Cette fiche de lecture provient du site de l’Ifgt. Que son autrice soit louée de mettre à notre disposition cette réflexion sur la question de l’évaluation et de la recherche désintoxiquée de l’évaluationnisme scientiste à la mode Reagan Bush encore très prisée dans notre pays avec le décalage horaire habituel sous nos latitudes.
Déja Carl Rogers expliquait qu’il faut se préoccuper des effets et résultats de la psychothérapie humaniste, mais avec des méthodes isomorphes, ainsi cohérentes à leur objet. Le fait que cet article ait paru dans une revue rogerienne en dit long sur la continuité historique du message. Reprenons-le à notre compte.
Bien entendu quand l’autrice et l’auteur évoqué parlent de psychothérapie nous entendons psychothérapie relationnelle. Dans l’esprit de l’auteur il s’agit de psychothérapie humaniste. Une considérable confusion provient du projet actuellement en délibération au Sénat, concernant le titre générique de psychothérapeute, confondant des pratiques hétérogènes. Ce titre conjoint des pratiques, théories et méthodologies contradictoires mêlant (a) le modèle standard du thérapeute sujet actif appliquant un traitement à un usager (1) réactif}, à celui de la psychothérapie relationnelle — en ceci apparentée à la psychanlayse, (b) du psychothérapeute implicatif, interactif, s’engageant en relation avec une autre personne considérée dans sa subjectivité, au cours d’un processus dont se dégagera possiblement un peu de la vérité de celui venu chercher à résoudre son malaise en en dégageant le sens.
Un processus n’est pas un traitement, à la suite d’un diagnostic. On n’est pas là dans la santé mais dans la recherche de la vérité de soi. Il se trouve que parfois, cela tombe comme en théologie la grâce, cela en effet, soigne. Le soin pris de soi auprès d’un psychothérapeute relationnel peut vous tirer du malaise ou du malheur. On peut discerner entre les deux domaines une mitoyenneté troublante, intéressante au demeurant, féconde peut-être. Malheureusement, la médecine s’en est avisée, et voilà pourquoi votre fille est muette.
Comme quoi deux univers de référence pour un seul terme cela peut prêter à confusion, et à conséquence.
Philippe Grauer}
David E. Orlinsky
Article paru en traduction française (réalisée par Françoise Ducroux-Biass), dans la revue Approche centrée sur la personne 2007/1, n°5, p. 5-14
Cet article est paru d’abord en anglais dans le Bulletin de la Society For Psychotherapy Research, Section Amérique du Nord, en janvier 2006. Chris Muran, président à l’époque de cette section, avait demandé à Orlinsky de donner son avis sur l’état actuel de la recherche sur la psychothérapie. Vous trouverez l’article en anglais à (cliquer sur l’hyperlien souligné ci après, cela vous livrera le texte en pdf) cette adresse .
C’est un article important, par la liberté de ton de son auteur. Orlinsky reconnaît cette liberté qui est devenue possible selon lui, par le fait qu’il ait consacré plusieurs années de sa vie à la recherche sur les psychothérapies, qu’il est reconnu par la communauté internationale et qu’il a le privilège de ne pas avoir à chercher des fonds pour faire ses propres recherches. Dans cet article, il n’attaque pas la recherche sur les psychothérapies, car elle est pour lui nécessaire, mais il la critique d’une manière qu’il souhaite constructive.
Il voudrait que la recherche devienne plus réaliste, c’est-à-dire plus ancrée dans la réalité de la pratique.
Il développe ce qu’il considère le paradigme prégnant ou modèle standard et qui pourrait représenter un piège car ce modèle serait réducteur et non réaliste. Le thérapeute est ainsi présenté comme un sujet actif qui fait quelque chose au patient, « objet réactif ». C’est un modèle unidirectionnel qui va du thérapeute au patient. Lorsque les recherches font que le patient est orienté aléatoirement vers une thérapie, on se soucie peu de la préférence du patient pour le traitement en question. Par contre, le thérapeute « applique » lui son modèle préféré. Elkin (1999) en aurait conclu que « les comparaisons entre les conditions de traitement reflètent les effets de l’interaction du traitement-x- thérapeute, plutôt que les effets principaux du traitement. » Ce qui serait très souvent oublié.
