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Amendement Accoyer : la débâcle
Le nouvel avant-propos de décret sur le titre de psychothérapeute rendu public le 7 avril dernier par M. Xavier Bertrand, Ministre de la Santé, témoigne de la débâcle intellectuelle et politique où conduit l’acharnement à vouloir appliquer envers et contre tout le texte issu de l’amendement Accoyer qui est strictement inapplicable, parce que contradictoire dans ses termes.
Rappelons, pour la clarté du débat, les termes de cette contradiction.
L’article 52 de la loi relative à la politique de santé publique stipule dans son troisième alinéa que l’inscription sur la liste des personnes pouvant faire « usage du titre de psychothérapeute » est « de droit » pour les médecins, les titulaires d’un titre de psychologue et les psychanalystes « régulièrement enregistrés dans les annuaires de leur association ». Ces trois catégories de professionnels peuvent se déclarer « psychothérapeutes. » Seules les autres, psychothérapeutes en exercice ou personnes aspirant à le devenir, doivent satisfaire aux conditions que le décret dont l’avant-projet a été publié doit préciser.
Le quatrième alinéa du même article 52 dispose que le même décret précise « les conditions de formation théoriques et pratiques en psychopathologie clinique que doivent remplir » les quatre catégories de professionnels concernés : psychiatres, psychanalystes, psychologues et psychothérapeutes.
Pour les trois premières catégories, le quatrième alinéa dit donc le contraire du troisième.
Cet étrange lapsus du législateur n’est certainement pas le fruit du hasard. S’il montre que ledit législateur n’a pas voulu vraiment trancher entre deux logiques antagonistes, le témoignage des parlementaires qui ont participé à la commission mixte paritaire qui a produit ce texte permet de dire que leur intention était probablement d’imposer à tous une formation spécifique en « psychopathologie », pour répondre aux criques d’ « hygiénisme » notamment – pour reprendre le mot de Jacques-Alain Miller – que les précédentes versions de cet article de loi avaient suscitées : ce n’est pas parce qu’on est médecin qu’on est forcément compétent pour traiter de la souffrance psychique.
Philippe Douste-Blazy avait compris que la rédaction d’un décret sur de telles bases était vouée à l’échec. Il l’avait dit. Son successeur, Xavier Bertrand, lui, s’acharne.
Il croit avoir trouvé une sortie de crise avec un avant-projet de décret qui propose à chacune des professions concernées une sorte de « profil bas » censé la satisfaire.
Le « verbatim » de la réunion du 7 avril, au cours de laquelle il a présenté ce « compromis » à l’ensemble des associations professionnelles concernées, rédigé par Philippe Grauer (et publié sur le site « Œdipe »), montre à l’évidence l’échec de la tentative, comme en témoignent la plupart des interventions des participants, qui illustrent jusqu’à la caricature la contradiction initiale.
Soucieux de s’assurer l’adhésion des psychiatres, psychanalystes et psychologues, Xavier Bertrand s’en tient au troisième alinéa, oubliant le quatrième. Le décret les proclame donc, de droit, « psychothérapeutes ».
Mais bientôt, un participant s’exclame : « Il me semblait que toutes les catégories devaient se voir soumises à une formation en psychopathologie ! ».
Il n’a pas tort. Le Ministre le sait. Mais qu’importe, doit-il se dire : j’aurai le « gros des troupes » avec moi…. Malheureusement pour lui, ce n’est pas le cas. Un représentant des psychiatres s’empresse de faire observer que ce n’est pas « parce qu’on est docteur en médecine ou psychologue du travail ou autre qu’on une formation en psychothérapie ». Un autre déclare : « Je comprends assez mal qu’un docteur en médecine, un inscrit sur une liste de psychanalyste (…) soit de droit considéré comme psychothérapeute ».
Les psychanalystes, eux, devraient être heureux. Il suffit, en effet, d’appartenir à une association de psychanalystes pour être inscrit sur le précieux registre…. Mais il est patent que, puisque rien dans la loi, ne définit une « association de psychanalystes », chacun pourra facilement en créer une… Et l’un de leurs représentants s’inquiète : « Si vous ouvrez la porte à des sociétés qui ne seront faites que pour éviter le cursus, cela constitue un effet pervers grave pour les sociétés de psychanalyse ». Un autre considère que dans ce cas, il faudra « arriver à définir la liste des listes ». Question : qui – et selon quels critères ‑ définira « la liste des listes » ? Le problème de principe soulevé par Elisabeth Roudinesco de l’ « étatisation » des annuaires reste entier.
Les psychologues, eux, sont carrément furieux. Ils ne devraient pourtant pas se plaindre : eux aussi auraient la possibilité de devenir, de droit, par la grâce du décret, « psychothérapeutes ». Mais leurs représentants ne décolèrent pas.
Car pour complaire à la quatrième catégorie – les psychothérapeutes en exercice‑ , et pour ainsi tenter d’avoir enfin tout le monde avec lui, notre ministre a inventé dans son avant-projet une condition d’accès au titre de psychothérapeute opportunément minimaliste : ceux d’entre eux qui ne justifient pas de « cinq années d’expérience professionnelle » ne devront en effet suivre qu’une « formation théorique en psychopathologie d’une durée de 150 heures » (et un stage).
