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17 janvier 2010

Allaitement, protage et co-dodo. Martine Laronche

Martine Laronche

Plus près de toi, mon bébé

Allaitement à la demande, portage et  » co-dodo  » : le maternage  » proximal  » fait des adeptes et provoque la controverse

Le Monde nous livre cet article, administrant des conseils de psychanalystes à la rubrique Psychologie, s’appuyant sur les travaux d’un chercheur psychologue, et nous psychothérapeutes relationnels relayons le message. On conçoit la complexité qui règne à la surface du Carré psy. La lecture de cet article nous renvoie certainement au spectacle de mères contemporaines (ou parfois de pères) portant leur bébé près du corps drapé dans une pièce de tissus, à l’africaine, et l’on songe que des continents entiers n’ont pas attendu les travaux et découvertes de Bowlby pour procéder de la sorte depuis la nuit des temps, nous fournissant matière à une réflexion sur l’anthropologie du portage des bébés.

Il est d’autant plus intéressant de noter comment évoluent les mentalités et habitudes. En effet l’organisation ritualo psychosociale des sociétés anciennes impose un sevrage sévère aaaaaaa

PSYCHOLOGIE

Herrade, 39 ans, traductrice, est adepte du maternage intensif. Maman d’un petit Volodia d’un an, elle continue à l’allaiter quand il le souhaite, bien qu’il soit passé à la nourriture diversifiée. Mère de deux autres enfants de 9 et 6 ans, elle prépare souvent le repas le soir avec Volodia plaqué contre son dos, dans une écharpe.

La nuit, le petit dort dans son lit de bébé installé dans la chambre des parents et parfois, s’il se réveille, il lui arrive de finir dans le lit parental,  » mais dans une turbulette, pas sous la couette « , précise Herrade. La sexualité du couple n’en est pas perturbée :  » On emmène le bébé, endormi, dans une autre pièce.  » L’aînée a dormi jusqu’à 2 ans dans la chambre de ses parents et la cadette jusqu’à 4 ans.  » La petite enfance, c’est le meilleur moment pour remplir le réservoir affectif des enfants, explique la jeune femme. Cela construit leur confiance et les rend beaucoup plus indépendants que les autres. « 

Géraldine, 35 ans, journaliste, donne encore une tétée, matin et soir, à Rose, un an. Grâce à un congé parental, elle n’a repris son travail que quand sa fille avait 6 mois.  » Elle vient réclamer, c’est un moment de câlins. Jamais je n’aurais pensé allaiter jusque-là « , avoue-t-elle. La petite a dormi jusqu’à 8 mois dans sa chambre, mais pas dans son lit.  » Ça me rassurait « , affirme Géraldine. Toute petite, Rose était portée en écharpe contre sa mère.  » Les trois quarts de mes amies ont du mal à comprendre ma démarche, regrette-t-elle. Elles ont peur que le développement de l’enfant en soit perturbé. « 

Tout en restant minoritaire, le maternage intensif ou  » proximal  » fait de plus en plus d’adeptes en France. La pratique a émergé outre-Atlantique, portée par le pédiatre américain William Sears, auteur de l’expression  » attachment parenting  » et s’est diffusée notamment par les canaux de l’association pour l’allaitement, la Leche League.

Ses fondements théoriques reposent sur la théorie de l’attachement élaborée par John Bowlby, un psychiatre et psychanalyste anglais mort en 1990. Pour lui, l’attachement est un des besoins primaires du jeune enfant, comme manger ou dormir. Ce n’est que lorsque ses besoins de proximité sont satisfaits qu’il peut s’éloigner de la figure qui le sécurise, pour explorer le monde.

Concrètement, le maternage proximal se traduit par un allaitement long et à la demande, le portage du bébé au plus près du corps grâce aux écharpes, et parfois le  » co-dodo « , qui consiste à dormir avec son enfant dans le lit ou à proximité, comme cela est pratiqué au Japon ou en Afrique.  » Contrairement à beaucoup de mammifères, les bébés ne sont pas prêts à être autonomes dès la naissance. L’enfant a besoin d’une figure d’attachement stable et attentive à ses besoins fondamentaux pour devenir un adulte bien dans sa peau « , explique Claude Didierjean-Jouveau, rédactrice en chef de la revue Allaiter de la Leche League France.

Depuis le début des années 2000, elle constate que le maternage se développe. La promotion de l’allaitement par le Plan national nutrition santé (PNNS), dès 2001, en est l’une des raisons. La multiplication des sites Internet, des forums d’échanges et des blogs sur ces questions participent à cet essor également porté par les valeurs écologistes.  » Je mange bio, je m’inscris dans une AMAP – Association pour le maintien d’une agriculture paysanne – , je materne mon bébé, c’est un ensemble de convictions qui traduisent l’envie de choses plus authentiques « , explique Géraldine.

Christine Coursaget, sage-femme, forme les professionnels de santé à l’accompagnement de l’allaitement maternel dans le cadre de l’association Co-naître.  » Plus les bébés sont près de leur mère, plus ils ont envie de téter, témoigne-t-elle. Il faut en revenir à une culture de proximité et se détacher de cette culture de séparation héritée des années 1950.  » Portés par leur mère, les bébés retrouvent les sensations intra-utérines qui les rassurent : battements du coeur, mouvements, écho de la voix, odeurs. Le co-dodo reste la mesure la plus controversée.  » Je n’ai rien contre mais je préconise d’être attentive à la sécurité de l’enfant « , poursuit la sage-femme. Les parents ne doivent pas être fumeurs, boire ou se droguer ni être trop fatigués. L’enfant ne doit pas être sous la couette, ne pas risquer de tomber, etc.

Pédopsychiatre, psychanalyste, Myriam Szejer émet elle aussi des réserves.  » Il faut savoir que dormir avec son bébé est réprouvé par les pédiatres à cause des risques d’étouffement, explique-t-elle. Par ailleurs, nous ne sommes pas dans une culture où cette pratique est inscrite dans les rituels. Il va être d’autant plus compliqué de repérer à quel moment on arrête. Le maternage intensif peut devenir problématique si le couple mère-enfant vient prendre la place du couple conjugal ou s’il vient réparer une anxiété maternelle intense. « 

Pour Sylvain Missonnier, psychanalyste et professeur de psychopathologie clinique de la périnatalité à l’université Paris-V-René-Descartes, on est passé d’un excès quasi phobique à l’égard de la fusion entre la mère et le bébé à un excès inverse avec éloge de l’allaitement long et du co-dodo militant.  » La vie humaine est ponctuée d’épreuves de séparation – naissance, sevrage, apprentissage de la propreté, etc. -, qui sont des étapes importantes pour préparer l’enfant à prendre son envol. Par un peau à peau obsessionnel, on risque de priver le petit humain d’un apprentissage fondamental, et c’est une illusion d’imaginer un processus d’éducation sans la mise à l’épreuve de ces séparations « , explique le professeur.

Martine Laronche

À lire :

 » Maman bio « , de Martine Laganier et Claude Didierjean-Jouveau (Eyrolles, 2008, 192 p., 12,90 ¤).  » Planète Maternage « , de Catherine Piraud-Rouet (Marabout, 2008, 348 p., 5,90 ¤).  » Si les bébés pouvaient parler « , de Myriam Szejer (Bayard, 2009, 187 p., 18,50 ¤).  » Devenir parent, naître humain « , de Sylvain Missonnier (PUF, 2009, 512 p., 38 ¤).

© Le Monde, 17 janvier 2010.