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23 juin 2009

Burka : signe de secte signe des temps signe d’obligation éthique et citoyenne Dounia Bouzar

Dounia Bouzar

La burqa, un signe sectaire et non religieux
On oscille entre diabolisation et laxisme

Le Monde, 22 juin 2009


Signe de secte ?

Puisque sur ce site nous voici rendus au chapitre de l’islam nous vous livrons cette réflexion anthropologique d’un observateur des religions. La psychothérapie relationnelle se voit quotidiennement diffamée par une campagne Accoyer victimariste populiste, malhonnête en ce sens qu’elle impute à ceux qui s’en démarquent une collusion avec des pratiques psycho totalitaires, elle se voit diffamée donc, au motif de « dérive sectaire », et à ce titre nous avons une petite idée de la manière dont on peut s’efforcer de discréditer n’importe quoi n’importe comment.

Cachez ce sein que je ne saurais voir

La question que pose ce vêtement cage, prison portative, du style Cachez ce sein que je ne saurais voir, mais tu n’as qu’à pas regarder ! et si tu regardes quand même interroge-toi toi-même au lieu d’entraver la vie d’autrui à cause de tes problèmes, qui fait honte de son corps à la moitié de l’humanité au bénéfice de l’autre installé de ce fait dans le statut de son propriétaire, nous concerne, nous psychothérapeutes relationnels. Nous savons le statut du corps dans le fait psychique et ce qu’il en est du moi corps , pas trop éloigné du moi peau. Nous avons quelque chose à dire à partir de notre clinique au sujet de la citoyenneté, de l’égalité des sexes et de la démocratie, et des signes extérieurs d’infériorisation ontologique de la femme.

Soutenir le principe de libération

L’articulation privé-public, intime-politique, est ici à l’œuvre. Quand et comment le fait individuel devient-il acte politique, et en faveur de quoi ? De l’oppression. Depuis quand ne devrions-nous pas soutenir le principe de libération au fondement même de la démocratie de nos sociétés, corrélativement au fondement même de la psychothérapie relationnelle, au motif qu’une secte intégriste somme toute récente prêche la régression au nom d’un islam qui n’en a jamais demandé tant, et que notre propre principe de tolérance laïque nous serait opposable ? À partir de quand avons-nous le devoir de dire non ?

De la soumission volontaire au devoir de protestation

On sait comment fonctionne la soumission volontaire. Dans notre droit, une personne n’a pas celui de se vendre comme esclave, fût-elle consentante. Jouir de la condition d’exclue n’empêche pas qu’il en soit protesté. Même, il fait un devoir de protestation à ceux qui sont témoins de cette aliénation imposée. Cela contribuera certainement à réveiller l’endormi. En tout cas à marquer le caractère de notre identité et de l’exigence de son respect, du respect des droits humains, droits universels, la question est bien là. La psychothérapie relationnelle, comme la psychanalyse, là-dessus n’a pas à marchander.

La liberté d’allure, de vesture et d’aller et venir est imprescriptible

Autant il est nécessaire d’user de discernement dans le maniement de l’argument anti sectaire qui peut se voir lui-même utilisé malhonnêtement, autant une fois qu’on a caractérisé un lieu de sectarisme totalitaire il convient de s’en tenir aux principes de la démocratie, du respect de la personne humaine sans exception dite culturelle qui annulerait la démarche. C’est valable pour les charlatans de la scientologie qui vendent comme objet de culte de simples machine à mesurer les intensités électriques, comme pour les tenants de pratiques entravant rien moins que la simple liberté d’allure et de circulation de la moitié de l’humanité.

Philippe Grauer


Rappelons que  » religion  » vient du mot latin relegere (accueillir) et religare (relier). Le croyant se ressource dans sa relation à Dieu pour aller vers les autres et trouver du sens à sa vie.

En revanche, le mot  » secte  » signifie  » suivre  » et  » séparer « . Historiquement, ce mot désignait la dissidence d’un groupe religieux mais, aujourd’hui, on l’emploie pour désigner toute  » association totalitaire qui porte atteinte aux libertés individuelles « .  » Secte  » a définitivement pris une signification péjorative en raison de l’intolérance manifestée par ces groupes, grands ou petits, vis-à-vis du monde extérieur, et des effets destructeurs constatés sur la personnalité des adeptes.

Que faut-il de plus pour interdire tout vêtement qui dépersonnalise un être humain ? La burqa ou le nikab ont ça de bien qu’ils sont clairs – si l’on peut dire – sur le but qu’ils poursuivent : il s’agit d’ériger une frontière infranchissable entre ceux qui sont  » dedans  » et ceux qui sont  » dehors « … Il s’agit de mener les adeptes à l’autoexclusion et à l’exclusion des autres, tous ceux qui ne sont pas comme eux…

