que l’avenir était à la psychothérapie, pourvu qu’elle soit, nous avons d’abord dit humaniste, puis existentielle, et ça continue, puis relationnelle et ça peut aller avec. Une sacrée tradition ! Une psychothérapie dégagée de l’emprise psychanalytique, à côté et avec, la psychanalyse, pas sous sa coupe, une psychothérapie multiple, requérant à la fois un long parcours personnel du futur psy et une transmission de type nouveau, processuelle et pratique, intégrant le groupe et le corps. Nous avions et conservons de quoi être fiers, de l’avancée de recherche que nous représentons, de la nouveauté, efficacité et pertinence de nos modèles et de nos écoles.

psychothérapie relationnelle et démocratie

Nous avons pensé et soutenu que la psychothérapie relationnelle avait quelque chose à dire sur l’état de notre démocratie. Les psychiatres de surcroît psychanalystes de la génération précédente qui assistent effarés à la vague de suppression du symptôme, de la signification de la souffrance et de l’existence, pourraient procéder à l’inventaire de leur action sociale et politique, à leur contribution au développement d’un système de santé mentale préoccupant. Ils pourraient se pencher sur leur attitude au moment de la mise au pas réglementariste et médicaliste de l’ensemble de notre clinique avec à la clé la liquidation institutionnelle corrélative de la psychanalyse. Ils pourraient s’interroger sur leur participation à l’ignorance volontaire des institutions d’autoréglementation qu’avaient su se donner leurs collègues psychothérapeutes, et sur leur hostilité de chapelle aux innovations que nous apportions.

gauche / droite : la différence pour nous ?

La gauche n’a pas compris la folie, certes. Mais comment s’est-il fait que notre sort ne soit aucunement lié à la polarisation gauche/droite ? Comment expliquer que quand c’est la gauche nous avons les psychologues contre nous, et quand c’est la droite la médecine ? conjonction souvent possible. Si bien que des deux côtés notre mal est infini. Et maintenant que ça tourne mal sur le plateau psy, comme sur une partie importante du reste vous me direz, Delion peut prendre une retraite méritée, qu’allons-nous, nous autres, faire de notre vie professionnelle, de nos espérances, de nos angoisses, de nos projets, de l’indispensable transmission de notre savoir ?

comme un vol de dinos

Nous allons continuer d’exister et militer pour nos valeurs et la qualité de notre savoir, savoir faire, savoir faire être. Nous allons continuer de transmettre le message du dinosaure, d’une psychothérapie relationnelle, c’est lui qui le dit. Ils se sont très bien adaptés les dinos. Miniaturisés, ils sont devenus oiseaux.

 


Éric Favereau – Libération 13 octobre 2016

Chaleureux et non dogmatique, ce pédopsychiatre réputé est le dernier des Mohicans d’une génération marquée par la psychanalyse.

chaleureux, non dogmatique

L’homme est discret. On l’a peu vu sur les plateaux de télé, comme tant d’autres, donner des conseils de bon sens aux mères inquiètes devant l’agitation de leur fils ou s’alarmant devant le manque de prise de poids de leur fille. Pierre Delion y aurait été à sa place, lui, le dernier des dinosaures du monde psy, ultime grande figure du milieu, membre de cette génération bénie d’après-guerre qui a vu la psychanalyse s’imposer un peu partout, avant qu’elle ne prenne coup sur coup depuis quelques années. Pierre Delion a des allures du bon médecin de campagne, attentionné et réservé. Il part à la retraite, quittant son poste de professeur et de chef de service de pédopsychiatrie au CHU de Lille. Comme un symptôme de la crise de la pédopsychiatrie française, il ne sera même pas remplacé. Et dimanche, à Montreuil, se tient un meeting sur « l’enfance effacée » (1). Dans la planète psy, de Françoise Dolto à Serge Leclaire, Pierre Delion est loin des travers que l’on rencontre parfois chez ses confrères, péremptoires et cassants, souvent autocentrés, ressassant leurs formules. Pierre Delion occupe une place à part. Il est assurément le plus chaleureux. Non dogmatique, il est ouvert aux autres disciplines et, dans le monde parfois culpabilisant de la pédopsychiatrie, soucieux de travailler avec les parents.

sur lui est tombée la foudre

Pourtant, cruelle ironie, c’est lui qui s’est retrouvé au centre de la méchante polémique en 2012 autour du packing. Cette thérapeutique qui consiste à envelopper l’enfant autiste dans des draps humides ou secs puis peu à peu à les ôter. Une pratique que certaines associations de parents ont considérée comme de la torture. Lettres anonymes, menaces, injures, manifestations devant son bureau, convocation devant le conseil de l’ordre, Pierre Delion a subi le déluge. On l’a vu effondré : « C’est incompréhensible. Je suis soutenu par ceux avec qui je travaille et honni par ceux que je n’ai jamais vus. » Blessé, surtout : « Me traiter de tortionnaire ? Depuis plus de quarante ans, j’ai toujours fonctionné avec les parents, explique-t-il. Jamais je n’ai pu supporter ceux qui culpabilisaient les proches pour expliquer la maladie de leur enfant. » Sur lui est tombée la foudre, marque du recul de la psychanalyse dans le champ intellectuel. « Un comble », dit un de ses amis. D’autant qu’une étude prochaine devrait montrer l’efficacité du dit packing. Tournons la page.

