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28 août 2007

Comment se protéger des pédophiles

Cette enquête est présentée et commentée dans notre Éditorial en date du 28 août

OLIVIER MARBŒUF

La pédophilie n’est ni génétique ni une maladie mentale. Les spécialistes interrogés estiment qu’il s’agit d’un dérèglement de la personnalité. Ils se prononcent ici sur l’idée de Nicolas Sarkozy d’hôpitaux-prison

Dans l’émotion suscitée par le viol présumé du petit Enis à Roubaix, par Francis Evrard, pédophile récidiviste qui sortait de prison, Nicolas Sarkozy a annoncé le 20 août de nouvelles mesures contre le crime sexuel : création d’un hôpital-prison pour les délinquants dangereux en fin de peine ; suppression des remises automatiques de peine ; sorties conditionnées à un traitement hormonal.

Le Monde a demandé à trois psychiatres spécialistes de la question d’éclairer le débat en répondant à quatre questions. Ces médecins sont :

le docteur Bernard Cordier, 57 ans, psychiatre à l’hôpital Foch de Suresnes (Hauts-de-Seine) et président de La Voix de l’enfant, qui fédère soixante-quinze associations ;

le docteur Paul Bensoussan, 49 ans, expert près la Cour de cassation et médecin coordonnateur pour le suivi des anciens détenus ;

le docteur Roland Coutanceaux, 56 ans, psychiatre des hôpitaux, consultant dix ans durant au Centre national des prisons de Fresnes, responsable d’une consultation de psychiatrie légale qui a commencé en 1991 et suivi des milliers de pédophiles, la plupart en obligation de soins.


Qu’est-ce qu’un pédophile ?

Dr Cordier :  » Être sexuellement attiré par les enfants est une anomalie. On ne naît pas pédophile : affirmer que c’est génétique est une énormité. Cela résulte d’un blocage pour entrer en relation avec d’autres adultes sur le plan sexuel ou sentimental, du fait d’une absence d’attirance ou d’une inhibition. L’enfant constitue alors un pis-aller qui séduit par sa malléabilité. La plupart des pédophiles le sont terriblement dans leur tête mais ne passeront jamais à l’acte car, pour ce faire, il faut une deuxième anomalie : le déni de l’autre. Les grands prédateurs ne sont pas nombreux. Parmi les 15 000 délinquants sexuels, il y a beaucoup de pères incestueux qui ne relèvent pas du même problème. « 

Dr Bensoussan : » La majorité des pédophiles dont la déviance remonte à la jeunesse sont des abstinents. Les prédateurs qui s’attaquent à des enfants inconnus constituent une catégorie très spéciale. À côté des exclusifs qui n’éprouvent aucune attirance pour les adultes, les non-exclusifs, homos ou hétéros, qui ont une préférence pour des très jeunes, agissent par séduction, rapports affectueux, ambigus, et peuvent afficher une respectabilité de façade. De même qu’un individu qui déclare avoir ignoré qu’il était homo ment, un pédophile se connaît. « 

Dr Coutanceaux :  » La pédophilie appartient à la catégorie des troubles de la personnalité. Ces gens ne sont ni fous ni banalement névrosés, ce sont des sujets impulsifs, présentant des troubles du caractère, immaturité, égocentrisme, et, pour reprendre des termes tarte à la crème : psychopathes, paranos, mégalos. Ces traits se retrouvent à haute dose dans les personnalités transgressives qui passent à l’acte. Avant l’obligation de soins, les psys avaient peu connaissance de ce troisième champ et ils sont historiquement mal à l’aise vis-à-vis de lui. « 

Peut-on évaluer la dangerosité des pédophiles ?

Dr Bernard Cordier :  » En l’état actuel de nos connaissances et de nos échelles d’évaluation, il n’y a pas d’éléments scientifiques suffisamment probants pour répondre à cette question. On n’est pas devin. Les pédophiles les plus dangereux sont souvent les plus habiles. « 

Dr Coutanceaux :  » Tous les pédophiles ne sont pas dangereux. 80 % arrêtent après la première sanction, 10 % à 20 % récidivent. Avoir une idée de la dangerosité ? Personne n’est Madame Soleil (…), mais je pense qu’il faut oser l’évaluer. Je préconise une distinction entre « peu », « moyennement » et « très dangereux ».

Pour donner une idée des risques de récidive, on peut s’appuyer sur des critères :

1. Le sujet a-t-il déjà été condamné pour agression sexuelle ?

2. A-t-il agressé un enfant en dehors de la famille ?

3. La victime était-elle inconnue de l’auteur ?

Si les réponses sont affirmatives, on peut être sûr que l’individu est dangereux. On peut faire ensuite une évaluation qualitative dans le cadre d’un suivi en milieu carcéral. Le pédophile reconnaît-il les faits ? Éprouve-t-il des remords, une vague honte ou de l’indifférence cynique ? Peut-il se mettre à la place de l’enfant ? Voilà des pistes qu’on pourrait proposer pour un dégrossissage. Il faut oser discriminer, et même trier. Le discours de Nicolas Sarkozy est habile dans l’affichage mais très flou. Est-il utile d’évaluer la dangerosité ? J’y suis favorable 5 sur 5 ; avec un bémol : en collège. « 

