Redressement d’une pétition malencontreuse. Le "pape" de l’islam s’appelait le Calife : gros problème depuis l’extinction du califat. Et le "califat" de Paris n’existe tout simplement pas.
► Mots clés : islam, démocratie, coran, islamofascisme, Église.
Pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que la démarche des 300 pétitionnaire en fait de piètres novices en matière de religion. Voire des provocateurs un peu naïfs. Sauf le respect que nous leur devons, on se demande si certains d’entre eux ont pris le soin de lire ce qu’ils signaient.
La première chose à faire concernant l’islam serait d’en respecter l’esprit et la culture, et de ne pas le confondre avec l’Église catholique (par ailleurs les orthodoxes non plus n’ont de pape, ni les protestants). Il faut reconnaître l’égalitarisme de principe de l’islam sunnite, qui constitue une de ses forces. D’accord ça facilite un joyeux, en l’occurrence éventuellement sinistre, anarcho individualisme pour parler en des termes politiques des Temps modernes (la question précisément avec l’islamofascisme étant de son refus de la modernité démocratique). Resterait bien le calife, sauf que le califat est aboli le 3 mars 1924 par Grande Assemblée nationale de Turquie, sur proposition de Mustafa Kemal, instaurant la laïcité de la nouvelle république. C’est ainsi, les autres sont, c’est bien connu, différents. Alors on ne leur fait pas la leçon sur la bonne manière de se comporter… comme nous (et qui ça nous ?) le ferions.
En plus, précisément, l’Église n’aurait pas le pouvoir de déclarer caduque telle phrase de l’évangile parce que périmée. Le Christ a bien déclaré je suis venu vous apporter la guerre. Le Christianisme a d’ailleurs fait largement usage de ce "verset" au cours de son histoire. Le Christ a pourtant essentiellement dit aimez vos ennemis. La religion, la théologie, l’interprétation des textes sacrés, ne sont pas à confier à des amateurs. Restons républicains et laïques, et posons des revendications justes dans leur principe et sensées dans leur formulation.
Les deux premiers intertitres sont de notre Rédaction.
Atteint-on jamais une cible avec un fusil dont le canon est tordu et la gâchette de guingois ? Le manifeste contre le nouvel antisémitisme, publié dimanche dans le Parisien, et visant nommément les islamistes radicaux qui en sont coupables, fait couler de l’encre. Tous les commentateurs soulignent, à raison, la justesse de la cause qu’il entend défendre. À l’heure où des juifs sont tués parce qu’ils sont juifs, où d’autres doivent déménager pour fuir la haine de leurs voisins, il faut dénoncer et combattre le poison antisémite.
Le texte nous fournit-il le bon antidote pour y parvenir ? La plupart des éditorialistes se divisent en pensant à son impact social. Enfin un texte clair, disent les premiers : en pointant du doigt les dérives sectaires de l’islam, il affronte une réalité qu’on refusait de voir. Faux, répondent les autres : en stigmatisant une partie de la population, ces pompiers pyromanes ne font que diviser un peu plus là où on ne s’en sortira qu’en rassemblant.
Contentons-nous, pour notre part, de nous interroger sur l’envoi du texte, sa supplique, curieusement moins commentés : “ »En conséquence, nous demandons que les versets du Coran appelant au meurtre et au châtiment des juifs, des chrétiens et des incroyants soient frappés d’obsolescence par les autorités théologiques comme le furent les incohérences de la Bible et l’antisémitisme catholique aboli par Vatican II, afin qu’aucun croyant ne puisse s’appuyer sur un texte sacré pour commettre un crime ».”
On ne doute pas une minute des nobles intentions des rédacteurs de cette merveille. On aurait aimé qu’ils s’arment, en plus, d’un bon manuel d’histoire religieuse, ça leur aurait évité cette phrase surréaliste de bout en bout.