une autre époque, où les portes pouvaient s’ouvrir

Pierre Delion aurait pu être ingénieur, il est devenu psychiatre. « Mes parents étaient commerçants dans un village de la Sarthe, à Tuggé, raconte-t-il. Ils tenaient une petite quincaillerie. Ma mère était, en quelque sorte, la psychiatre du village. Les gens venaient, ils achetaient souvent des choses dérisoires, pour parler avec elle, la boutique devenant un lieu de d’échanges. » Il a été élevé chez les jésuites à une époque où l’on pouvait voir un religieux, prof de philosophie, faire grève par solidarité avec les ouvriers du Mans. C’était une autre époque, où les portes pouvaient s’ouvrir. Et la folie sortir de l’asile. Marqué par l’influence de la Jeunesse ouvrière chrétienne, il étudie au Mans et à Angers. Il choisit la psychiatrie : « En stage en réanimation médicale, il y avait beaucoup de suicidés. Je voyais des internes les engueuler en leur disant qu’ils avaient autre chose à faire que de s’occuper d’eux. J’ai découvert la dépression, le désespoir, la mélancolie aussi. »

ne jamais se prendre au sérieux

C’est à Angers qu’il rencontre Jean Oury, figure marquante et fondateur de la clinique de la Borde près de Blois. Et celui-ci lui trouve un stage chez Tosquelles, personnage clé de la psychiatrie de l’après-guerre (1). « En 1979, j’arrive et les premiers mots de Tosquelles sont : « J’aurai dû te prévenir, et te dire de ne pas venir. Ici, c’est de la merde. » Ne jamais se prendre au sérieux…. « Je découvre le vrai travail clinique. J’assiste aux consultations de Tosquelles. On est avec le patient, on essaye de le comprendre. »

alors c’est la condition humaine qui disparaît

Pierre Delion n’est pas un doux poète qui chantonne la légèreté, trouvant toutes les vertus du monde à la folie. Il sait ce que sait que d’être ailleurs. Dans son service, il suit des enfants lourdement atteints, des autistes qui s’automutilent. « C’est comme cela que l’on a vu que le packing pouvait les aider. » Et il explique son état d’esprit :«La génétique m’a toujours passionné. En psychiatrie, opposer les deux m’a toujours paru incroyable. De même, les médicaments peuvent aider.» Son repère de clinicien ? « Si l’on supprime les symptômes et si on ne s’occupe pas du patient, alors c’est la condition humaine qui disparaît. Si l’on fait disparaître comme aujourd’hui le concept de folie, on fera probablement disparaître les fous avec. »

seul peut-être Rocard se rendait compte

Comment ne pas être séduit par cette ouverture d’esprit ? Mais comment ne pas être interloqué par le fait que c’est cette psychiatrie-là, attentionnée et hospitalière, hier dominante, qui a perdu ? Aujourd’hui triomphent la contention, les chambres d’isolement et les traitements médicamenteux. « Je suis très pessimiste. En pédopsychiatrie, il y a de plus en plus d’enfants agressifs. On les attache. Il y a des suppressions de postes un peu partout, on n’a pas assez de lits. » Certes, mais comment explique-t-il cet échec ? N’est ce pas aussi le sien ? « La pédopsychiatrie est en voie de disparition. Les politiques n’ont pas joué leur rôle, ils nous ont laissé tomber, ils n’ont pas tenu bon. » Ou encore : « La gauche n’a pas compris la folie. Seul peut-être Rocard se rendait compte que la psychiatrie avait quelque chose à dire sur l’état de notre démocratie. » Mais n’y a-t-il pas une responsabilité des psys dans ce fiasco ? « Évidemment. Ils sont restés trop entre eux. Et d’un point de vue plus théorique, ils n’ont pas compris que, face à la psychose, on ne peut pas rester seul. » Mais il ajoute, aussitôt : « Il y a de mauvais psys, mais la psychanalyse reste une aventure intellectuelle exceptionnelle. »

pour entendre une autre musique

Féru de bateau à voile, Pierre Delion a de multiples lieux secrets. Dans sa maison de Lille, on est ébahi par cet étage occupé entièrement par un immense orgue. C’est là qu’il oublie les tourments de l’âme. Son grand plaisir ? Aller en solitaire dans certaines églises et poser ses mains sur les claviers de l’orgue, pour entendre surement une autre musique. Sa femme est pédiatre. Parmi ses trois enfants, l’une est institutrice, l’autre auxiliaire de vie et un troisième neurochirurgien.

faux-selfies

Pierre Delion n’a pas de remords. Mais des inquiétudes en série. « Quel pénible moment, nous vivons, lâche-t-il. Les gens n’arrivent pas à être eux-mêmes, ils essayent d’être quelqu’un d’autre pour plaire. Ils se prennent en photo, font des selfies, des faux selfies. C’est le triomphe du narcissisme. »


À lire :

Pierre Delion et Patrick Coupechoux, Mon combat pour une psychiatrie humaine, Albin Michel.