Les indigènes scandalisés, les journalistes, et l’opinion éclairée.
Dans l’article du Monde daté du 18 septembre, Michel Onfray, interrogé par Catherine Simon produit une sorte de contre-histoire des guerres coloniales sur le modèle de sa contre-histoire de la philosophie. Il affirme qu’à partir de 1945, les indépendantistes algériens auraient refusé toute forme de négociation et porteraient ainsi l’entière responsabilité des meurtres et des violences commis pendant toute la durée de la guerre d’Algérie. Ainsi reprend-il à son compte la thèse bien connue des nostalgiques de l’Algérie française et du Front national.
Après avoir traité Freud de nazi, Sartre et Beauvoir d’adeptes du goulag et de collabos et souscrit aux interprétations pour le moins contestables de Jean Soler selon lesquelles la Bible serait une préfiguration du génocide des Juifs, Onfray franchit un pas de plus dans la reconstruction délirante de l’histoire occidentale. Jusqu’où ira-t-il ?
À force de contre-vérités et de se situer contre tout en voici un qui finit tout contre l’extrême droite.
par Catherine Simon
Le Monde 18 septembre 2012
La messe devrait être bientôt dite – et l’exposition Albert Camus d’Aix-en-Provence (PACA) enterrée, sans fleurs ni couronnes. L’annonce faite par le philosophe Michel Onfray sur son compte Twitter, vendredi 14 septembre, qu’il renonçait à être nommé commissaire de ce projet laisse ses partenaires désarmés. La machine n’est pas en panne. Elle est brisée. A moins d’un miracle, on ne voit guère comment elle pourrait repartir.
Le 15 octobre, le conseil d’administration de l’association Marseille Provence 2013 (élue capitale européenne de la culture) doit se réunir pour décider de la suite à donner – si tant est qu’il y en ait une – à cette péripétie ultime.
MP13 est, en effet, censée financer et organiser l’ensemble des événements culturels qui vont ponctuer l’année 2013. Parmi lesquels l’exposition Camus, prévue en novembre, à l’occasion du centenaire de la naissance de l’écrivain.
« Pour des raisons de calendrier, l’exposition semble condamnée : les délais sont désormais trop courts pour bâtir, avec sérieux, un projet de cette importance », a confié au Monde le directeur général de MP13, Jean-François Chougnet, joint par téléphone, dimanche 16 septembre. Comme lui, la maire (UMP) d’Aix-en-Provence, Maryse Joissains-Masini, et Catherine Camus, fille de l’écrivain, ont appris le départ de Michel Onfray par la presse.
« Stupéfaite« , la maire d’Aix, se prévalant de ses « excellentes relations » avec le philosophe, a cru pouvoir assurer au quotidien La Provence que Michel Onfray avait été « blessé par le comportement de la ministre de la culture, Aurélie Filippetti« . Celle-ci a décidé, tempête la maire, de ne pas soutenir cette exposition « sous prétexte que le commissaire n’est plus Benjamin Stora » – l’historien de l’Algérie, que MP13 avait nommé en 2009 commissaire de l’exposition, puis détrôné, sans explication, au printemps 2012.
Fidèle à sa réputation de battante, Maryse Joissains-Masini ne baisse pas les bras : « Avec ou sans Onfray, pas question pour moi de renoncer à cette exposition ! », jure-t-elle. Catherine Camus avoue à La Provence qu’elle ne peut « pas expliquer la décision de Michel Onfray« , qui n’a pas eu, regrette-t-elle, la « correction » de l’avertir. Elle ne cache pas la réserve que lui inspire ce qu’elle considère comme un « coup médiatique« .
Elle a des mots plus durs encore à l’encontre du philosophe, auteur de L’Ordre libertaire, la vie philosophique d’Albert Camus (Flammarion, 595 p., 22.50 €), dont l’attitude l’a visiblement meurtrie : « Je ne suis peut-être pas une grande spécialiste de l’œuvre d’Albert Camus, mais je connais mon père et je sais ce qu’il m’a appris : la loyauté et la mesure. Il semble que M. Onfray n’ait pas ressenti ces valeurs dans l’œuvre de mon père. Dommage. »
Camus et l’Algérie ne portent décidément pas chance au philosophe de Caen. D’un côté comme de l’autre de la Méditerranée, les anti-Onfray semblent pousser comme des champignons. En visite à Alger, cet été, Michel Onfray a accordé un entretien au quotidien francophone El Watan, déclenchant, pour reprendre ses termes, une incroyable « pétaudière« .