Autre critique émise par Orlinsky, c’est le fait que la cible du traitement n’est pas l’individu dans sa globalité ni dans son contexte, (on ne tient pas compte non plus de son développement), mais un trouble spécifiquement diagnostiqué. Par ailleurs, ce ne sont pas non plus les thérapeutes dans leur globalité, ni dans leur contexte, ni considérés selon leur développement qui sont étudiés, mais un ensemble de « savoir-faire guidés par un manuel » auquel le thérapeute est censé se conformer.
Ces réductions prendraient appui sur des biais cognitifs de la culture moderne que nous partagerions tous. Orlinsky cite un sociologue Peter Berger (2) et ses collègues qui décrivent un de ces biais sous le nom de componentialité.
« Les composants de la réalité sont des unités indépendantes qui peuvent être mises en relation avec d’autres unités semblables, impliquant ainsi que la réalité n’est pas conçue comme un flux ininterrompu de jonctions et de disjonctions d’entités uniques. Cette appréhension en termes de composants est essentielle à la reproductibilité du processus de production (industrielle) aussi bien qu’à la corrélation entre hommes et machines (…). La réalité est ordonnée en termes de telles unités qui sont appréhendées et manipulées comme des unités atomistiques. Ainsi tout est analysable sous forme de composants constituants ; tout peut être séparé et réuni à nouveau dans les termes de ces composants. » (Berger, Berger & Keller, 1974, p. 72).
Ainsi les recherches s’appuient sur l’idée de séparabilité (par exemple du patient et de son trouble, ou encore du patient et du thérapeute) et d’interchangeabilité (par exemple deux patients présentant en apparence le même trouble, ou que le traitement soit avec tel ou tel psychothérapeute). Autre facteur culturel répandu et qui a des répercussions dans les méthodologies de recherche et des résultats, c’est l’idée de distinction ou dichotomie essentielle entre psyché et soma.
Orlinsky donne alors sa propre vision : « La réalité, voici comme je la vois : une personne (a) est une unité psychosomatique, (b) qui évolue dans le temps, le long d’une trajectoire de vie spécifique et (c) qui est un self subjectif objectivement connecté à d’autres selfs subjectifs, (d) chacun d’entre eux constituant des nœuds actifs ou réactifs d’une toile intersubjective de relations de communauté et de modèles culturels, une toile dans laquelle ces mêmes modèles et relations, ( e) exercent une influence formative sur le développement psychosomatique des personnes. »
Il poursuit en donnant sa vision de la réalité de la psychothérapie qui « … comprend (a) une relation sociale, définie culturellement, formée intentionnellement entre (b) des personnes qui interagissent entre elles dans les rôles de client et de thérapeute, (c) pendant un laps de temps déterminé, durant lequel leurs trajectoires de vie se rencontrent, (d) le thérapeute agissant au nom de la communauté qui l’a certifié apte ( e) à s’engager dans une relation avec le patient dans le but d’influencer le cours de la vie du patient dans des directions qui doivent être bénéfiques au patient. »
Ces réalités ne sont pas totalement prises en compte par le paradigme de recherche dominant. L’auteur en donne des causes culturelles, psychologiques, historiques et économiques. Ce paradigme dominant perdurerait aujourd’hui (en Amérique du Nord) du fait que les services psychothérapeutiques continueraient à recevoir des fonds de l’assurance maladie et que la recherche soit largement financée par des institutions de recherche biomédicale. « La plupart des fonds de recherche en psychothérapie et en pratique psychothérapeutique provient de sources qui soutiennent implicitement le modèle de santé mentale. Comme d’habitude, ‘c’est celui qui engage les musiciens qui choisit la musique’ ».
Orlinsky finit son article en rêvant de recherches qui soient fondées sur un paradigme qui corresponde bien à l’expérience réelle et à la réalité vécue de ce qui est censé être étudié.
N’oublions pas ces critiques énoncées dans cet article, lorsque nous lisons des articles de recherche.
David E. Orlinsky est un chercheur en psychothérapie. Il a publié de nombreux articles et livres. Il s’est intéressé particulièrement aux recherches alliant processus et résultats et à l’impact du thérapeute dans le processus thérapeutique.
Orlinsky, D., E. (1975). Psychotherapeutic Experience : Multivariate analyses of patients’ and therapist’ reports.
Geller, J., D., Norcross, J., C, Orlinsky, D., E. (2005). The psychotherapist’s own psychotherapy. Patient and Clinician Perspectives.
Orlinsky, D., E., RØnnestad., M., H. (2005). How Psychotherapists Develop : A Study of Psychotherapeutic Work and Professional Growth.