150 heures ! C’est moins que ce qui exigeait naguère une formation normale en dactylographie au cours Pigier !
Aussitôt, c’est le tollé. Un représentant des psychologues s’insurge : « Vous allez créer une nouvelle profession de sous-psychologues (…). Comment donner une formation digne de ce nom en 150 heures ? » Un autres : « 40 000 psychologues ont le désir de faire de la psychothérapie. A leur place, je m’inscrirais dans une formation de 150 heures et 4 mois de stage ! »
Le président de la Société Française de Psychologie écrira plus tard au ministre : « Comment peut-on imaginer que sur la base de 150 heures de formation théorique et d’un stage pratique de 4 mois, un professionnel puisse apporter l’aide nécessaire à une personne en souffrance psychique nécessitant une psychothérapie ? Devient-on chirurgien, architecte, avocat ou ingénieur sur la base de 150 heures de formation initiale et d’un stage pratique de quelques mois ? ». Et il conclut, logiquement, qu’il « serait probablement raisonnable de recourir à des dispositions législatives permettant de remplacer cet article, l’article 52 de la loi, issu de l’amendement Accoyer, voté dans un contexte de peu de sérénité ».
Mais revenons à la réunion du 7 avril. Les psychanalystes ne sont pas en reste. L’une de leurs représentants observe : « Vous nous voyez inquiets à propos de 150 heures et du stage pratique, extrêmement léger ».
Quant aux psychiatres, leur point de vue est bien résumé par l’un des leurs : « Comment les psychiatres pourraient admettre que le cœur de leur pratique puisse être réglementé par une formation aussi faible que celle que vous proposez ?».
Les psychothérapeutes, eux, sont partagés. Certains complimentent le ministre : c’est le moins que celui-ci pouvait attendre ! D’autres s’inquiètent de la caricature qu’on est en train de donner de leur formation et des écoles de formation qu’ils ont mises en place. Et Philippe Grauer se croit tenu de préciser : « Nos institutions sont solides, responsables, respectables. Les écoles agréés par nos soins forment des étudiants à la psychothérapie relationnelle en cinq années universitaires et davantage. Nos étudiants ont effectué une psychothérapie relationnelle ou une psychanalyse d’ailleurs, selon des parcours personnels qui peuvent atteindre la dizaine d’années. On est assez loin des 150 heures dont se gaussent certains ici ».
Résumons : pour avoir choisi dans les deux versants opposés du texte de loi, tour à tour, celui qui lui paraissait être le moins contraignant et le plus acceptable par chaque profession, le ministre a mis en œuvre, au sens propre du terme, une démarche politicienne, c’est-à-dire opportuniste. Quand bien même le dispositif s’imposerait, il ne répondrait pas à la question qui a justifié l’article de loi. M. Accoyer pourrait, certes, dire que son amendement s’applique : mais comment, dans quelles conditions et avec quelles conséquences ? Libre à lui et au ministre de tutelle de penser que les 150 heures fatidiques serviront de viatiques et nous prémuniront enfin des « charlatans » dont il s’agissait de protéger la société. Mais eux-mêmes devront bien convenir du caractère dérisoire et fallacieux de ladite protection.
Finalement, si cet avant-projet était publié, le plus clair est que, comme l’a dit l’un des participants à la séance du 7 avril, cela « ne changerait rien à la situation actuelle » ‑sinon qu’un nombre important de personnes pourra se prévaloir du titre de psychothérapeute, en plus, bien sûr, de toutes celles qui s’en prévalent déjà. C’est, en un sens, une victoire pour ceux qui ont combattu l’amendement Accoyer, puisque rien ne changera…..
Mais, en même temps, comment ne pas ressentir une réelle amertume en constatant que trois ans de débats se traduisent par cette débâcle : tout ça pour ça ; tant de discussions, pour arriver à si peu de choses !
Et pourquoi ? Tout simplement parce qu’on a assisté à une double obstination.
D’abord, faire passer la loi, coûte que coûte, fût-elle contradictoire.
Ensuite : publier le décret, coûte que coûte, fût-il pétri de démagogie et de vacuité, l’une nourrissant l’autre.
Mais ce n’est pas tout.
Car, alors qu’il est question de formation, qu’il est prévu que la fameuse formation en psychopathologie « peut être confiée à l’université ou à des organismes ayant passé convention avec l’université » et que l’un des enjeux du débat, c’est justement ce verbe pouvoir, puisque certains protagonistes ont plaidé fortement pour qu’il disparaisse et que la formation soit confiée à l’université…. on ne peut que s’étonner de l’absence, dans les concertations engagées, du ministère en charge de l’enseignement supérieur, qui ne paraît plus devoir être co-signataire du texte.
C’est le premier silence du texte. Le second silence a été à juste titre salué : il n’est plus fait référence, comme dans la version précédente, aux quatre « approches de psychothérapies validées scientifiquement », formulation qui avait fait craindre l’instauration d’une « science d’État ».
