Par Philippe Grauer
Toujours la même chose, ça n’est pas ou l’un ou l’autre mais l’un et l’autre. La psychanalyse et la psychothérapie (1) sur le terrain de l’autisme n’ont pas à se voir opposées aux recherches neurologiques, l’une bonne l’autre pas. Le combat des mêmes contre les mêmes a quelque chose de lassant, mais de rassurant, c’est toujours le même combat. Celui qui se livre actuellement au Sénat et dans la campagne médiatique d’amalgame avec la charlatanerie sectaire, allons donc ! à la psychothérapie relationnelle dans le vain espoir de la liquider — il ne faut tout de même pas prendre ses rêves à ce point pour de la réalité, procède de la même inspiration.
Bien entendu nos psychopraticiens {{relationnels n’ont droit de cité à l’hôpital qu’à condition d’être aussi psychologues. Cela ne nous empêche pas, bien au contraire, de mener le combat pour la psychodiversité.
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Il y a des limites que nul ne devrait se permettre de franchir, pas plus certaines associations de parents d’enfants autistes que les autres. Pourtant, dans le but louable de « défendre » les autistes, l’Association Léa pour Sami, par l’intermédiaire de son président M’Hammed Sajidi, franchit de façon répétitive ces limites en prenant pour cible les pédopsychiatres en général et les psychanalystes en particulier.
Fait-on avancer la cause de ces enfants par la désinformation, la calomnie, les attaques ad hominem, les déclarations haineuses ? Jusqu’à présent, aucun professionnel n’a réagi publiquement, par respect pour la souffrance de parents touchés par la maladie de leur enfant et peinant à trouver des réponses adéquates, tant nous sommes en retard en matière de places d’accueil et de pédagogie adaptée pour les enfants autistes.
Notre silence finit par nous rendre complices consentants. Contrairement aux idées véhiculées par cette association, qui ne jure que par les méthodes éducatives dont elle prétend que les pédopsychiatres se désintéressent, l’ensemble des professionnels concernés par la psychose et l’autisme ont intégré l’apport des neurosciences, des techniques éducatives et de la psychothérapie.
Ils réorganisent leurs dispositifs avec les moyens dont ils disposent pour en faire bénéficier les enfants, avec le soutien actif des parents, dont l’adhésion est non seulement souhaitée mais indispensable.
Nul parent, même s’il encense une méthode qui a fait ses preuves pour son enfant, n’est en droit de chercher à l’imposer à tous les enfants à l’exclusion de toute autre. Nul spécialiste ne se prétend détenteur d’un savoir, ou d’une pratique, qui s’appliquerait à tous les enfants autistes en excluant toute autre approche : l’autisme, par la variété de sa clinique et probablement de ses causes, n’autorise pas la simplification, si rassurante soit-elle.
C’est pourquoi la pétition et la manifestation du 2 avril à l’initiative de l’Association Léa pour Sami devant le ministère de la santé pour « demander un moratoire contre le packing » est particulièrement choquante : les médecins sont accusés de prendre les enfants pour des « cobayes » à qui on appliquerait « des méthodes scandaleuses »… Au fait, de quoi s’agit-il ? D’une technique d’enveloppement qui a des indications précises, mais
limitées, puisqu’elle concerne des jeunes se mutilant gravement ou tellement violents qu’ils mettent en péril la vie familiale, la poursuite de leurs soins et de leur intégration scolaire. Cette technique obéit à des règles éthiques précises.
Elle ne constitue qu’un élément, à un moment donné, de l’ensemble de la prise en charge de ces patients. Alors qu’elle est pratiquée depuis plus de dix ans dans le monde entier, le professeur Delion a présenté un projet d’évaluation de ses effets thérapeutiques (dossier Programme hospitalier de recherche clinique), avec avis favorable du Comité de protection des personnes du CHRU de Lille, où il exerce. C’est pour empêcher cette évaluation — réclamée par des praticiens du monde entier — que cette association mobilise d’autres parents avec des arguments injustifiables.
Il ne faut pas nous leurrer sur le sens des attaques envers le professeur Delion. Parmi les professionnels, il n’a pas à être défendu : sa compétence, son humanité, sa rigueur et son inventivité sont unanimement reconnues. Mais, à travers lui, c’est tout simplement la possibilité de délivrer des soins aux autistes quand ils en ont besoin, à leur fratrie et à leurs
parents, qui est visée.
L’autisme serait-elle la seule maladie à ne pas englober le psychisme, au prétexte qu’elle serait d’origine génétique ou neurobiologique ? C’est aussi la mort souhaitée d’une collaboration — ô combien précieuse —, entre neuroscientifiques et pédopsychiatres, dans l’élaboration d’hypothèses cognitives et psychopathologiques qui nourrissent la recherche, et à terme le traitement des autistes. C’est pourquoi il est grand temps de réagir, et
de ne plus laisser passer ces entreprises de désinformation aussi bruyantes que nocives.
Caroline Eliacheff est pédospychiatre et psychanalyste.