Il est vrai qu’il n’y est pas allé avec le manche de la cuillère : « Depuis le 8 mai 1945 et la répression de Sétif et Guelma [où des manifestations d’Algériens ont été écrasées dans le sang], il est prouvé que les militants de l’indépendance nationale ont souhaité tout s’interdire qui soit du côté de la paix, de la négociation, de la diplomatie, de l’intelligence, de la raison. Je vous rappelle en effet, poursuit l’essayiste, que ce sont les Algériens qui ont choisi la voie de la violence et sont à l’origine du plus grand nombre de morts du côté algérien ! «
De telles contre-vérités historiques, dans la bouche d’un intellectuel français, tout « libertaire » qu’il se proclame, ne pouvaient que provoquer un tollé – le mot est faible – en Algérie. Ignorer, et avec quelle superbe, la violence, fondatrice, de la conquête coloniale et les tombereaux de morts « indigènes » que 130 années de domination ont laissés derrière elles a quelque chose d’ahurissant.
Dans un courriel adressé à Michel Onfray vendredi 14 septembre au matin, nous avions demandé au philosophe si les propos qui lui ont été prêtés dans El Watan le 10 août étaient bien les siens. Sa réponse, donnée ici in extenso, n’a pas dissipé le malaise : « Je ne les connais pas, je ne les ai pas vus et ne veux pas les connaître. Marre de cette instrumentalisation de l’affaire Camus. La presse française me traite assez mal pour que je ne me fasse pas d’illusion sur ce qu’elle dira quoi que je dise. J’ai donné ma version dans Le Nouvel Observateur de cette semaine, j’en reste là. Bien à vous. »
Qui sont ces gens (des journalistes ?) que Michel Onfray « ne [veut] pas connaître » ? Pourquoi évoquer la presse française, alors qu’on l’interroge sur la presse algérienne ? Surtout : pourquoi, s’il ne les a pas tenus, ne pas démentir ces propos ? Le mystère Onfray reste entier. Quant à Albert Camus, des hommages lui seront rendus, durant toute l’année 2013, à une échelle peut-être plus modeste, mais qui seront fidèles, souhaitons-le, au si génial et ordinaire enfant du quartier algérois de Belcourt.
– L’exposition Albert Camus, Michel Onfray et les monothéismes , où il apparaît que Michel Onfray via son ami Jean Soler vire à la Nouvelle droite solaire et polythéiste.
– « La bataille ratée de Michel Onfray« , par Marc Riglet (Lire), publié le 01/03/2012
– Michel Onfray pilotera l’exposition et le Musée Camus
– Camus – l’historien écarté le faiseur promu
– Motion de soutien à Benjamin Stora
– Après Richard Millet, Michel Onfray
– et cliquer ici-même Onfray pour plus d’information.
L’historien Benjamin Stora, spécialiste de la guerre d’Algérie, est officiellement désigné, par l’association Marseille Provence 2013, commissaire de l’exposition Albert Camus, prévue en novembre 2013, dans un lieu non encore choisi.
Catherine Camus, fille et ayant droit de l’écrivain de La peste et L’étranger, donne son feu vert au scénario de l’exposition, soumis par Benjamin Stora aux organisateurs.
prévue à Aix-en-Provence, est
; Benjamin Stora a été remercié.
à Aix, de la conférence de Michel Onfray, venu présenter son ouvrage sur Camus L’ordre libertaire, Flammarion ; des responsables de la mairie prennent contact avec lui.
À l’issue d’une réunion à la mairie d’Aix-en-Provence, un communiqué est envoyé à la presse, qui annonce la désignation de Michel Onfray comme nouveau commissaire de l’exposition.
La ministre de la culture, Aurélie Filippetti, précise qu’elle n’a « jamais été associée à la décision de remplacer Benjamin Stora par Michel Onfray. »
Le ministère de la culture, favorable à Benjamin Stora, fait savoir qu’il retire son soutien à l’exposition Camus.
Michel Onfray décide, après la publication du reportage du Monde, de se retirer du projet.
Le Monde du 18 septembre 2012.