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La psychiatrie mise à mal, laminée, une psychothérapie d’État au programme, laissant une petite place à la « psychopathologie clinique » c’est-à-dire à un minimum de psychanalyse universitaire, une psychanalyse qui ne tardera pas à se voir normalisée et étatisée, après satisfaction temporaire de ses revendications universitaires, une psychothérapie relationnelle marginalisée contrainte de se débaptiser, le plan santé mentale en cours cabosse le Carré psy, s’en prend en réalité au processus de subjectivation, milite en faveur d’une thérapie comportementaliste déshumanisante.
Les mésaventures de la psychiatrie n’en finissent pas, allant de pair avec la déconsidération de la profession de psychiatre. Il va falloir courir les rues pour trouver un psychiatre à visage humain, travaillant à l’ancienne. Le tout répressif sécuritaire tourne le dos à l’éthique de l’ensemble des professions psys. Dès que son ombre s’abat sur un pan du carré psy c’est l’ensemble qui en pâtit.
C’est pourquoi nous demeurons solidaires de nos collègues qui grondent à l’hopital. C’est vrai que ça résiste de toutes parts. Nous vivons la période où cette résistance n’est pas encore coordonnée, n’a pas atteint sa puissance collective. Cela viendra, à coup sûr.
Philippe Grauer
Le discours répressif de Nicolas Sarkozy, le 2 décembre, a mis la psychiatrie publique en ébullition. «Libération» publie «l’Appel» des 39 qui exprime le mécontentement du secteur.
L’onde de choc est violente. Depuis le 2 décembre et le discours de Nicolas Sarkozy à l’hôpital psychiatrique d’Antony (Hauts-de-Seine), où il a présenté «un plan de sécurisation des hôpitaux», le monde de la santé mentale est sens dessus dessous. Comme sidéré par ces annonces, formulées après l’agression mortelle d’un étudiant grenoblois par un patient de l’hôpital de Saint-Egrève (lire page ci-contre).
Le 2 décembre, le chef de l’état a parlé de réformes de la loi d’hospitalisation ; demandé la création de 200 chambres d’isolement — vous savez du genre de celle où l’on a démolli la sœur de Sandrine Bonnaire. Note de PHG — ; exigé le contrôle des permissions de sortie ; proposé la systématisation des soins sous contrainte. Plus saisissant, il a suggéré l’utilisation de bracelets électroniques pour les malades, à l’instar des délinquants. Un discours perçu comme un terrible retour en arrière. En écho, se multiplient initiatives et prises de positions, parfois contradictoires. Jusqu’à cet «Appel des 39», ce week-end, demandant aux soignants de «sortir de la résignation» (lire page 4).
Vendredi soir, dans un local syndical à Paris, ils sont donc 39 à tenter d’apporter une réponse commune. Fait peu habituel, il y a là les représentants de presque tous les syndicats de psychiatres, mais aussi des psychologues, des psychanalystes, des infirmiers. Ils sont réunis à l’initiative d’Hervé Bokobza(2), psychiatre à Montpellier, à l’origine des États généraux de la psychiatrie en 2003. Ce fut, alors, un moment fort, mais qui n’a débouché sur rien. Cinq ans plus tard, la communauté des psys va-t-elle se réveiller ?
«En tant que jeunes internes, on se sent coincés. Les chambres d’isolements ? On y a été habitués. L’omniprésence des neuroleptiques aussi. Les psychiatres sont complices. C’est un appel aux plus vieux ! Réveillez-vous, prenez position», a lancé le président des internes en psychiatrie.
«La majorité de nos collègues ont été choqués par le discours du Président. Mais comment réagir ? Faut-il aller trop vite, trop loin ?» s’est interrogé Angelo Poli, qui dirige le Syndicat des psychiatres d’exercice public.«Attendez, lâche un confrère, dans mon petit hôpital de province, je me bats déjà tous les jours contre les consignes du préfet, qui veut restreindre toutes les sorties des malades. Je ne sais pas combien de temps je vais tenir.» Patrick Chemlat, psychiatre reconnu, qui dirige un secteur à Reims : «Des traitements obligatoires, en ambulatoire, c’est-à-dire quand les patients sont chez eux, jamais je ne pensais que je verrais cela.» Une colère, évidente, massive, s’est déversée durant la soirée. Et, au final, un appel. «Il y a plein d’îlots de résistance, il faut les unir», a insisté Hervé Bokobza.
Que va-t-il se passer ? Au sein de la psychiatrie française, la situation reste un brin confuse. Entre les tenants d’une réponse forte et ceux qui ne veulent pas se laisser enfermer dans un discours «pour ou contre la sécurité».
Reste que la psychiatrie publique va mal. Délaissée, ballottée au gré des faits divers. En vingt ans, elle a perdu plus de 100 000 lits, sans qu’ils soient, le plus souvent, remplacés par des structures intermédiaires. Pendant ce temps-là, les malades sont pris en charge, parfois avec chaleur, d’autres fois avec des pratiques inhumaines. Souvent, ils attendent des semaines avant d’obtenir une consultation. Et nombre d’entre eux sont renvoyés dans la rue ou en prison.
Les psys sont en colère et l’objet de leur ressentiment porte un nom : Nicolas Sarkozy.