Dr Paul Bensoussan :  » Le grand apport du projet Sarkozy est de demander l’avis des experts avant la libération en fin de peine, ce que l’on ne fait jusqu’ici qu’en cas de libération anticipée. Nous avons une capacité limitée à prévoir la récidive. Je ne suis pas spécialement répressif, mais, récemment, un juge d’application des peines m’a demandé une expertise pour la libération conditionnelle d’un violeur en série qui avait violé sept femmes et tué l’une d’elles. Il avait accompli trente et un ans de détention : j’ai considéré qu’il restait dangereux, que le risque de récidive était élevé. Je suis favorable à l’expertise de la dangerosité à trois conditions : que les soins commencent pendant la détention, qu’elle soit contradictoire (dualité ou en collège de trois), qu’elle ne concerne pas seulement les crimes pédophiles. Le danger c’est « l’expertise parapluie ». La seule erreur qui n’est jamais détectée, c’est de déclarer dangereux quelqu’un qui ne l’est pas, l’erreur qui expose c’est de dire qu’il n’est pas dangereux alors qu’il l’est. « 

Dr Bensoussan :  » L’initiative Sarkozy de poser le problème est très méritoire, même si son intervention est opportuniste. L’avis en fin de peine — qui donne un pouvoir considérable aux psys, capables d’infléchir une décision qui aboutirait à revenir sur un jugement — est positif si une prise en charge a commencé pendant la détention, ce qui pour l’heure est impossible. L’injonction n’existe que pour la période post-pénale. Un détenu qui demande une aide psychologique peut obtenir des entrevues, d’environ une demi-heure, à raison d’une fois par mois, peut-être une fois par semaine s’il s’agit d’un cas qui a défrayé la chronique. Une psychothérapie ne va pas changer sa déviance, il sera toujours pédophile, il ne faut pas entretenir d’espoir utopique. Non seulement elle sera intacte, mais, s’il y a un trouble psychotique, il s’aggravera avec le temps et la détention. « 
Dr Coutanceaux :  » En milieu carcéral, on dispose d’équipes compétentes, et il existe des expériences de groupes de parole. Il faudrait développer ce type de suivis, les mettre en réseau, les rendre lisibles, et renforcer leurs moyens. En l’état, il n’y a pas d’obligation de soins en milieu carcéral. La peine, c’est une privation de liberté, point barre. « 

Créer des hôpitaux-prisons ?

Dr Cordier :  » Interner les pédophiles dangereux dans des hopitaux-prisons n’est pas envisageable. L’hôpital qui le ferait ne survivrait pas, le personnel démissionnerait. Côté prison, la peine ayant été accomplie, elle n’a plus lieu d’être, à moins de mettre en place un système à la hollandaise qui permette à la société de priver de liberté un individu présentant un risque potentiel. Mais ce serait très dangereux. L’hospitalisation d’office (HO) ne peut intervenir qu’à trois conditions : 1. Qu’il y ait maladie mentale. 2. Qu’elle soit source de danger. 3. Qu’il y ait un lien direct entre cette maladie et ce danger. Il serait tentant pour un pouvoir fort d’utiliser la psychiatrie pour mettre à l’écart des individus — comme cela a été le cas en URSS ou dans certains pays d’Amérique latine. La commission santé-justice Burgelin (2005), à laquelle j’ai appartenu, mentionnait, parmi d’autres pistes, la création de centres fermés de protection sociale, mais les psychiatres étaient généralement contre. Que les politiques se mobilisent sur le sujet pédophilie est très bien, mais les déclarations de M. Sarkozy me paraissent un peu précipitées. Car, si l’intérêt de l’enfant doit être une priorité, on est en train de frôler l’atteinte aux droits de l’homme. Avant de monter d’un cran dans la répression, je souhaiterais qu’on applique ce qui existe. « 

Dr Coutanceaux :  » Je suis favorable au concept de protection sociale. En tant que criminologue, je n’ai pas peur des discours musclés. On a développé des prisons à fort pourcentage de délinquants sexuels, comme Caen. Pourquoi ne pas créer des prisons spécialisées où l’on pourrait regrouper des professionnels ? « 

Les traitements chimiques sont-ils efficaces ?

Dr Cordier :  » Soigner est un alibi, on ne fera pas de miracle. La castration physique, acte chirurgical opéré sur des volontaires, n’est pas possible en France. Dans les pays qui la pratiquent, on constate que, même chez les castrés, 25 % éprouvaient encore autant d’envie et qu’il y avait de rares cas de récidive. Je suis favorable à la prescription de médicaments, cela ne traite pas la cause, mais le traitement, entièrement réversible, est rapidement efficace, il agit comme un frein à la libido, une sorte de coupe-faim sexuel. Lorsqu’un pédophile vous déclare : « Docteur, faites quelque chose, je ne peux plus me contrôler », il serait éthiquement incorrect de ne pas lui proposer un traitement qui existe. Plusieurs patients m’ont dit : « Pourquoi ne me l’a-t-on pas donné plus tôt ? » et, malgré les effets indésirables, ils ne veulent pas arrêter. « 

Dr Coutanceaux :  » Peut-on parler de soins ? De guérison ? Non. Quelqu’un qui a du mal à maîtriser ses impulsions, on peut lui apprendre à mieux analyser ses émotions, à développer un certain contrôle de lui-même. Je préfère parler d’aménagement et, plus modestement, d’un suivi d’accompagnement plutôt que d’un suivi thérapeutique. « 

Robert Belleret, Alain Salles
© Le Monde