Il est indiscutable que, pendant des siècles, l’Église catholique a distillé la haine des juifs. Une haine qui reposait sur le concept de « peuple déicide », cette idée que « les juifs », en tant que tel, et pour l’éternité avaient « tué le Christ » et qui prétendait s’appuyer effectivement sur divers passages du Nouveau Testament. En effet, les autorités vaticanes ont mis fin à cet « enseignement du mépris », comme devait l’appeler le grand historien Jules Isaac, au tournant des années 1950/1960, dans le contexte du deuxième concile de Vatican. Mais jamais, au grand jamais, elles ne l’ont fait en « frappant d’obsolescence » le texte saint. Allons ! Un pape ou un même un concile qui irait faire le tri dans saint Paul, ou les poussières dans les actes des Apôtres ? Non.
Cela s’est joué en deux temps. D’abord il y eut, avant le concile, le geste de Jean XXIII décidant, comme tout pontife peut le faire, de retirer de la liturgie du vendredi saint la prière faisant allusion à la « perfidie judaïque ». Ensuite, il y eut la publication, par les pères conciliaires, de Nostra aetate (1965), ce texte fondamental qui rompt avec l’enseignement en vigueur, défend la liberté religieuse, concède que l’ensemble des grandes croyances du monde portent une part de vérité et, dans le passage concernant spécifiquement le judaïsme, insiste sur le « patrimoine commun » partagé avec les chrétiens, et « encourage et recommande la connaissance et l’estime mutuelles ». L’Église n’a rayé aucun texte, elle en a proposé une autre lecture globale, nuancée.
Il est indiscutable qu’il y a dans le Coran des passages qui apparaissent épouvantables à l’égard des juifs. Ils ne reposent, pour le coup, sur nulle accusation de « déicide » mais sur un contexte. Quand, après avoir fui La Mecque, il est devenu chef de Médine, le prophète Mahomet a cherché à convertir des tribus juives qui y habitaient. Face au refus de certaines d’entre elles, il a pu faire preuve de violence. Aujourd’hui, certains imams radicaux fanatiques se servent de versets reflétant cette histoire pour distiller une haine antisémite atroce. On a raison de vouloir les en empêcher. La méthode proposée par les pourfendeurs du nouvel antisémitisme y conduira-t-elle ? On en doute.
D’abord, en appeler à des « autorités théologiques » pour les comparer à celles de Vatican II est curieux. Les rédacteurs du texte pensent-ils qu’il existe un pape musulman qui pourra rassembler ses évêques pour tenter régler toute cette affaire dans un hypothétique concile de « La Mecque 1 » ? Comme nul ne devrait l’ignorer, le propre de l’islam sunnite, religion fondamentalement égalitaire depuis son origine, est d’avoir refusé tout clergé (seuls les chiites en ont). Il existe bien sûr, en France et ailleurs, de nombreux théologiens musulmans qui ne partagent pas les vues des prédicateurs sectaires dont nous avons parlé. Religieusement, ils n’ont ni plus ni moins de poids qu’eux, et guère plus – sinon par la puissance de leur savoir – que le plus humble des fidèles.
Quelle idée, par ailleurs, de demander à des croyants de « frapper d’obsolescence » un texte qui, à leurs yeux, n’est autre que la transcription de la parole de Dieu ? Il n’est pas de la plus fine pédagogie de vouloir faire évoluer une religion en poussant les fidèles au blasphème.
Pour autant, les innombrables musulmans de bonne volonté ne sont pas désarmés pour contrer la haine. Comme toutes les grandes religions, la leur est pleine de ressource, il suffit de savoir en lire les textes. Le Coran contient des versets violents, contre les incroyants, les juifs, les chrétiens. Il en contient bien plus qui appellent à la paix et soulignent la profonde égalité entre les humains, qui appellent au respect à l’égard des religions du Livre, celle de Jésus, considéré comme un prophète, celle de Moïse, vénéré tout autant. De nombreux imams et fidèles savent que ce sont ces versets qu’il faut surligner. Il ne faut pas leur tordre le bras, il faut les accompagner dans leur geste.