Il faut toutefois considérer le second silence à l’aune du premier.
Roland Gori se donne beaucoup de mal pour défendre la place de la psychanalyse à l’université.
Son statut est paradoxal. Elle ne relève, en propre, d’aucune discipline. Mais elle a sa place dans le cursus de philosophie, de psychiatrie et de psychologie.
Dans les deux derniers domaines, elle doit faire face à la montée du comportementalisme, dominant dans nombre de départements universitaires. D’où la question, essentielle, du pluralisme des approches, dont on peut attendre que les instances universitaires veillent à le garantir : elles seules peuvent le faire. Dans ce contexte, il est pour le moins préoccupant que l’Université – ou plutôt les universités – et le ministère qui en est chargé soient exclus du débat.
Et puis, il y a la question de la psychiatrie – de la misère de la psychiatrie, devrait-on dire, tant il manque de praticiens en cette discipline. Pour ne prendre qu’un seul exemple, on ne dira jamais assez les conséquences dramatiques de la pénurie en psychiatrie – et en temps de psychiatre – dans les prisons françaises, où un tiers des détenus relèvent de la psychiatrie.
Dans cet autre contexte, comment ne pas penser que les « 150 heures » ont un sens. Il faut se méfier quand on aborde ces sujets : les lapsus guettent. Comment ne pas imaginer qu’il y a derrière ces 150 heures – et même s’il y a des modifications ultérieures – l’exacte métonymie d’un nouveau corps de praticien de la santé mentale, concept qu’on a déjà vu affleurer ici ou là. Il s’agissait pour certains observateurs d’un corps de « sous-officiers » de la santé mentale ; depuis le nouvel avant-projet, ils ont revu la dénomination et parlent désormais de « caporaux » …
Autrement dit, on prendrait son parti du manque de psychiatres, et au lieu de décider les mesures qui s’imposent pour y pallier, on transformerait ces praticiens en superviseurs d’employés de santé sous formés. Ou alors – autre hypothèse – ils seraient les « superviseurs » de médecins formés à ce qu’on a appelé des « psychothérapies formatées » et qui seraient le terreau idéal pour les tenants des Thérapies cognitivo-comportementales (TCC), car, pour le coût, on ne peut pas dire que ces thérapies ne soient pas formatées : elles n’ont même d’existence que parce qu’elles sont formatées. En bref, le nouvel avant-projet produit doublement du statu quo. Non seulement il ne change rien à la réalité actuelle, sauf symboliquement. Mais il ne règle pas non plus les problèmes que nous venons d’évoquer, tout en accroissant les doutes qui pèsent à leur sujet.
Le seul intérêt de l’avant-projet, qui relève – on l’a vu -, d’une démarche politicienne – est lui-même politicien. Xavier Bertrand ne s’en cache pas. Il affirme : « Je suis persuadé qu’il y a une voie de passage ». Son souci, c’est de passer entre les gouttes.
Il faut sortir du labyrinthe, même si chemin faisant, on abandonne complètement l’objectif qu’on s’était assigné, sans d’ailleurs en adopter un autre.
La démarche se résume simplement : il y a une loi, il y aura donc un décret.
Refusant ce simplisme, ce confort et ces abandons, nous serons donc de ceux qui rediront que la matière est trop sérieuse pour être ainsi traitée.
Et nous proposerons à nouveau :
L’abrogation de l’article 52 de la loi sur la santé publique, puisque ceux qui doutaient encore de son caractère contradictoire ne peuvent désormais plus en douter ;
Une concertation approfondie associant les quatre professions concernées, non pas sur la base d’une loi caduque et d’avant-projets qui le seront tout autant, mais sur la base des exigences scientifiques qu’on se doit de prendre en compte pour tout ce qui relève de la connaissance, des exigences éthiques et déontologiques qui s’imposent, s’agissant du traitement de la souffrance psychique, et des autorégulations mises en œuvre au sein des professions concernées.
3. L’établissement de règles qui, d’une part, devront ressortir de l’université, que celle-ci œuvre directement ou contractuellement, ou encore qu’elle exerce une mission évaluatrice et, d’autre part, devront prendre en compte la spécificité de chaque profession, de ses instances et reconnaissances internes, puisqu’il en est nécessairement ainsi pour la psychanalyse, et qu’on ne voit pas très bien comment, juridiquement, un statut différent pourrait être dévolu aux sociétés de psychanalyse et à celles de psychothérapie.
4. Le respect effectif –au service des instances universitaires notamment‑ de la nécessaire pluralité des approches. Et puisqu’il s’avère que cela ne va pas de soi, la question mérite à tout le moins réflexion.
On peut, certes, considérer que ce programme est trop ambitieux et qu’il n’est plus de saison. On peut décréter que la polémique n’a que trop duré. On peut mettre la tête sous le sable. On peut proclamer que le statu quo est une révolution. Et on peut habiller la débâcle des ornements de la victoire. Mais tout cela ne sera que vanité.
Jean-Pierre SUEUR