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17 mars 2010

Bonheur & psychothérapie relationnelle Alain Badiou, Élisabeth Roudinesco.

Alain Badiou, Élisabeth Roudinesco.

Bientôt ici même une présentation de ces deux textes et du forum Libé du 26 mars à Rennes consacré au thème du bonheur dans lequel ils prennent place. La vie bonne ne se réduit pas au cadre de la simple destinée individuelle. Depuis Saint Just quelles eaux ont coulé sous le pont du bonheur défini par les philosophes des Lumières ? À l’heure de la thérapie du bonheur et de l’idéologie de la réussite et du parcours sans fautes, à l’heure de la mondialisation DSM et de ses ravages aux quatre coins de la planète, qu’a à en dire, tout comme la psychanalyse, la psychothérapie relationnelle ? Les lendemain de l’hier soviétique ont déchanté, que nous chantent les temps présents ? comment s’y prendre, si jamais c’est possible, pour réenchanter notre monde sans illusions ?

PHG


« Le bonheur, une idée neuve! »: forum Libération à Rennes les 26 et 27 mars. Un événement France-Culture.

RENDEZ-VOUS – Le quotidien Libération organise les 26 et 27 mars à Rennes un forum sur le thème « Le bonheur, une idée neuve! » avec la présence annoncée de responsables politiques ou économiques, d’élus et d’intellectuels. En partenariat avec les institutions locales et régionales, le quotidien organise « deux jours de débats, d’expression et d’échange », selon la formule consacrée ces trois dernières années de Grenoble à Nanterre en passant déjà par Rennes au printemps 2009.

«  Le bonheur est une urgence aujourd’hui. Pendant 20 ans, on a laissé libre cours à l’individualisme. On a vu où ça a mené. Il faut donc réinventer  » une nouvelle société, a expliqué en préambule Max Armanet, directeur du développement à Libération. L’ensemble des débats – 46 au total, 5 en concomitance en moyenne – se dérouleront en un seul lieu, au Théâtre National de Bretagne (TNB), à quelques pas de la gare SNCF et du centre-ville. Sur les 90 minutes prévues pour chaque débat, 30 minutes seront réservées aux questions du public. L’objectif est de réunir 10.000 participants mais « on espère bien faire mieux », a déclaré François Le Pillouër, directeur du TNB. Parmi les personnalités attendues, on relève les philosophes Alain Badiou ou Yves Michaud, les psychanalistes Elisabeth Roudinesco ou Jacques-Alain Miller, l’anthropologue Françoise Héritier ou l’historien Jean Delumeau, le syndicaliste Jean-Claude Mailly (FO), plusieurs membres du gouvernement ou proches du pouvoir, des élus de l’opposition ainsi que des responsables économiques, dont Christophe de Margerie (Total), Emmanuel Faber (Danone) et Christian Polge (Coca Cola France). Par ailleurs, jusqu’au 15 mars, les personnes intéressées sont invitées à répondre à un questionnaire sur le thème du bonheur, sur le site www.rennes-metropole.fr. Les résultats de l’enquête, à laquelle ont déjà répondu quelque 1.500 personnes, seront restitués le vendredi 26 mars. L’entrée aux débats est gratuite, mais les réservations sont recommandées à la billetterie du TNB ou sur son site www.t-n-b.fr. Les débats pourront être suivis par internet, sur le site du quotidien notamment, ainsi que sur la chaîne parlementaire.

(AFP)


Dans Libération, page Rebonds.

Peut-on encore croire aux lendemains qui chantent ?

 “ Je crois toujours, disait Gabriel Péri, à la veille de son exécution par les nazis en 1941, que le communisme est la jeunesse du monde et qu’il prépare des lendemains qui chantent ”. Cette phrase rappelle celle de Saint-Just prononcée le 3 mars 1794, alors que la France était menacée d’invasion : “ Que l’Europe apprenne que vous ne voulez plus un malheureux sur la terre ni un oppresseur sur le territoire français; que cet exemple fructifie sur la terre (…) Le bonheur est une idée neuve en Europe .”