Est-ce la peine d’entamer un grand débat sur de telles évidences ? Serait-ce le cas si ces groupuscules se référaient non pas à l’islam mais au christianisme ou au bouddhisme ? Car c’est un fait, lorsque la religion musulmane est en cause, chacun perd son latin et n’applique plus ses critères de raisonnement habituels. On ne sait pas où mettre le curseur : à partir de quand tel ou tel comportement relève de la liberté de conscience et à partir de quand révèle-t-il un dysfonctionnement, voire du radicalisme ? Tiraillé entre la peur d’entraver la laïcité et celle de tomber dans  » l’islamophobie « , on oscille entre diabolisation et laxisme. Celle qui porte un petit foulard rose assorti à son jean passe pour une islamiste alors que les intégristes passent pour des musulmans…

Car ne nous trompons pas : ces groupuscules qui se réclament  » salafistes  » ne s’inscrivent pas dans l’histoire musulmane, ils sont une émanation moderne de ce dernier siècle ! Ouvrir un débat pour limiter la liberté religieuse reviendrait à les considérer comme un courant musulman et non pas comme une simple secte. Toute leur stratégie consiste justement à faire passer leurs discours totalitaires comme s’ils étaient de simples commandements religieux. Selon ces gourous, pour respecter l’islam, la société est censée les accepter. Le positionnement contraire serait preuve d’islamophobie et d’ethnocentrisme.

Si un groupuscule avait la même attitude au nom d’une autre religion, cela fait longtemps que l’opinion publique aurait diagnostiqué son comportement comme préoccupant d’un point de vue psychique. À aucun moment, s’enfermer dans un drap noir n’aurait pu être rattaché à la simple application automatique d’une religion.

Cette hésitation à distinguer ce qui relève de l’islam de ce qui relève du dysfonctionnement d’une personne part, a priori, d’un bon sentiment : respecter les musulmans qui ont d’autres traditions. Mais à mieux y regarder, elle est aussi le produit de représentations négatives. Le laxisme et la diabolisation sont les deux faces d’une même pièce : tout accepter  » au nom de l’islam  » revient à avoir une bien piètre considération pour cette religion, qui continue à être perçue comme  » l’altérité même « .

Au nom du  » respect de la différence  » apparaît alors une nette tendance à tomber dans une sorte d' » enfermement dans la différenciation absolue « , qui permet d’appréhender n’importe quel dysfonctionnement comme le produit de cette religion  » restée archaïque « , puisque  » chez eux « , ce n’est pas comme  » chez nous « … Cette religion continue à incarner  » un autre monde « .

Accepter le drap noir ne serait pas un signe de respect de l’islam, ce serait au contraire perpétuer les stéréotypes datant de la période coloniale.

Dounia Bouzar

Anthropologue et chercheur associé à l’Observatoire du fait religieux


Burqa en débat

Le Monde vendredi 26 juin


Nous versons ce second texte à cet épineux dossier. PHG


Cinq ans après les débats passionnés sur le port du voile islamique à l’école et l’adoption d’une loi interdisant le port de tout signe religieux ostentatoire, la polémique rebondit aujourd’hui à propos du port du voile intégral – burqa ou niqab – par des femmes musulmanes. Lancée à la mi-juin par le député et maire (PCF) de Vénissieux, André Gérin, elle vient d’être relayée de façon spectaculaire par Nicolas Sarkozy.

Dans son discours devant le Congrès, le 22 juin, le président de la République a en effet jugé que la burqa  » n’est pas un problème religieux. C’est un problème de liberté et de dignité de la femme. C’est un signe d’asservissement. Ce n’est pas l’idée que nous nous faisons de la dignité de la femme. Je veux le dire solennellement : la burqa n’est pas la bienvenue sur le territoire de la République française « .

L’on a assez contesté, ici même, les ambivalences du chef de l’Etat sur la laïcité, notamment lors de son discours au Latran en décembre 2007, pour ne pas saluer la netteté de son propos. Adopté par les franges les plus conservatrices des sociétés musulmanes dans le monde – et par quelques milliers de femmes en France, semble-t-il -, le port du voile intégral ne peut se prévaloir d’aucune justification, ni du Coran ni de la tradition. La dissimulation radicale du corps féminin dans l’espace public soulève donc bien un problème d’égalité, de liberté et de dignité de la femme.

Mais ce constat posé – et justement posé -, que faire ? Le chef de l’Etat a prudemment demandé au Parlement de répondre à la question. Et en décidant, le 25 juin, de créer une mission d’information sur le sujet qui aura au moins six mois pour proposer un rapport, l’Assemblée nationale s’est, non moins prudemment, donné le temps de la réflexion. Sans s’enfermer, a priori, dans l’hypothèse d’une loi.

Prohiber par la loi le port de la burqa ou du niqab soulèverait, en effet, deux questions plus qu’épineuses. D’une part, au nom de quel argument ou de quel principe interdire à des femmes majeures une tenue vestimentaire, quelle qu’elle soit, dans l’espace public, sauf à confondre le législateur français avec une assemblée d’oulémas ? Ce qui a été décidé pour les établissements scolaires, précisément parce qu’il s’agissait des jeunes et de l’école, trouve, là, sa limite. D’autre part, sauf à imaginer une détestable ou ridicule police des moeurs, comment appliquer une telle interdiction, si le choix en était fait ? Beaucoup plaident avec énergie pour un islam moderne et tolérant. Ils ont raison. Il faut convaincre plutôt que légiférer.

Éditorial du Monde