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1 mai 2010

Alice Miller : le drame de l’enfant « doué » Catherine Vincent

Catherine Vincent

«  Tous les bourreaux ont été victimes » : cette phrase seule pourrait résumer son oeuvre, tout entière consacrée à combattre la maltraitance des enfants. Pour la psychologue et psychanalyste de nationalité suisse Alice Miller, c’est dans cet abus de pouvoir, exercé dès les premières années de la vie, que se situaient les racines de la violence humaine. Sa mort, annoncée, vendredi 23 avril, par son éditeur allemand Suhrkamp, est survenue, mercredi 14 avril, dans le sud de la France. Elle avait 87 ans.

Née en Pologne, à Lvov (aujourd’hui Lviv, en Ukraine), le 12 janvier 1923, Alice Miller étudie la philosophie, la psychologie et la sociologie à Bâle (Suisse), avant d’entreprendre, à Zurich, une formation de psychanalyste.

A partir de 1954, elle enseigne à l’université de Zurich et exerce en tant que psychothérapeute. Son désaccord avec certaines thèses freudiennes la conduira toutefois, en 1988, à rompre avec l’Association psychanalytique internationale (API) dont elle est membre. À ce stade de sa carrière, elle est en effet convaincue que l’enfant n’est pas un  » pervers polymorphe  » régi par ses pulsions sexuelles, comme l’affirme la psychanalyse. Et que cette dernière, a contrario, minimise les sentiments de haine que peuvent avoir les parents vis-à- vis de leurs enfants.

Au début des années 1980, Alice Miller décide de se consacrer uniquement à l’écriture et à l’exposé de ses idées, qu’elle développera dans une dizaine de livres. Ce choix la fera connaître dès son premier ouvrage, Le Drame de l’enfant doué . PUF, 1983. Par enfant  » doué « , elle entend l’enfant sage : celui qui s’adapte aux règles édictées par ses parents pour combler leurs attentes, au prix d’une répression plus ou moins sévère de ses propres sentiments.

S’inspirant des récits de ses patients, ainsi que de biographies de dictateurs et d’artistes, Alice Miller insiste sur le fait que la maltraitance produit non seulement des enfants malheureux, mais aussi, bien souvent, des parents maltraitants. Contraints dans leur jeune âge de refouler colère et angoisse, ce n’est qu’à l’âge adulte qu’ils peuvent décharger ces émotions. Sur leurs propres enfants, voire sur des nations tout entières.

Dans C’est pour ton bien (1984), qui la rend célèbre auprès du grand public, elle secoue ainsi l’opinion allemande en appliquant cette lecture à la trajectoire d’Adolf Hitler. La cruauté du dictateur nazi, affirme-t-elle, trouve son origine dans la structure de sa famille : un prototype du régime totalitaire, où la seule autorité incontestée et souvent brutale était le père. Mais être battu et humilié dans sa jeunesse ne fait pas pour autant de la victime un futur assassin, et les critiques n’ont pas manqué contre ce réductionnisme qui prétend expliquer Hitler, Staline ou Mao Zedong par leur enfance malheureuse.

 » Pédagogie noire « 

Plus novatrice dans la pensée d’Alice Miller apparaît, en revanche, sa remise en cause des principes d’éducation appliqués en Europe au cours des derniers siècles. Des principes régis par le précepte  » Qui aime bien châtie bien « , qu’elle qualifie de  » pédagogie noire « , et qui brisent, selon elle, la volonté de l’enfant pour en faire un être docile et obéissant, mais sujet d’un douloureux conflit intérieur.

Prenant son propre cas en exemple, elle estimait avoir été  » conçue sans amour par deux enfants sages qui devaient obéissance à leurs parents et souhaitaient engendrer un garçon, afin de donner un petit-fils aux grands-pères  » (Notre corps ne ment jamais, 2004).

Alice Miller a été beaucoup soutenue par de grandes organisations internationales, l’Unesco et l’Unicef. Son engagement radical contre les violences  » ordinaires  » faites aux enfants est aujourd’hui relayé par nombre de thérapeutes et d’associations. C’est aussi l’attitude du Conseil de l’Europe, qui mène campagne, depuis plusieurs années, pour l’interdiction de la claque et de la fessée.

Catherine Vincent


Alice Miller, psychothérapeute (relationnelle) suisse

12 janvier 1923, Naissance à Lvov, alors en Pologne, 1954

Enseigne à l’université de Zurich

1984, C’est pour ton bien

14 avril 2010, mort à Saint-Rémy- de-Provence (Bouches-du-Rhône)

© Le Monde