Inconscient ou neurone

L’espoir, la patrie, l’héroïsme : ces thèmes liés à une conception révolutionnaire du bonheur semblent avoir disparu de notre société dépressive en même temps que se sont effacées les références patriarcales issues de l’État-nation : l’Armée, le Parti, l’Autorité, etc… Et l’on a remplacé la politique par l’évaluation, le désir par l’hédonisme, l’inconscient par le neurone et l’idée de l’universel par le repli sur soi : ma religion, mon développement personnel, mon particularisme. Culture du malheur identitaire contre idéal du bonheur.

1968

On a tenté de mettre à la poubelle mai 1968, pour affirmer que les humains seraient plus heureux dans un monde dominé autant par la spéculation financière que par un hygiénisme qui assimile tout comportement normal à une pathologie : boire un verre de vin relèverait de l’alcoolisme, aimer internet serait une addiction, penser à la Révolution un acte sanguinaire. Impossible d’être anxieux, exalté ou rebelle sans être aussitôt contraint d’avoir recours à des pilules afin de ne plus songer aux lendemains qui chantent : soyez conformes à ce que les experts attendent de vous. Ne désirez plus, ne pensez plus, soyez pragmatiques.

Normalisation sécuritaire

Et voilà que la réalité vient contredire cet arsenal de normalisation sécuritaire. Partout émergent de nouvelles espérances, au moment même où le capitalisme, loin de se moraliser, favorise la misère psychique et économique, au même titre d’ailleurs que les Etats de non droit qui, par haine d’un Occident ayant certes commis des crimes, tournent en dérision la Déclaration des droits de l’homme afin de mieux persécuter leurs propres citoyens : ultralibéralisme sans limite d’un côté, fanatisme religieux de l’autre. Le premier est réformable, le deuxième ne l’est pas.

Insurrection des consciences

Contre la démocratisation hygiéniste des conduites, surgit donc une aspiration à une autre forme de vie qui se traduit par une insurrection des consciences. Sans aucun doute, il y a là le réveil d’un idéal de transformation qui avait été banni depuis trente ans par les tenants d’un conservatisme étriqué plus attachés à haïr l’esprit de la Révolution qu’à en critiquer les dérives. Mais il ne suffit pas de proclamer le retour des lendemains qui chantent, encore faut-il que les lendemains soient source de bonheur.

Renoncer à l’idéal

On sait bien depuis 1789 que jamais aucune Révolution n’a réussi à concilier la liberté et l’égalité et c’est la raison pour laquelle — de l’URSS à la Chine — on a assisté à un échec du socialisme réel et à un renversement de l’idéal révolutionnaire en son contraire. Est-ce une raison pour renoncer à l’idéal ? Certainement pas.

Projet de changement social

Ce qui arrive aujourd’hui, dans ce qu’on appelle le retour de l’idée communiste, c’est le rêve d’un ailleurs à venir non encore circonscrit et qui serait le nouveau nom de la Révolution. Deux choix sont possibles : soit la reproduction à l’identique d’un modèle d’économie administrée, ce qui ne manquerait pas de conduire à une impasse criminelle; soit l’avancée vers une Révolution des droits inspirée par les principes de 1789-93. “La Révolution est un bloc” disait Clemenceau. Il faut s’en souvenir pour faire exister un projet de changement social qui n’éliminerait pas les libertés fondamentales et permettrait de combattre l’ignorance, l’obscurantisme, le communautarisme.

Voilà le vrai pari de notre époque et la seule épreuve de réflexion qui mérite qu’on s’y attache.

