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1 mai 2010

Ce débat si français qui fascine les intellectuels étrangers

2 mai 2010 La psychanalyse a des ressources pour résister

Ce débat si français qui fascine les intellectuels étrangers

Michel Onfray, avec la sortie de son livre consacré à l’affabulation freudienne, a réveillé le débat autour du fondateur de la psychanalyse. STÉPHANE REMAEL/MYOP

Faut-il se réjouir que Michel Onfray, philosophe, et Élisabeth Roudinesco, historienne de la psychanalyse, s’étripent à propos de Freud ? Oui ! Tout ce que la France compte de psys est au rendez-vous pour alimenter le débat ? Parfait ! Du moins aux yeux de certains intellectuels étrangers, fascinés par la passion que le pays de Descartes voue à la psychanalyse. Mieux : ils nous envient ces diatribes enflammées. La France s’écharpe sur l’inconscient, le stade oral et la vie de Sigmund : on l’accable de compliments.

 » Les Français ont une culture très intellectuelle. Vous avez eu une incroyable génération avec Sartre, Beauvoir, Derrida et d’autres qui sont encore étudiés. Si j’étais français je serais très fier de cela « , affirme sans ambages Hanif Kureishi, écrivain anglo-pakistanais, dont le dernier roman Quelque chose à te dire (Christian Bourgois, 2008), a pour héros un psychanalyste. L’auteur de My Beautiful Laundrette (1984) ne cache pas non plus son admiration pour Jacques Lacan, qui voyait l’inconscient structuré comme un langage. Les thèses de ce psychanalyste, soutient-il, ont largement irrigué la pensée au-delà de la France.

Pourquoi ce pays, comble  » de l’accomplissement et du raffinement intellectuels « , selon Alain de Botton, Anglais d’origine suisse, adore-t-il à ce point la discipline phare des postmodernes ? Parce qu’elle permet de traiter  » de façon très rationnelle des sentiments très irrationnels « , explique l’essayiste. Le génie propre des Français, poursuit-il, a souvent consisté, dans l’Histoire,  » à se situer sur un point médian idéal entre l’excès de raison et l’excès de passion « . Regardez Stendhal : il écrivait tantôt comme un austère juge de la Cour suprême, tantôt comme une ado déprimée, rappelle avec son humour tout britannique Alain de Botton, citant le critique Lytton Strachey.

Chez nous, la psychanalyse est partout. Botton, qui vient de publier Splendeurs et misères du travail (Mercure de France, 374 p., 23,50 euros), pourrait sans doute approuver l’explication de Vladimir Safatle, professeur de philosophie à l’université de São Paulo :  » Il y a une tradition de la pensée française qui comprend la souffrance psychique comme une souffrance sociale . » Ainsi les deux questions centrales de la pratique clinique – qu’est-ce que la souffrance psychique et comment la traiter ? – revêtent-elles une importance particulière dans la société française, soutient l’universitaire brésilien.

Impossible de comprendre la culture de la France du XXe siècle sans en passer par la psychanalyse, observe ce philosophe, pour expliquer une prédilection hexagonale qui dure. Depuis les années 1920, cette discipline a irrigué les arts (le surréalisme en est un bon exemple) et la pensée de nombreux intellectuels :  » Deleuze, Derrida, Sartre, Foucault, ils en ont tous parlé « , souligne à son tour Vladimir Safatle. Au Brésil, en Argentine, la psychanalyse tient aussi une place de choix. Mais sa présence, forte dans les grands médias, est moins polémique dans la société.

 » Un débat du type Onfray-Roudinesco serait inimaginable dans les pages du New York Times ! « , regrette Arnold Davidson, qui enseigne l’histoire de la philosophie contemporaine en Europe, à l’université de Chicago et à celle de Pise, en Italie. Jamais, déplore cet Américain spécialiste de Foucault, les Etats-Unis n’ont eu de département universitaire de psychanalyse, encore moins comme celui qui exista à Vincennes, l’actuel Paris-VIII,  » très actif et lié au débat politique « . Il s’émerveille que les concepts de la psychanalyse, même imprécis, même imparfaitement compris, soient en France passés dans la culture courante, tel le complexe d’Œdipe.

 » En France, à la fin des colloques, on me pose toujours une question qui relève de la psychanalyse. Aux Etats-Unis, jamais « , dit-il. Il n’y échappe pas et s’en félicite.  » Je suis un prisonnier volontaire car un prisonnier nécessaire ! « , s’exclame-t-il. Ecrivains, essayistes ou philosophes, tous se retrouvent pour dire que la virulence du débat français prouve la nécessité de la psychanalyse et sa pertinence. Ni art, ni science, ni littérature, ni philosophie, mais indispensable pour expliquer qui nous sommes et quel rapport nous entretenons à l’autre. Le débat prouve au moins que les Français prennent cela au sérieux.

Même pour dénigrer la psychanalyse.  » Ceux qui haïssent les psychanalystes sont des gens qui autrefois seraient partis en guerre contre la superstition catholique « , juge Alain de Botton. Cette religion ayant perdu presque tout son pouvoir et n’étant une menace pour personne,  » ils retournent leur colère contre la psychanalyse « . Encore une exception française : nous avons eu les deux et parfois en même temps – les bouffeurs de curé et les contempteurs du divan.

Béatrice Gurrey
© Le Monde


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