15 ans déjà ! depuis 15 la malignité contenue dans la loi sur le titre d’exercice de psychothérapeute n’a pas cessé de produire ses effets. La protestation de JM Robine est restée d’une fraîcheur désarmante. Nos collègues de la FF2P, empêtrés dans une négociation poisseuse avec des pouvoirs publics retors, médicalisés jusqu’à l’os, continuent de s’enliser. Et nous de souffrir (non nous ne sommes pas malades, souffrance n’est pas plus maladie que malaise existentiel) de cette situation en passe d’aboutir à la sécurisation sociale partielle (heureusement encore !) de la démarche psychothérapique (j’utilise toujours psychothérapique pour nous, psychothérapeutique pour le médical, comme ça pas d’erreur).
Face à cette situation désastreuse du Main Stream souvenons-nous que notre psychothérapie relationnelle a pour vocation de voguer à contre-courant. Comme l’écologie, et la mésologie dont nous sommes parents. Notre psychothérapie est rebelle par nature. Ne passons jamais le collier du chien au cou du loup.
PHG
À l’attention du journal Le Monde, 15 octobre 2003
L’adoption précipitée par l’Assemblée Nationale d’un amendement permettant à la loi de définir l’exercice de la psychothérapie, si elle devait se trouver confirmée par les deux Chambres selon les procédures habituelles de notre République, pose et résout dans un même acte un problème de fond. Seraient posés, en conséquence de cette loi, de nombreuses questions de territoire, de pouvoir, de défense des corporations, de protection des usagers, de budget de la Sécurité Sociale, de choix de société, mais, au travers de la réponse qu’apporte cette loi, se trouve surtout redéfini – par élargissement – l’emprise de la médecine dans notre vie sociale
La souffrance qui s’exprime dans le cabinet du psychothérapeute devient, entre les mains du législateur, un "trouble mental" et acquiert de ce fait un statut de maladie. Les seuls professionnels traditionnellement habilités à affronter la maladie sont les médecins ou leurs délégués, sous leur contrôle. De la souffrance au trouble, du trouble à la maladie, de la maladie au médecin.
Le "trouble mental", s’il peut et parfois doit être abordé comme "maladie", fera appel à une expertise en matière de soins et le modèle médical sera non seulement bienvenu mais souhaitable ou nécessaire. Mais toute souffrance n’est pas une maladie. Le Pr. Henri Ey, un des pères de la psychiatrie française, rappelait que "toute subversion, tout malheur, tout drame et tout conflit n’est pas maladie, contrairement à l’opinion systématiquement prêtée à tous les psychiatres et adoptée par trop d’entre eux".
Faut-il médicaliser le deuil ? Médicaliser les souffrances amoureuses ? Médicaliser l’échec scolaire ? Médicaliser les ruptures et les abandons ? Médicaliser la honte d’être ? Médicaliser les peurs ? Médicaliser les relations parents-enfants ? Par voie de conséquence, la Sécurité Sociale devra-t-elle prendre en charge les ruptures conjugales au même titre que les ruptures d’anévrisme ? Un sujet n’aura-t-il d’autre choix que de médicaliser sa souffrance, de devoir la présenter comme pathologique pour avoir la possibilité et le droit de la proposer à l’écoute transformatrice d’un autre ? Cette écoute devra-t-elle uniquement prendre la forme nomenclaturée d’un traitement de trouble mental pour que puisse se construire un sens qui, peut-être, se dérobait jusque là ? Une immense majorité des psychiatres qui pratiquent la psychothérapie avec des personnes non porteuses de "troubles mentaux" ont d’ailleurs, depuis longtemps, refusé de considérer cet acte comme médical et de faire intervenir la Sécurité Sociale dans leur prise en charge.
Il n’est pas de vie sans souffrance, il n’est pas de vie sans angoisse. Parfois le sujet rencontre les limites de ce qu’il peut faire dans sa solitude pour en construire du sens. Il cherche un autre, et cet autre est parfois le psychothérapeute. Ce dernier ne détient certes pas le monopole de cette fonction et il ne le revendique d’ailleurs pas. Sa formation longue et spécifique, son analyse ou sa thérapie personnelle, sa supervision régulière, son engagement éthique et déontologique ont toutefois pour fonction essentielle de lui permettre de se déprendre de ses propres significations a-prioriques au profit d’une élaboration conjointe qui permette au sujet de s’apparaître dans l’ouvert de la situation de rencontre, de créer un sens à l’occasion de cet autre.
Le modèle du soin médical est un modèle fondé sur l’expertise de l’un au bénéfice de l’autre. Comme l’est inévitablement toute connaissance qui se veut scientifique, la connaissance requise est une connaissance qui aborde son sujet comme un objet. La connaissance de l’Homme y échappe rarement. Les approches psychologiques traditionnelles sont majoritairement inscrites dans ce même lignage et pratiquent sur base de qu’on pourrait appeler "une psychologie-à-une-personne", celle qui nous est familière depuis des millénaires et qui relève de la même logique que la relation soignant/soigné. Elle a sa validité, elle a fait ses preuves et il ne saurait être question de la disqualifier ou d’en minimiser son intérêt.
Mais les psychothérapies contemporaines s’appuient sur une psychologie-à-deux-personnes, ce qui constitue un changement radical de paradigme, un changement de mode de pensée. Cela prend des formes et des noms différents selon les approches : transfert/contre-transfert, champ, situation, rencontre, Je-Tu, entre-deux, dans tous les cas, délocalisation de "l’objet" – qui se déplace de l’humain en souffrance à ce qui se passe entre les deux — et donc délocalisation de la compétence requise. La spécificité de ce changement de perspective réside dans le fait qu’il ne s’oppose pas aux modèles à-une-personne mais dans le fait qu’il les inclut en les dépassant. Mais dans une majorité de situations, en particulier celles qui ne sauraient relever d’une désignation en terme de maladie, la mise en œuvre du modèle soignant-soigné va à l’encontre du travail psychothérapeutique.
Un psychothérapeute New-Yorkais, Michael V. Miller, par ailleurs chroniqueur au New-York Times Books Review, proposait récemment, dans un de ses écrits, une lecture de l’évolution des psychothérapies : il faisait remarquer que la psychothérapie contemporaine avait constitué l’essentiel de ses fondements dans les pays de langue allemande au cours de la première moitié du XX° siècle, puis que ce fut le continent américain qui avait ensuite permis l’essor de ces approches, mais qu’aujourd’hui, l’évolution mondiale des psychothérapies se retournait vers la vieille Europe et était surtout redevable aux penseurs et philosophes français comme Levinas, Foucault, Derrida, Deleuze, Lacan… Désolé, chers collègues du monde entier, il vous faudra désormais penser sans nous, car chez nous Socrate est en passe d’être assassiné par Hippocrate.
Jean-Marie ROBINE, psychothérapeute didacticien, psychologue clinicien, en exercice depuis 1967. Fondateur de l’Institut français de gestalt-thérapie.