Élisabeth Roudinesco


Le bonheur comme urgence du présent

Une mythologie

Les « lendemains qui chantent » n’ont jamais été qu’une mythologie, plus employée, à vrai dire, par les ennemis de la pensée révolutionnaire ou communiste que par ses amis ou ses militants. Cette mythologie soutenait qu’on allait demander aux ouvriers et gens du peuple des sacrifices innombrables, au nom d’un futur nébuleux dont la réalisation serait constamment différée. C’était une des variantes de la propagande encore la plus active aujourd’hui : « ce que vous avez n’est pas grand chose, mais c’est réel, et ce que la politique d’émancipation vous promet est formidable, mais n’existe pas ».

Faire surgir des possibilités inconnues

Mais est-ce au nom d’une promesse fumeuse que des millions de gens se sont ralliés, et, n’en doutons pas, se rallieront, à des actions et des pensées politiques totalement étrangères au capitalo-parlementarisme qui prétend incarner la « réalité » ? Je n’en crois rien. La temporalité de l’action inventive, de l’action qui vise, non à gérer le monde tel qu’il est, mais à y faire surgir des possibilités inconnues, est toujours, non pas du tout sous l’empire d’une représentation de l’avenir, mais sous celui de l’urgence du présent. Qu’on pense seulement à ce que signifie l’incertitude d’une insurrection, l’attente anxieuse du succès ou de l’échec d’une manifestation, voire le simple contentement de mener à la porte d’une usine une discussion significative avec un groupe d’ouvriers, ou la tension d’une veille nocturne pour empêcher si possible, au petit matin, une rafle de la police dans une foyer d’ouvriers de provenance africaine.

Intensité exceptionnelle

Oui, le temps réel de la vraie politique est le présent, l’intensité exceptionnelle que confère au présent de n’être plus dans le sillon des habitudes, des petites jouissances et des rivalités secondaires où s’enlise la vie telle que l’Etat la considère. La passion de la politique n’a pas pour affect la représentation dite « utopique » d’un avenir glorieux. Son affect se rapport au contraire à ce qui advient d’imprévisible, à l’étonnement magique de ce que telle ou telle rencontre improbable a eu lieu, que tel ou tel mot d’ordre a été trouvé, dans une langue à la fois dure et claire, à l’issue d’une réunion improvisée. Kant l’a bien vu : cet affect révolutionnaire, c’est l’enthousiasme pour l’événement, et non la délectation abstraite du futur.

Une inexplicable joie

Les sacrifices eux-mêmes sont-il consentis sous l’idée abstraite du futur ? Evidemment non. Sans doute Malraux a-t-il été le grand romancier de leur nature réelle : affirmer, au présent, qu’une vie n’a de sens véritable que sous le signe d’une Idée, et que l’Idée elle-même n’a de sens que si elle est agissante dans une situation historique donnée. Qu’alors il y ait une inexplicable joie est un fait. Ces moments de la vie sont du reste ceux auxquels reviennent toujours, dans leurs récits d’existence, les survivants des combats.

Le bonheur comme perpétuation des fortunes

Ce sont les politiciens parlementaires qui, dans leurs « programmes », auquel eux-mêmes ne croient guère, promettent de satisfaire dans l’avenir les intérêts de leurs diverses clientèles. Le « bonheur », pour eux, n’est jamais que la satisfaction, demain, des intérêts particuliers, la sécurité des routines et la perpétuation des fortunes. Mais le bonheur, dont j’espère qu’on pourra à nouveau le dire « communiste », n’est pas de cet ordre. Il est la découverte de ce que chacun est capable de bien plus de choses nouvelles que ce qu’il imaginait.

Urgence enthousiaste

L’opposition véritable, quant au bonheur, n’est pas entre le futur et le passé. Elle scinde le présent en une représentation conservatrice et sécuritaire et une urgence enthousiaste pour se nouer à ce qui n’avait jamais eu lieu et cependant advient. Le bonheur communiste se dira : « aimez ce que jamais vous ne verrez deux fois ».

Alain Badiou